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Fuka Fest. Exposition sur le «Visa Balladur» I «Témoigner pour faire le deuil»

Fuka Fest. Exposition sur le «Visa Balladur» I «Témoigner pour faire le deuil»

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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A Mirontsi, l’évènement a servi, au final, à exposer la douleur et le traumatisme dans lesquels le pays est plongé depuis des années

 

A l’occasion de l’ouverture du Fuka Fest, le club Soirhane de Mirontsi a organisé une exposition de témoignages sur les victimes du Visa Balladur*, lundi 18 décembre à la bibliothèque de Shandra, et le 16 décembre à l’école primaire Soirahane.


Sept bâches en noir et blanc sont collées sur les murs et exposent le témoignage d’une veuve, de survivantes de naufrages et d’un «passeur», entre autres. Chaque histoire est plus émouvante que l’autre, mais le constat reste le même : une douleur qui ne quitte jamais ceux et celles qui ont, enfin, choisi de parler de leurs morts ou de ce qu’ils ont vécu pendant la traversée du bras de mer entre Ndzuani et Maore, devenu meurtrier depuis l’instauration du tristement célèbre «visa». On se croirait devant un cauchemar d’horreur d’où l’on cherche, le plus vite possible, à s’extraire.


Si certains ont choisi l’anonymat pour raconter la tragédie, ce n’est pas le cas du passeur Mohamed Ahmed communément appelé Ma Odi : «Nous avions été renversés par une vague. Il faisait très noir, on ne voyait rien. Les cris venaient de partout, la panique m’engloutit. Malgré cela, j’ai taché d’aider ceux que je pouvais. Mais voilà qu’une fille de quatre ans fut emportée par une vague alors que je tentais de l’attrapais, puis une vieille dame mourut entre mes bras. Et il y eu d’autres victimes lors de ce naufrage tragique, telle que ce bébé dont la mère fut obligée de délaisser», se remémore le passeur dans ce témoignage recueilli par le club Soirhane.


«Souvenir macabre, un 7 juillet 2001, inscrit dans les annales de Mirontsi». Dans ce témoignage c’est tout un village, Mirontsi, qui est traumatisé par la perte de nombreux de leurs proches qui tentaient de joindre l’île comorienne sous occupation française.

«Tout un village en deuil…»

C’est d’autant plus douloureux pour les habitants de l’agglomération qui n’ont même pas pu partir à la rescousse de leurs proches à un moment où l’île était sous embargo : «Aucun moyen de communication, ni électricité ni carburant pour aller chercher les morts». Il y’avait dix-sept personnes à bord, seules quatre, dont trois de Mirontsi, avaient survécu et trois corps retrouvés sans vie.


«Après l’accident, les passagers étaient éparpillés, c’était le sauve-qui-peut. Il faisait noir, personne ne voyait personne. On ne pouvait qu’entendre, les cris qui venaient de partout. Ensuite, je me trouve seule en train de nager. Je sentais la fatigue, mon corps commençait à me lâcher. Soudain, un poisson lumineux apparut devant moi. Sans réfléchir, je me suis agrippé à ce poisson et j’ai nagé avec lui jusqu’à atteindre la terre ferme. Les habitants m’ont retrouvée sur le rivage, inconsciente, avec ce poisson lumineux entre les mains «, témoigne une survivante qui a choisi de rester dans l’anonymat.


«Ce courage de ceux et celles qui ont choisi de témoigner sur la perte de leurs proches est juste à saluer. Ce n’est pas facile de se livrer sur la mort notamment d’un proche surtout dans de telles circonstances», estime un visiteur.Cette démarche entreprise par le Club Soirhane visant à donner la parole à celles et ceux qui ont perdu des proches permet de sensibiliser davantage sur cette traversée meurtrière, mais aussi de parler pour faire le deuil et espérer cicatriser.


«Madame X nous a confié comment cet événement a radicalement changé sa vie. Elle s’est trouvée dans une situation précaire, seule, obligée tout à la fois de chercher du travail et de prendre soin de ses enfants. En nous racontant son histoire, elle avait l’air profondément triste. Elle paraissait revivre la tragédie. Elle a fait cet effort, toutefois, pour partager ses émotions avec nous. Elle nous a confié qu’elle s’en était trouvée soulagée, en quelque sorte libérée», peut-on lire sur une des bâches exposées.

Donner des visages à ces morts

Jusqu’alors, on ne cesse de citer des victimes par milliers depuis la mise en place du Visa Balladur qui a fait du bras de mer entre Ndzuani et Maore une des plus grands cimetières marins du monde. Mais, jusqu’à lors, les Comores n’arrivent pas à donner de visage à ces morts. Ce, à quoi le Club Soirhane essaie de remédier petit à petit après avoir érigé la première stèle aux Comores en hommage à ces victimes.


«Recueillir ces témoignages, réussir à échanger avec les familles des victimes ne fut pas un travail facile. Entrer dans les maisons des familles ayant perdu des proches en mer lors d’une traversée pour Mayotte nous renvoyait un sentiment de peur dans le sens où on pourrait raviver une plaie qui avait, peut-être, déjà cicatrisé. Au début, les familles étaient réticentes à l’idée de se livrer à nous. Par la suite, les gens ont commencé à parler ouvertement», explique-t-on au Club Soirhane.

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