Créé en janvier 1979, la bibliothèque nationale des Comores du Centre national de documentation et de recherche scientifique (Cndrs) n’arrive toujours pas à se distinguer des petites bibliothèques et Clacs du pays. Alors qu’elle dispose de deux sections, francophone et arabe, ses étagères ne proposent que très peu de choses sur les Comores et très peu d’œuvres d’auteurs comoriens. Il faut slalomer des heures entre du Victor Hugo, du Jean-Jacques Rousseau, Charles Baudelaire et autres Marcel Proust pour espérer tomber sur du Salim Hatubou. Une situation qui commence à faire jaser chez les visiteurs, concède sans hésiter le patron du Cndrs, Dr Toiwilou Mze Hamadi.
«Une de mes principales préoccupations reste la conservation et la sauvegarde des œuvres nationales. Il est très regrettable de voir si peu d’œuvres comoriennes alors que nos compatriotes écrivent tant de mémoires, de Bts, de master et doctorats, entre autres. Il y’a une réelle nécessité de collecter», se désole le directeur.
Une «urgence»
Dans ces circonstances, le poète Sambaouma Abdérémane Nassar, estime «urgent» pour le Cndrs de se donner les moyens de redorer l’image de l’institution spécialement en le dotant d’écrits comoriens. «La mémoire du pays doit impérativement trôner sur les étagères de la bibliothèque nationale. Normalement, on devrait y trouver, au minimum, toutes les œuvres de Comoriens écrites en shiKomori, français ou en arabe, notamment. Le Cndrs a le devoir de protéger et promouvoir le patrimoine écrit du pays.
Je pense qu’il est grand temps que l’institution mobilise les auteurs et maisons d’éditions comoriens pour réfléchir sur comment «remplir» la bibliothèque nationale de nos écrits. Il est malheureux de voir tant de pensées étrangères et si peu d’écrits comoriens dans une bibliothèque dite nationale», trouve l’auteur de Poèmes parlés en marge du jour.En plus de la faiblesse de collecte d’ouvrages comoriens, la bibliothèque nationale des Comores fait face à un grave problème de conservation. Selon des données fournies par le centre, cette bibliothèque renfermait, au moment de l’étude, autour de sept mille ouvrages en français et près de deux mille en arabe.
«Conservés au Cndrs»
Ces chiffres contrastent avec le peu d’oeuvres visibles sur les rayons et dans quelques cartons où elles moisissent. Sans compter qu’il n’est pas rare de trouver chez des particuliers des ouvrages portant le cachet du Cndrs. Tout le monde a, en mémoire, l’histoire de l’ancienne directrice du Cndrs, Masseande Allaoui, qui s’en était même procurée dans la rue dans les mêmes circonstances.
Comment la mémoire nationale qui parait soigneusement conservée au Cndrs peut se retrouver au marché de Volo-volo? Les visiteurs ne laissent-ils pas leurs coordonnées avant d’emprunter les livres? «Quelqu’un qui connaît quelqu’un, prétend qu’une personne disposerait de clés passe-partout, lui permettant de vider régulièrement les étagères du Cndrs. Ce qui est sûr, c’est que les portes de la salle de documentation du Cndrs sont souvent parues ouvertes aux chercheurs étrangers, au point de les encourager à subtiliser certains travaux pour leur propre intérêt, contre menues monnaies ou petits services rendus à des employés», peut-on lire, à ce propos, sur Mouzdalifa House.
Il fut un temps où une copie des mémoires des étudiants de l’Ecole nationale d’enseignement supérieur de Mvuni (Enes) était obligatoirement conservée à la bibliothèque nationale, à l’Ifere ou encore au ministère de l’éducation nationale. Désormais, juste une infime partie l’est. Selon le chercheur et premier directeur du Cndrs, Damir Ben Ali, «ces mémoires étaient très importants car rassemblaient des recherches menées dans tous les domaines de la vie». Malheureusement, vers les années 1990, l’Enes a fermé ses portes et a emporté avec elle ses documents «conservés au Cndrs».«Je ne sais pas ce que sont devenus ces oeuvres. Je crois qu’il y’a des gens qui se sont emparés des archives des étudiants pour rédiger leurs mémoires ou leurs thèses, étant donné qu’ils n’étaient pas sous surveillance», «suppose», l’anthropologue.
«De savoir que mes écrits ne sont pas conservés à la bibliothèque nationale, cela tue les efforts. C’est un grave déficit de patriotisme. Pourtant nous travaillons d’arrachepied pour connaitre notre histoire, notre langue et produire des oeuvres. Sans compter que c’est seulement par amour qu’on écrit sur notre langue. J’appelle donc les responsables de la bibliothèque nationale, du Cndrs de bien vouloir assumer leur responsabilité en matière de protection de nos valeur culturelles et identitaires», s’alarme pour sa part, l’écrivain comorien actuellement au Sénégal, Idris Abdou Ousseïni.
Ces «voies du salut»
Pour «tenter de mettre fin» à cette absence de produits comoriens sur les rayons de la bibliothèque nationale comorienne, le directeur du Centre, Dr Toiwilou Mze Hamadi, dit avoir «déjà» entrepris une action «administrative» et une «démarche personnelle». «Pour commencer, j’ai eu des rencontres avec le président de l’Université des Comores et son prédécesseur afin de voir comment arriver à conserver une copie des écrits des étudiants de l’Université des Comores aux Cndrs.
Le problème c’est que, même s’ils n’ont pas refusé, ils n’ont jamais montré de réel intérêt. Je mène, parallèlement, une démarche personnelle qui, là aussi, ne rencontre qu’un succès très relatif, qui consiste à essayer d’obtenir de certains enseignants qu’ils nous remettent ces mémoires et qu’ils programment des conférences au Cndrs sur leur travail. J’essaie de mettre l’accent sur ceux qui écrivent sur les Comores», revelle le Dr Toiwilou Mze Hamadi.Trop peu, trop tard?.