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S. Elbadawi, directeur artistique du Fuka fest: «Nous voulons semer de la graine de vie»

S. Elbadawi, directeur artistique du Fuka fest: «Nous voulons semer de la graine de vie»

Culture | -   Nassila Ben Ali

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La seconde édition de Fuka fest s’est achevée à Mirontsi ya Ndzuani le 8 décembre. Un rendez-vous qui a misé, notamment, sur la restructuration du secteur et, surtout sur le long terme, pour y parvenir. Un projet en lien avec un territoire, dont l’une des ambitions est de former des techniciens de la culture.
 
  • Le Fuka fest. a pris fin dimanche dernier à Mirontsi. Que peut-on retenir de cette seconde édition?

Une envie de (re)prendre racine dans cet espace en se réclamant d’une utopie à tisser ou à retisser. Je parle, bien sûr, d’une utopie de cercle. J’imagine une sorte de shungu à (re)constituer. Il y est question de partage, de solidarité, de nécessités archipéliques. Des mots, qui ont perdu de leur sens, vu la situation du pays, mais qui représentent un horizon possible pour demain et pour les nouvelles générations.
Nos grilles de lecture ayant changé, l’urgence du récit se fait à nouveau sentir dans la fabrique du commun. La culture a toujours servi de ciment social dans cette société. A nous de renouveler le legs, et d’éprouver nos limites, bien réelles en ce domaine.
 
  • Le programme de cette seconde édition semblait riche…

… Il y a eu du cinéma, du théâtre, de la musique, des rencontres. On a pu revoir l’un des tous premiers films comoriens primés à l’étranger, Baco de Oumema Mamadaly, en présence des comédiens du film, venus témoigner de leur expérience. Il y a eu une performance collective, réalisée avec les habitants de Mirontsi, à l’ouverture du Fuka fest. C’était une proposition à la limite du flash mob, avec des scènes inspirées de l’histoire ancienne. C’était très beau à voir. Il y a eu du street-art avec deux artistes de Swanaa Studio, venus de Moroni. Makinz et Tcharo. Il y a eu une conférence sur les mutations culturelles dans l’archipel. Il y a eu également la présentation d’un livre – Une autre histoire de Mirontsi – coécrit par des jeunes du Club Soirhane, sous la direction du délégué général du festival, le poète et cardiologue Anssoufouddine Mohamed.
 Il y a aussi eu l’inauguration d’une stèle – la première du genre – dédiée à la mémoire des victimes du Visa Balladur. Un geste qui va probablement interroger notre silence à tous face à cette tragédie. En vérité, je ne voudrais pas paraître exhaustif. En résumé, je dirais qu’il y a surtout eu la volonté d’ouvrir une fenêtre vers l’inconnu, en misant sur nos imaginaires passés et actuels. Notre culture est riche, vivante, surprenante. Nous avons juste besoin de lui retrouver une juste place dans nos quotidiens.
 
  • Dans quatre ans, la troisième édition. Quelles sont les perspectives qui se dessinent?
 
Nous voulons semer de la graine de vie. Ce festival se veut un outil de réflexion (avec d’autres) sur la récréation du secteur. Nous travaillons notamment sur des questions d’ingénierie culturelle. Nous pensons à la formation, à la professionnalisation, à la promotion des métiers de la culture. Une nouvelle grammaire prend place dans nos imaginaires. Il nous faut la maîtriser, en n’oubliant surtout pas de revaloriser le legs. Le récit nouveau naîtra de notre capacité à répondre aux défis d’une société résiliente, longtemps fondée sur la trace, mais qui se voit sommée de répondre aux enjeux actuels de la globalisation, du consumérisme et de l’aliénation culturelle. Nous devons contribuer à forger un langage inédit sur cette scène, qui soit en phase avec l’époque. La troisième édition du Fuka fest. sera ambitieuse ou ne sera pas. Cette année, nous nous sommes consacrés à Mirontsi. Dans un souci d’expérimentation. A la prochaine édition, nous comptons élargir la perspective, tout en demeurant fidèle à ce territoire. Nous voulons reconstruire du commun, et non courir après le spectateur. Nous voulons du sens, et non faire le show. Et peut-être que nous n’y arriverons pas, mais l’envie est bien là.
 
  • Quelle différence entre le Fuka et les autres festivals, déjà initiés dans le pays, ces dernières années?
Je ne sais pas. Mais je crois qu’ils sont un certain nombre à se noyer dans les pièges de l’événementiel. Un festival est un moment festif, mais pas que. Il doit aussi permettre de générer du changement dans nos réalités immédiates. Tout le monde veut avoir son festival dans nos villages, mais peut-être qu’il est temps de penser à des dynamiques porteuses de vie, et non à de simples programmations sans avenir. On a besoin d’un festival qui impacte nos vies, et non de vulgaires objets de divertissement. Il faut que nos projets s’inscrivent dans une forme d’économie durable, par exemple. Ce qui n’intéresse pas toujours. La facilité veut également que nous passions notre temps à quémander notre existence auprès des partenaires, au lieu de penser à produire des dynamiques qui nous rendent autonomes sur nos territoires. Des dynamiques viables, qui nous grandissent dans le temps…
 
Propos recueillis par Nba
 

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