Selon le site de l’Unesco, dans toutes les régions du monde vivent des peuples autochtones. Ils détiennent, occupent ou utilisent 22% des terres de la planète. Au nombre de 370 à 500 millions, les peuples autochtones représentent plus de la moitié de la diversité culturelle du monde.
Originaire des Comores, l’aventure photographique de Michkati Madi s’oriente depuis quelques années vers ces ethnies dont l’existence et l’importance sont trop souvent oubliées. Après s’être formée au cadrage auprès d’un ami photographe, elle a travaillé bénévolement dans l’association Bridge the gap à Paris (lutte contre l’illettrisme en France). Son intérêt pour l’humain et le social ne semblait encore qu’à ces prémices, mais pourtant bien présent. Quatre ans plus tard, en 2016, elle emménage à Rennes sur un coup de tête, un coup de cœur : “le centre-ville historique, le marché des lices, la Vilaine, l’accueil chaleureux”.
La photographe laisse alors ce monde de côté, le monde de l’événementiel, et recherche un sens à sa photographie. “J’ai toujours été attirée par l’inconnu, l’aventure”, raconte-t-elle. La rencontre avec un producteur au marché des lices, la famille Bougerie à Saint-Grégoire, lui offre l’opportunité d’une première immersion en Bretagne. De cette expérience naît un intérêt de plus en plus vif pour le terrain, l’essentiel et la transmission, l’aurore d’un travail photographique à plus grande échelle.
“Intensité du regard etexpressivité du visage”
Habituée à la photographie de reportage, “la photo volée”, Michkati Madi trouve un sens à son travail à l’issue d’un heureux accident survenu lors d’un voyage en Thaïlande, en 2018. “Je travaille toujours avec un objectif 35 mm, mais pendant mon voyage, il m’est tombé des mains…” C’est, équipée de son objectif de secours, un 105 mm, qu’elle rencontre les tribus Akha et Karen, peuples autochtones vivant reculés à Chiang Rai, à l’extrême nord de la Thaïlande. “J’étais vraiment paniquée, mais je voulais quand même garder des souvenirs donc j’ai fait des portraits”, précise-t-elle.
Ce n’est qu’à son retour à Rennes qu’elle prend connaissance de ses photographies et qu’elle s’attarde sur les portraits. Ces personnes qu’elle a côtoyées et appris à connaître se matérialisent en HD et l’expressivité de leur visage la bouleverse, particulièrement celui d’une femme Akha. “Cette femme a été le déclencheur. Elle m’a donné envie de montrer ce travail au public, car c’est le portrait craché de ma grand-mère : le même visage, le même regard, les mêmes gestes.”
Suite à la perte de sa grand-mère après son arrivée en France avec sa famille, à l’âge 17 ans, Michkati ne retournera plus aux Comores et laisse son héritage culturel de côté… “Nous étions très proches et j’ai perdu mon repère à ce moment-là. Elle m’a élevée dans la tradition comorienne, mais j’ai mis cette culture de côté et oublié toutes les valeurs qu’elle m’avait inculquées. Il a fallu que je me rende en Asie pour que ces souvenirs reviennent. Cela m’a ramené à ma propre culture.” Son projet éclot de cette prise de conscience. Accompagnée d’un chauffeur, d’un guide local qui parle le dialecte du village et d’un interprète anglais, la jeune femme part à la rencontre des peuples autochtones et de ces cultures anciennes qui ont tant à nous apprendre. Après la Thaïlande en 2018, le Népal et l’Inde suivent en 2019.
Aux origines, nous sommes identiques
Les visites touristiques des villages autochtones voisins ne manquant pas en Asie, il semble naturel de s’interroger quant à l’authenticité. Mais Michkati évite ces zones. Elle sort des sentiers battus et cherche à s’enfoncer réellement dans la culture du pays. Pour cela, elle se dirige à chaque fois à l’extrême nord des pays.
Son aventure l’amène dans des lieux absents des visit tours, tel que la tribu Chepang (Nepal). Ces anciens nomades vivent en forêt, mais ont été obligés de se sédentariser à cause du gouvernement et des terrains de plus en plus privatisés. “Ils n’ont pas eu d’autres choix que de s’installer. À terme, l’idée est de les ramener en ville.” En Inde, elle s’aventure dans le district de l’Arunachal Pradesh, une zone très protégée où elle réussit à entrer après trois essais à la frontière.
Quand Michkati arrive dans les villagesson but étant d’abord de partager, échanger et faire connaissance, elle ne sort son appareil que le dernier jour. “Si les photos sont aussi expressives, c’est parce que j’ai partagé le quotidien des familles pendant un mois, cela crée des liens.”
Touchée par ce qu’elle découvre, cette philosophie de vie lui semble également familière, proche de celle apprise enfant, “la communauté, l’entraide et la solidarité. Chacun est à sa place, a son rôle. La femme travaille la terre, l’homme chasse et l’enfant s’occupe d’aller chercher de l’eau par exemple.” Chacun se sent important et utile. Éloignés de ce tourbillon qu’est la société actuelle et de ces problématiques parfois on ne peut plus superficielles, les différentes ethnies ne s’attardent que sur l’essentiel. “La transmission de l’héritage culturel est leur préoccupation première.” Dans l’éclat d’un regard ou l’honnêteté d’une expression, les photographies de Michkati montrent sérénité, sagesse et joie de vivre. Ainsi que cette volonté de préserver leur culture dans le respect total de la nature, là où l’Occident, entre autres, l’exploite pour le profit et la production. “Ils sont la nature. Ce n’est pas un lieu que l’on va l’exploiter, ils savent qu’ils en font partie”, le maillon d’une chaîne.
Une histoire se cache derrière chaque photographie, chaque sourire. Ces peuples s’évertuent à conserver une culture ancestrale malgré la difficulté de plus en plus grande, notamment avec la désertion de la jeune génération.Avant de se rendre en Afrique et en Éthiopie, la crise actuelle oblige la photographe à regarder autour d’elle. Pourquoi pas la Bretagne? “J’y vis depuis quelques années et la culture bretonne est très riche et présente dans la région. Certains musiciens ne jouent que des instruments bretons et ne chantent qu’en breton. Dans le centre de la Bretagne, des personnes ont réussi à conserver des pans de la tradition bretonne. Cela m’intéresserait d’aller à leur rencontre.”Nous avons évolué, mais surtout oublié que “l’homme moderne” est également passé par là. Aux origines, nous sommes identiques. Et au regard de cette exposition, c’est certainement l’un des messages les plus importants à retenir.
*Larges extraits d’un article paru dans Unidivers.fr