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Eza Ni Towa Asf I Dine passe à la vitesse supérieure

Eza Ni Towa Asf I Dine passe à la vitesse supérieure

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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Quatrième projet, collaborations majeures et ambition assumée pour une figure montante du rap comorien

 

Avec Eza Ni Towa, le rappeur Asf Dine signe bien plus qu’un nouvel album. Il pose une pierre de plus dans l’édifice encore jeune mais déjà solide du rap comorien. Quatorze titres d’hip-hop et de rap ciselés, portés par une écriture frontale et une vision affirmée. Quatrième projet, ce disque affiche les marques d’un artiste en pleine croissance, qui sait d’où il vient et où il veut aller.


Dès l’introduction, avec le titre Hirizi, Asf Dine plante le décor. Le morceau évoque un combat intime et universel à la fois : celui de l’acceptation. Acceptation par la famille, par l’entourage, par une société qui considère largement encore certains arts comme une déviation plutôt qu’une vocation. Il y raconte ce qu’il lui a fallu sacrifier, prouver, endurer pour inscrire son nom dans le paysage du rap comorien. Un récit sans plaintes, mais chargé de détermination.


Sur Eza Ni Towa, Asf Dine se dévoile dans toutes ses dimensions : Asf Dine, rappeur, auteur, compositeur, topliner, parolier-interprète. Cet album sorti au Label Kissimani Family & Mkb Concept, retrace le parcours d’un jeune étudiant habité par une double exigence, à savoir réussir ses études sans jamais renoncer à la musique, cette passion viscérale qui structure son identité. Le propos est clair, l’un n’exclut pas l’autre.

Les thématiques abordées sont multiples et profondément ancrées dans le réel. Djirani est l’un des titres les plus marquants avec une chronique amère sur ce que le rappeur semble qualifier de «cruauté ordinaire des voisins d’aujourd’hui». On donne tout, on aime sans compter, et pourtant le cœur d’en face ne nourrit que rancœur et jalousie, s’est-il laisser convaincre. Le ton est direct, presque brutal, mais jamais gratuit.

Entre les îles et l’ailleurs

L’album gagne en profondeur et en envergure grâce à des collaborations soigneusement choisies, loin de l’effet de vitrine. Avec Victorious Awax et Ou2s, Asf Dine s’inscrit dans une dynamique collective du rap comorien, faite de respect mutuel, d’émulation artistique et de confrontation saine des styles. Ces featurings renforcent l’ancrage local du projet, tout en montrant un artiste capable de dialoguer avec ses pairs sans jamais diluer sa propre identité.


La présence de Napoleon Da Legend, figure majeure de la diaspora comorienne à New York, marque quant à elle un tournant symbolique. Plus qu’une collaboration, c’est un pont jeté entre les îles et l’ailleurs. Porteur d’un rap exigeant et engagé, nourri par la mémoire de l’exil et l’expérience de la diaspora, il apporte à l’album un souffle international et une profondeur historique. A travers sa voix, c’est toute une identité plurielle qui s’exprime, oscillant entre enracinement et déplacement, entre fidélité aux îles et ouverture au monde.

Cette rencontre élève Eza Ni Towa au-delà du cadre national, inscrivant, ainsi, Asf Dine dans une cartographie plus large, celle d’un rap comorien connecté, conscient de ses racines et résolument tourné vers l’horizon. Asf Dine n’élude pas non plus l’égo-trip et le clash, qu’il manie comme des outils de positionnement artistique plutôt que comme de simples provocations gratuites. Ici, l’assurance devient un langage, une manière de s’imposer dans un paysage encore très concurrentiel. Il revendique sa place sans détour, conscient de son parcours et du travail accompli, et ose regarder le game droit dans les yeux.

A maman!

La phrase «Yeka ngapvo walona fikira za concert Farantsa, mi ngamtabiri guichet fermé Maluzini», sonne comme un manifeste. Elle oppose le fantasme de la reconnaissance extérieure qui veut dégrader celle d’un succès construit localement, au contact direct du public. L’égo-trip d’Asf Dine n’est donc pas un repli narcissique. Ce serait, plutôt, une déclaration d’indépendance. La preuve qu’on peut exister, briller et remplir des salles sans attendre une validation venue d’ailleurs.
Dans cette posture de clash mesuré, il affirme une ambition claire et une confiance qu’il veut conquérir à la force des mots, du flow et de la constance.


Eza Ni Towa traverse l’amour, la trahison, l’hypocrisie, la «cruauté des proches» et le poids des promesses. Mais c’est dans le morceau éponyme que l’album atteint sa dimension la plus intime. Asf Dine y célèbre l’amour absolu. Celui qu’il porte à sa mère, «figure centrale et sacrée» de sa vie. Les paroles, chargées de gratitude et de tendresse, résonnent comme une prière.

«Mama, ka makini, Ngamdjuwo yezanitowa / Ngamdjo hudjusa emihono ho tsingoni / Ngamdjo hutowa / Wuke waulendza nkundwe nakidani ho ntsingoni/ Wuke wamarengwe, wuke wahudjidayi ho trengweni». Avec Eza Ni Towa, Asf Dine confirme qu’il n’est plus seulement une promesse. Il est désormais une voix qui compte, un rappeur qui ose, qui vise haut, et qui inscrit ses objectifs dans le marbre d’un rap comorien en pleine croissance.

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