Aussitôt, les restrictions liées à la pandémie de la Covid-19 levées, les festivités liées au anda s’enchainent et tout le monde se déchaine autour, surtout à Ngazidja où cet engouement peut même aller à l’encontre de toute décision émanent même du plus haut niveau de l’administration publique.A ces occasions de plus en plus nombreuses, une tendance, pas toujours heureuse, se dessine allègrement : les principales caractéristiques du patrimoine musical tels que le twarabu, le djaliko, le ukumbi ou encore le tari servis, au bon vieux temps, par un orchestre ou un artiste bien présents en chair et en os qui les accompagnaient, semblent, trop souvent, en train de laisser la place aux play-back et aux reprises sauvages, et toujours les mêmes, de tubes d’artistes de la scène nationale.Le twarab, une des musiques les plus prisées du pays, n’est plus aujourd’hui, que l’ombre de lui-même.
Un tournant amer
Apparu aux Comores au XIXe siècle, le Twarab a toujours été joué en live, tout d’abord avec un violon et gambusi avant d’adopter vers les années 1960 les castagnettes, la conga (Tumba), la mandoline et l’accordéon puis la guitare électrique et la batterie.Cette année, le constat dans les twarabu, plus qu’en d’autres occasions, est amer. Les groupes – féminins surtout – ont adopté définitivement le play-back «pour des raisons économiques» à en croire le producteur, auteur-compositeur de Studio parade, Ali Nourdine Karihila.
Pire encore, ce sont les mêmes artistes qui sont repris. De Mitsamihuli à Mbwankuu en passant par le Hambuu à Mbadjini entre autres, on entend que du Zaza, du Samra, du Ridhoi encore et encore, et à fond la caisse – passez-moi l’expression... Cela jusqu’à la brève cérémonie matinale du mtriodahoni. Sur cette lancée au bulldozer, c’est le patrimoine musical comorien qui, sans conteste, en prend un coup.
«Auparavant, personne n’aurait pensé jouer du twarabu, du ukumbi ou du djaliko autrement qu’en live. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Faire des économies passe avant tout et le jadis célèbre adage «Shuhuli bonga» a rendu l’âme. Le patrimoine musical a perdu de sa splendeur et de son originalité. On entend les mêmes chansons, les mêmes artistes à Singani, Uropveni et ailleurs. Du Zaza, du Samdra encore et encore, c’est tout simplement incroyable. Mais que fait donc le ministère de la Culture pour préserver ce pan entier de notre culture menacé de disparition?», s’alarme le patron de Studio parade. Il est vrai qu’auparavant, chaque localité de l’île ou presque avait son propre groupe qui prestait en live surtout au twarab.
«C’est à ne rien comprendre»
Désormais, c’est avec des Cd que cet art est véhiculé : «c’est regrettable de voir une chanson composée pour un tel couple faire bouger le public dans le mariage d’un autre. Dans le mariage de Fatima, on entend une chanson qui loue la beauté de Mariama, c’est tout simplement incompréhensible. C’est ainsi que l’hymne au mariage a perdu de son sens. Pourquoi les mariés ne se donnent-ils pas la peine de composer une chanson à dédier à leur grand jour?», s’interroge une chanteuse du groupe Banati Nour.Le constat est le même dans le djaliko et la tari. Ici aussi, les Cd font office d’instrument musical.
Pendant ce temps, la liste des patrimoines musicaux en détresse s’allonge et chaque jour que fait le bon dieu on se demande à qui le tour.
Le problème, croit savoir Salim Ali Amir, c’est que «les jeunes artistes veulent tout faire dans la facilité. Ils ne se donnent pas la peine d’apprendre à jouer les instruments musicaux. Le manque de musiciens favorise, ainsi, le playback. Moi, je tourne presque toujours avec la même équipe faite d’anciens musiciens. Les jeunes ne veulent malheureusement pas apprendre.A notre époque, on savait jouer un peu de tout sur tous les genres. On aimait la musique, on ne le faisait pas pour le buzz mais, avant tout pour nous-même», analyse l’auteur-compositeur.
Une «question nationale»
Pour tenter de trouver une solution face au phénomène du playback et des reprises des mêmes chansons dans toutes les cérémonies, une équipe d’artistes s’était penchée sur la question, mais cela n’a abouti à rien : «nous avions voulu entrer en contact avec Samra et Zaza pour voir comment faire en sorte que les twarab ne soient pas faits exclusivement des reprises qui plus est des mêmes chansons. De même, nous avions approché le ministère de la Culture pour voir comment contrecarrer le playback à tout va, partout et n’importe où, mais nous sommes tombés dans un c… de sac. Je pense que les dés étaient pipés dès le départ du fait que certains artistes étaient contre cette démarche vu que la situation actuelle fait leurs affaires. Pourtant, la disparition du live devrait être une question d’ordre national, car c’est notre identité qui se perd», estime Ali Nourdine Karihila.