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Culture comorienne I Un enjeu de société à repenser

Culture comorienne I Un enjeu de société à repenser

Culture | -   Abdallah Mzembaba

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Après la disparition d’Aboubacar Saïd Salim, certaines voix se sont élevées pour dénoncer le silence des autorités. Dans ces circonstances, Al-watwan a interviewé Soeuf Elbadawi, auteur, comédien et metteur en scène, sur le rôle de l’État dans le domaine de la culture, la valorisation des hommes et des femmes de ce domaine et la place de la culture aux Comores.

 

Quelle est la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de ces hommes et de ces femmes ?

L’Etat n’a peut-être pas rendu hommage à Aboubacar Saïd Salim. Mais je ne sais pas si c’est vraiment son rôle. Je crois plutôt que les hommes de culture n’arrivent pas à se faire entendre. C’est à eux de prouver leur nécessité dans cette société, qui a par ailleurs d’autres priorités à gérer. Aboubacar Saïd Salim défendait la souveraineté nationale. Mais est-ce que les gens l’ont vraiment compris ? En tant qu’acteur culturel, j’ai évidemment tendance à penser que j’ai un rôle à jouer, mais qu’en est-il concrètement ? Un peu d’humilité ne nous ferait pas de mal.

Je ne parle pas du cas Aboubacar Saïd Salim, mais les artistes, les auteurs, les intellectuels sont quasi absents des combats menés dans ce pays, aujourd’hui. Nous pensons avant tout à la satisfaction du ventre et à nos égos souvent démesurés. Si nous étions utiles, cela se saurait, et cela commencerait par notre voisin immédiat, et non par l’Etat, qui ne fait que représenter les attentes du citoyen. On a les dirigeants que l’on mérite.

Quelle place l’Etat accorde-t-il au monde de la culture dans la société ?


Cette question est du même tonneau ! Que dit cette société sur le rôle de la culture ? C’est ce qui va déterminer la politique de l’Etat en la matière, et non l’inverse. La scène culturelle est devenue une usine à divertissements, alors que par le passé la culture a eu du sens dans la vie du Comorien. Avant l’Etat, il y a le « nous », qui reste à questionner. Parfois, on se demande de quoi on parle. A-t-on compris que la culture, c’est autre chose que de manger du riz ? Combien de gens, pour revenir à ta première question, ont lu Aboubacar Saïd Salim dans le texte ? Combien ont-ils compris qu’il prenait sa part de responsabilité dans la reconstruction de ce pays ?

Que faudrait-il faire pour que ces gens ne tombent pas dans l’oubli ?

Je ne suis pas certain qu’on va oublier le soldat Abou aussi facilement qu’on le pense. Il a pagayé avec ses camarades en 1968, subi les foudres du mercenariat en 1985, brocardé l’Etat français, quand il le fallait. Mais vous avez raison de poser la question. Je reste des plus pragmatiques.Les Comoriens sont convaincus que Maaruf et Bin Soumeït sont «nécessaires» à leur quotidien sur cette terre. Ils leur rendent hommage chaque année, sans avoir besoin d’une intervention de l’Etat. Mais allez demander à un de nos concitoyens de rendre hommage à un écrivain ou à un artiste disparu. On va te répondre uka ilo botsi [c’est du blabla].


Ceci pour dire que nous posons peut-être la question au mauvais endroit. Nous sommes dans une société où la «nécessité est reine de toute chose », et ce, malgré les apparences. Mais il va de soi que c’est aux hommes de culture d’expliquer leur rôle et de se rendre indispensables. On connaît déjà cette histoire en politique. Ali Soilihi, par exemple, n’a pas eu le temps de mieux poser son récit dans le destin de l’archipel. On l’a presque oublié de nos jours. A la place, on rend hommage à des hommes politiques, qui, finalement, n’ont rien révolutionné dans notre vision du monde.Le jour où on rétablira la vérité sur son projet, son visage réapparaîtra, comme par magie.
C’est la même chose pour les hommes de culture. Les actes commis de leur vivant iront parler en leur nom. Encore faut-il que les gens les comprennent…


Quel est le rôle de la direction de la culture dans cette situation ?

Ce service de l’Etat ne me paraît pas assez outillé pour répondre à nos problématiques actuelles. C’est un endroit où l’on place des amis et des enfants d’amis. Le jour où les hommes de culture se prendront véritablement en charge dans ce pays, des têtes vont certainement tomber. Mais chercher à faire un procès à la direction de la culture, aujourd’hui, est totalement inutile. Si c’est devenu une coquille vide, c’est parce que nous-mêmes (artistes, auteurs et autres intellectuels), nous sommes dans l’incapacité de produire du sens. Après, il est facile de taper sur l’Etat qui ne fait rien, mais nous ? Avons-nous été capables d’autre chose que de nous diviser ? Je me répète, je sais, mais de quoi on parle, exactement ?

Les hommes politiques (non pas qu’ils ne le méritent pas) sont honorés, rarement ceux du monde de la culture, comment expliquer cette situation ?

On ne parle pas du monde culturel, parce que les Comoriens n’ont tout simplement pas l’impression que leur vie ait changé grâce à la culture. Le jour où on arrivera à conjuguer cette équation de manière concrète, les choses seront différentes. On votera des lois, en fonction des gens de la culture. On décidera de l’avenir commun, en tenant compte de l’avis de tel artiste ou de tel auteur. On n’en est pas encore là. On est pour l’instant au stade zéro où la culture est réduite à son plus petit dénominateur commun : le divertissement.

On y perd tout son sens, mais les principaux concernés ont peut-être d’autres chats à fouetter. Je suis de ceux qui pensent que le rôle d’un homme de culture est de contribuer à construire l’alternative, d’aider à transformer la société, de prendre sa part dans la conscientisation du citoyen, dans son émancipation.
La culture, quand elle devient citoyenne, a rarement besoin qu’on lui érige des statues, puisque le peuple perçoit de lui-même son importance et sa nécessité dans l’échiquier. Mbae Trambwe, les orchestres de village ou les artisans, on savait à quoi ils servaient dans l’ancien temps.
Les poètes, les artistes, les créateurs d’aujourd’hui, qui sait à quoi ils servent dans le destin de ce pays ? Parlons-en ! Il ne suffit pas de mimer ce qui se fait de mieux dans l’ailleurs pour penser qu’on a raison, sauf si bien sûr on ne pense qu’à sa gueule. Ce qui est un tout autre débat.

 

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