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Fin du festival Ntso uzine / Quand El Farouk met tout le monde d’accord…

Fin du festival Ntso uzine / Quand El Farouk met tout le monde d’accord…

Culture | -   Dayar Salim Darkaoui

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Sur la plage d’Itsandra et place Mtsangani, à l’Alliance française de Moroni ou encore Place de l’indépendance, les artistes comoriens et de la sous-région ont étalé un talent rare. L’événement le plus prisé du grand rendez-vous, la huitième édition du battle national Ye mze ndo, a réuni plus de mille cinq-cents personnes, samedi. A ce jeu, le natif de Domoni ya Ndzuani, El Farouk Saïd alias Djaba n’a laissé aucune chance à ses concurrents.

 

La compagnie Tche-Za n’a pas entamé dans la meilleure des conditions cette deuxième édition du festival de danses urbaines et contemporaines, Ntso uzine. La faute à un budget plutôt réduit comparé à celui de la première édition en 2016. Mais vu l’engouement que cette dernière avait suscité, la compagnie tenait absolument, cette année 2018, à être au rendez-vous. Pour lancer le festival, ce qui est assez rare pour être souligné, une rencontre entre artistes et représentants du ministère de la Culture, jeudi 1er novembre, au Centre national de documentation et de recherches scientifiques (Cndrs). Les échanges ont été vifs*, certes, mais ont permis de dresser un tableau, plutôt alarmant, de la situation des artistes et de l’état de la création artistique aux Comores. Entre l’absence d’une politique culturelle, d’un budget dédié spécifiquement à la culture et d’un centre culturel, absence d’un statut des artistes et de droits d’auteur, entres autres, le chemin est long pour espérer parvenir, un jour, à structurer le domaine des arts et de la Culture. L’espoir est toutefois permis. Du moment que cette rencontre ne soit pas, comme c’est souvent le cas, sans lendemain. Du moment que les artistes, d’une part, et les artistes et les autorités, d’autre part, consentent à poursuivre la dynamique initiée par ce dialogue que tout le monde a voulu sincère.

Ecrasés par la lune

Après la théorie, place à la pratique. Deux spectacles ont été programmés, la nuit du jeudi, à l’Alliance française de Moroni. Rapeto, joué par les compagnies Baltane et Hoops, reprend le conte malgache de ce géant marié à une petite femme, Rosolao, une éleveuse de bœufs. La pièce est une interprétation de la relation, “tumultueuse”, de ce couple disproportionné. Anne Laure Costantini (Rasolao) et Mario Sela Rakotoarivelo (Rapeto) proposent un mélange de danses contemporaines et de hip-hop dance, entre étreintes et rejets, sous une nuée de bulles de savon. Mais cette relation était bien trop complexe pour durer. “Un jour Rasoalao demande à Rapeto de leur décrocher la lune pour jouer avec, alors Rapeto, pour montrer sa force, attrape la lune mais celle-ci lui donne un grand coup de pied, alors il tombe… et il meurt…”, sous les feux des projecteurs de l’Alliance française de Moroni. Le plus difficile dans ce spectacle, explique Anne Laure Costantini, était de combiner les deux styles.

Mur des lamentations

“On a beaucoup travaillé sur le rapport entre le contemporain et le hip hop, afin de voir comment on pouvait mélanger les deux”. Pour un résultat abouti. «Mon mur», le spectacle qui a suivi, est la dernière création en date du chorégraphe de la compagnie Tche-Za et directeur artistique du festival Ntso uzine, Salim Mzé Hamadi, ou Big Seush. C’est une rencontre entre deux compagnies : Tche-Za de Ngazidja, et Hip-hop Evolution, de Mayotte. Il tente d’ébranler le «mur» qui sépare l’île hippocampe de ses trois sœurs, en mettant en avant ce qui les rassemble. “Il y a des divergences entres les îles. Mais nos origines n’en restent par moins communes. En dehors de toute considération politique, nous sommes quatre îles, très liées et nous n’avons d’autre choix que de nous entendre”, explique Big Seush. Les sept danseurs sur scène, torses nus, enchainent les danses contemporaines, le break danse et le “hip-hop sambe”, entre trois caissons en bois qu’ils superposeront, à la fin, pour ériger un mur sur lequel ils tagueront, en rouge, leurs «lamentations». Et, en noir, le mot «cool». Tout ira bien ! “J’ai vu deux très beaux spectacles. Je n’aurais pas cru pouvoir voir cela un jour, ici, à Moroni. Les artistes ont fait montre de beaucoup de professionnalisme”, a concédé Sitty Mchangama, enseignante à l’École française, interpellée à la sortie de l’Alliance française. Ce qui a le plus marqué la jeune femme, ce sont les différentes influences. “Il y avait ce mélange de couleurs, de musique et, aussi, un bout d’Afrique. Les chorégraphies étaient riches et très inspirantes”, devaient-elle conclure.

Bboy Djaba, le «mze»

La huitième édition du battle national Ye mze ndo (“C’est qui le boss?”), l’événement, de loin, le plus prisé du festival, a réuni plus de mille cinq-cents personnes, la nuit du samedi 3 novembre, sur la Place de l’indépendance. Trois artistes ont été, comme à l’accoutumée, distingués. Un artiste en particulier s’est distingué cette année. El Farouk Saïd en l’occurrence, dit Djaba. Le natif de Domoni ya Ndzuani n’a laissé aucune chance à ses concurrents. Ses figures au sol et ses sauts périlleux ont fait chavirer les spectateurs de la place historique. Il n’y avait d’yeux, cette nuit-là, que pour lui. “Ce n’est pas croyable!”, s’emporte un spectateur. “Je ne sais quoi dire, l’émotion est trop forte”, s’est confié le «mze» du break dance, ovationné par le public. “J’aime la danse, la break dance. A mes yeux, elle n’a rien d’égal. C’est ma quatrième participation au battle national. Jusqu’ici, j’ai toujours été sorti en demi-finale. Cette année, j’ai enfin gagné”, poursuit-il. Abdelkassim Ahmed Attoumani (El Cape) et Mohamed Abdou (Chien de guerre) sont les deux autres gagnants dans les catégories New style et Krump. En plus d’une enveloppe de 25.000 et d’un trophée, ils vont pouvoir par-dessus tout “frimer pendant une année”.

Le cri de fin

C’est à Itsandra, dans la nuit du dimanche 4 novembre, qu’a pris fin cette quatrième édition du festival Ntso uzine. Un cypher – sur le sable fin et sous les bruits des vagues – au milieu duquel tout le monde pouvait étaler son art de la danse. L’occasion de voir à l’oeuvre, encore une fois, le Réunionnais Lino Marion ou Tha Gaze Aka, virtuose du krump. Les mouvements sont saccadés, le corps vibre, se cambre. Et un dernier cri, qui déchire la nuit. Rhâââ ! Et qui va nous revenir dans deux ans. Du moins on l’espère. Passionnément…


*Lire notre édition du jeudi et la dernière livraison de “Performances”

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