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Mwarangoma une place pour les djinns dans le Hambu

Mwarangoma une place pour les djinns dans le Hambu

Culture | -   Nassila Ben Ali

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L’endroit est un lieu de culte. Les gens s’y rendent pour solliciter l’appui des forces invisibles. Pour y converser avec le monde des djinns. Il y a ceux qui quémandent leur protection face aux mauvais coups de la vie, ceux qui demandent leur bénédiction pour un mariage ou encore ceux qui viennent là pour résoudre leurs problèmes de stérilité.

 

Opvwa Mwarangoma[1] ou Marema Ngoma (les joueurs de tambours, rapport à la musique des rituels de possession) est un « endroit-culte ». Des personnes issues des quatre coins de l’archipel viennent s’y recueillir, chaque année, surtout avant la fin du ramadan. L’endroit se trouve en pleins champs (Bweni & Sangani), à l’Ouest de Singani, un village de la région du Hambu. Au creux d’une rivière à l’humeur changeante, selon les saisons. D’après Ali Msaïdie Tadjiri, il s’agit d’une place publique (bangwe), où les djinns, en présence de leur chef, se réunissaient, jadis, pour se leurs fêtes ou cérémonies rituelles. « On nous racontait que Singani était une cité de djinns », indique notre interlocuteur, qui, dans sa jeunesse entendaient parler des sites où demeurait tel ou tel autre djinn.


A l’entrée nord de Singani, par exemple, il y avait le badamier de Tumtum, au sud le manguier de Walori. Il y avait ces lieux connus sous le nom de pvo yitrandadjuu Kwambani ou de Pvo djufuni. Ali Msaïdie ajoute que les djinns étaient censés habiter entre la zone dite « du virage », située près de l’ancien garage de redressage de Singani, et le pont, en descendant vers les champs de Bweni, Mrodjuu, Djufuni, Sangani, Mizizeni et Mawundini. « Il arrivait que l’on aperçoive des gens », ressemblant à des personnes connues, mais qui n’étaient pas « ces personnes-là ». Un classique ! Les djinns sont connus pour leur capacité à se jouer des humains. A ces endroits, s’érigent nombre d’arbres associés au monde des djinns, dont les fameux Mri mudu, Mwantrani, Mvundze, et autres arbres à lianes. Certains se laissent parfois emporter par les eaux de la rivière, de temps à autres, mais pas les baobabs que les Anciens assimilent à des foyers pour ces créatures de l’autre monde.

Un lieu de prières pour les humains

Le lieu-dit Pvwa Mwarangoma est assurément un lieu de prières pour les humains. La liste est longue des habitués. Ceux qui sont à la recherche de personnes disparues. Ceux qui œuvrent à la protection de leurs villages ou de leurs foyers. Ceux qui bénissent leurs mariages. Ceux qui combattent leur stérilité. A l’approche du mois de ramadan, ils arrivent, par nombre incalculable, de plusieurs localités, pour y quémander une forme de paix pour les leurs. Les djinns ont pour habitude de s’effacer du paysage durant ce mois sacré. Pour le bon fonctionnement de leurs rituels, ces femmes et ses hommes n’y viennent pas les mains vides, bien sûr. Des normes et des codes régissent les échanges entre le visible et l’invisible. Même la manière de s’habiller entre en jeu. Le rouge, le blanc, le bleu. Des couleurs singulières, charriant des senteurs rares. Lorsqu’ils sont dans la place, les djinns laissent s’échapper des odeurs autres que celles des humains.


Il y a aussi la nourriture, qui leur est offerte, qui dégage des odeurs spécifiques. Cette nourriture, selon notre interlocuteur, est composée de banane, de manioc, de patate douce, d’igname et de toute sorte de grains, tels que le maïs ou les haricots. Originaire de Hetsa, Ali Yassin est un habitué des séances de possessions, maître en sciences occultes. Il insiste sur les offrandes de bananes mûres, de riz, de lait, de miel d’abeille, de canne à sucre, de cabris rouge (danga), de coqs rouges (kudume lande) et de pâtisserie comorienne (gudugudu, surtout). Les djinns ont bon goût ! La preuve que les djinns acceptent d’honorer la demande qui leur est, c’est lorsque la nourriture disparaît, parce que mangée par eux.
Le lendemain, il ne reste plus rien, dans ce cas, à l’endroit de l’offrande. Les «demandeurs » doivent ensuite chanter et danser legala (ngoma ya madjini), durant trois à sept jours ou durant sept fois trois jours, selon les services demandés et les indications du maître, qui se nomme humblement mndrumwa, serviteur, ou hiri sha madjini, autrement dit « siège pour djinns ».

Ces esprits sont-ils toujours là ?

Ali Yassin nous dresse le récit de ce lieu. Marangoma est tenu par deux djinns, Mwarangoma et sa femme, Ngozi. Le couple aurait dix-neuf enfants, dont Baba, Dadi, Rihi, Simba et Marwana. Ce lieu serait fréquenté par des djinns aux histoires diverses, lors des cérémonies, à savoir le roi des djinns de la région, Tumtum. Ce dernier résidait à l’époque sur le badamier de la cité.
Il y aussi la présence signalée d’un tas d’autres convives à ces soirées particulières. Balafilu, dont la caverne se trouve entre Mbabani et Dzahadju. Walori, dont la résidence se nichait sur le grand manguier au sud du village. Mazawanga, reine de la caverne du littoral à Singani. Mwanabadi, du lieu-dit Pvo yilangaza, hikodjuu Hetsa. Mnasamba, de Mbabani. Nanga, Risi, Wabalu kanga la mirodjo, et bien d’autres, dont on ignore les noms.


Le nom de Mwarangoma viendrait selon la légende des battements de tambours -fantômes qu’ont entendait résonner dans cette zone. « On racontait que le maitre des lieux aimait le tambour. Quand on était à Singani, Hetsa et même Mdjoiezi, on entendait le gala se jouer. Peut-être que c’était un musicien-djinn », commente Ali Yassin, qui affirme qu’actuellement le gala se fait plus entendre du côté de Hamnasamba, sur les côtes de Mbambani. Ces esprits sont-ils toujours là ? « Oui », répond Ali Yassin. Il dit avoir dirigé récemment une cérémonie dans ces lieux, suite à la disparition d’un habitant de Singani, non retrouvé, jusqu’à lors : « On a prié sept jours durant, et dans la nuit du septième jour, il est réapparu. Mais les proches de la famille n’ont pas osé l’approcher. Pour l’attraper. Il est donc reparti », dit-il, pour conclure.

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