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Cheikh mc : «Ahe!»

Cheikh mc : «Ahe!»

Culture | -   Housni Hassani

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Dans la lignée de Djibuwe, Ahe de Idukio* est la caricature d’une société comorienne «morcelée» entre les porteurs de savoir souvent narquoisement appelés «intellectuels» et ceux qui s’enliseraient dans les traditions et s’offusquant contre «toute forme d’évolution». Subtil, profond, burlesque, romanesque et cinématographique, la nouvelle sortie «du» Cheikh est teintée, tant au niveau du visuel que des lyrics, de rupture énonciative, d’antithèses et d’hyperboles, et tend à nourrir le débat autour du Grand mariage, «la matrice» de toutes les discordes. Le contre-pied parfait.

 

«Ahe», deuxième extrait du prochain album du rappeur Cheikh mc, Idukio*, cumule plus de soixante-treize mille vues sur Youtube, plus d’un mois après sa sortie. Un texte rigoureusement rhétorique, dans lequel le rappeur dépeint une société comorienne sur laquelle pèserait une chape de plomb, le anda. La «matrice» de toutes les discordes à laquelle, le rappeur affirme être «opposé», tout en étant «dedans». Preuve que cette «action culturelle», de l’avis du Dr Abdérémane Wadjih, ne laisse personne indifférent et qui, s’empresse de compléter l’anthropologue, comme toute culture, elle comporte des «aberrations».L’une de ces «aberrations», c’est la «fracture» de la société comorienne. D’une part, les porteurs de savoir, souvent narquoisement appelés «intellectuels». De l’autre, ceux qui s’enliseraient dans les traditions ancestrales et s’opposeraient à toute forme «d’évolution», arc-bouté sur leur «vision manichéenne».

Frontalement

Pour cela, le rappeur n’y va pas par quatre chemins : «Karitsuhandza ustaanrabu, sha maele baraka», chante Le Cheikh, mettant en opposition l’»intelligence» et le traditionnel plat de riz, considéré ici, comme le symbole du anda et qui de l’avis du patron de Watwaniya, serait tout simplement «anesthésiant». Ames sensibles, s’abstenir.Subtil, profond, burlesque, romanesque et cinématographique, Ahe, aussi bien au niveau du visuel que des lyrics, dissémine, entre autres, rupture énonciative, antithèses et autres hyperboles, et tend à «nourrir le débat» autour du anda, ce mariage traditionnel** qui serait à l’origine de toutes les discordes. Pour Cheikh mc, «pour le anda, l’heure est à la réforme», et cite, en référence, la Katiba, «la plus grande œuvre intellectuelle des Comores». Mais, à l’entendre, ses partisans ne l’entendent pas de cette oreille-là : «Wana fikira watiti, makatiba namwalale», scande-t-il dans le deuxième couplet.

Comme Néron dans Britannicus

En outre, Ahe! a cela de particulier qu’il regorge de «stéréotypes» pour dénoncer des… stéréotypes. En témoigne le personnage jouant le rôle de l’homme de savoir dans le clip, veste noire, lunettes noires, téléphone à la main, et un manuel estampillé «droit» qu’il tient dans l’autre main, bref, tous les préjugés de celui que l’on pense être dans la droiture. De l’autre côté, Cheikh mc et d’autres hommes jouant aux dominos sur une place publique qui, dans l’imaginaire littéraire comorien, symbolise «l’oisiveté et la palabre».


Comme dit Néron dans Britannicus : «j’embrasse mon ennemi pour mieux l’étouffer». C’est, semble-t-il, le chemin qu’emprunte Cheikh mc pour mieux atteindre sa cible. Lui que l’on a connu plus cru quand il s’agit de «dénoncer», a vraisemblablement changé son fusil d’épaule pour toucher un maximum de gens. Comment faire? Si dans une première écoute, Ahe semble critiquer une personne en particulier, cette confusion s’éclipse à partir du deuxième couplet, où le «maître» effectue une rupture énonciative, en passant du «il» au «on inclusif».


De plus, l’auteur de Ngoshawo pose sur une composition plutôt solaire, joyeuse, sur laquelle tout le monde peut «s’ambiancer». Au risque de passer à côté du message? Le cheikh n’est guère de cet avis-là. «Ahe, c’est une caricature de la société. C’est hautement implicite. Nous voulons emmener les gens à réfléchir. C’est la suite logique de Djibuwe, qui d’ailleurs, a mis du temps à provoquer l’effet escompté. Ne vous inquiétez pas, Ahe fera son bonhomme de chemin, et aura une résonnance importante à compter du mois d’août», s’est-il laissé convaincre.

«Naritsipue udjinga sheo…»

Preuve que tout est minutieusement calculé, cette subtilité se ressent aussi au niveau du lyric où Cheikh mc recourt à un langage plutôt familier avec des termes et des expressions que l’on entend à longueur de journées du genre : «nde ndjeu, wana fikira watiti, naritsipue udjinga sheo». Mais, déplore l’auteur de Anyibu, que l’ignorance soit perçue comme un quelconque honneur serait le summum de l’abaissement du débat. Ce «mépris de l’intellectuel» est également dénoncé par le Dr Abdérémane Wadjih selon qui la chasse aux sorciers aurait changé de camp : «Autrefois, les ignorants étaient mal vus dans la société.

Aujourd’hui, si vous avez fait quelques études alors on jette l’opprobre sur vous. Il suffit de se rendre dans les places publiques pour s’en rendre compte. Dès que les intellectuels pointent le bout de leur nez, ils sont assenés de ce genre de commentaire : ndowasoma, ndo wastarabu, dema konétu***», dit «déplorer» l’écrivain.Au-delà du anda, Ahe c’est, aussi, une critique sur le sort réservé à ceux qui ne s’impliqueraient pas dans l’esprit communautaire. «Les gens qui arrivent de France par exemple, et qui ne viennent pas construire des maisons ou offrir de grands festins aux gens, sont traités de «kanalahe», conclu le rappeur qui sortira, donc, ce vendredi, son cinquième projet Idukio.

 

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