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Politique culturelle : désamour entre les artistes et leur administration

Politique culturelle : désamour entre les artistes et leur administration

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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Malgré la richesse et la diversité de la culture comorienne, force est de constater que l’action de la direction de la Culture, depuis plusieurs années laisse à désirer. Elle n’a pas eu l’impact escompté sur le terrain, suscitant des interrogations parmi les artistes et acteurs culturels.

 

Durant plusieurs années, la direction de la Culture a dû composer avec des moyens limités et des défis persistants. Le pays ne dispose toujours pas d’un Centre culturel répondant aux normes, ni d’une école de musique, et encore moins d’un conservatoire ou d’une académie dédiée. Pour certains artistes, cette situation reflète une forme d’immobilisme. «La première fois que j’ai cherché à contacter la direction de la culture, c’était pour une demande d’aide pour un billet d’avion pour une formation à Lomé au Togo. J’avais envoyé mon dossier au ministère de la Culture et on m’a suggéré de contacter la directrice de la culture. Je me suis présentée au téléphone et lui ai expliquée ma situation et elle m’a raccrochée au nez en soulignant qu’elle ne me connaissait pas. Depuis, je ne me suis jamais rapproché d’elle. Je trouve qu’elle ne s’intéresse pas à nous, surtout les danseurs, car on ne l’a jamais vue dans nos événements même si on l’invite. Elle ne connaît même pas notre existence», témoigne la danseuse professionnelle Naïla’s, qui représente dignement les Comores sur la scène internationale, notamment avec la Compagnie Tche-za.


Souvent mise en cause, la directrice de la Culture a régulièrement évoqué le manque de budget pour justifier les limites de ses marges de manœuvre. Elle s’est aussi appuyée sur les conventions internationales ratifiées par les Comores pour défendre ses efforts dans la structuration du secteur. Mais du côté des artistes, l’impatience est palpable. «Je ne peux rien dire de son bilan. Plus de 12 ans que je suis membre du collectif Art 2 la plume et deux ans depuis que je travaille pour le Label Watwaniya Production – donc deux structures culturelles du pays –, je n’ai jamais connu une initiative de la directrice pour le développement des arts ou de la culture. Pour moi, c’est juste une pâle figuration déconnectée de tout ce qui se fait dans l’art et dans la culture», s’insurge le slameur Soule Antoy Abdou.


Le président du Centre de création artistique et culturel des Comores (Ccac-Mavuna), Soumette Ahmed, s’étonne de la longévité de Wahida Hassani à ce poste sans «renouvellement» ni «évolution notoire». «C’est du laisser-aller et les gouvernements successifs ne s’interesse pas à la culture, sinon on lui demanderait des comptes et des bilans. En plus, nous avons des ministres qui défilent à ce poste mais sans conviction ni volonté. Si j’ose me permettre, ce sont de véritables profiteurs de ce ministère qui est laissé à l’abandon total. Aucune réflexion, aucun projet, pas de volonté, rien. Mais par contre, ils savent bien profiter et jouir de ces fonctions», estime-t-il, avant d’ajouter : «Le bilan de Wahida n’est pas négatif mais plutôt catastrophique et triste.» Et de poursuivre : «Cette mauvaise gestion de la culture fait que les artistes, une fois que l’occasion se présente, fuient le pays. Pour mieux rebondir, et rattraper le temps perdu, il faut détacher la culture de ce ministère. Le cas contraire, rien ne marchera pour la culture et pour la jeunesse».


Contactée pour réagir à ces critiques, Wahida Hassani n’a pas souhaité faire de déclaration. Parmi les artistes qui ont également pris la parole, le chorégraphe Seush et la danseuse professionnelle Takia Ali Ahmed ont eux aussi exprimé leur frustration. Toutefois, Seush invite à élargir le débat. «Est-ce que l’art et les artistes comoriens sont développés ? Non. Je trouve qu’on ne doit pas tout remettre seulement sur le dos de Mme Wahida. Soyons honnête. Dans le gouvernement, qui s’intéresse au développement de l’art dans notre pays ? Aucun. L’erreur, c’est de remettre toutes les fautes sur une seule personne. C’est tout le système qu’il faut remettre en question. Pourquoi pendant plus de 20 ans rien n’a changé, rien n’est bâti et que les artistes se plaignent. J’avais conseillé à un grand frère qui est toujours au gouvernement qu’il faut mettre quelqu’un de passionné à la tête de la culture. Quelqu’un qui serait prêt à en découdre», confie-t-il.


La journaliste culturelle Mohamed Ali Nasra, de La Gazette des Comores, propose une lecture plus nuancée. «L’absence de politique claire pour les archives, le manque de moyens pour la formation artistique, ou encore la fragilité des liens avec les collectivités locales, ont pesé sur l’efficacité des actions de la directrice de la Culture. Je reconnais sa capacité à dialoguer, à rassembler, et à porter une parole sincère en faveur de la culture. Mais au-delà des discours et des intentions, le secteur attendait une transformation plus profonde. Aujourd’hui, il appartient à la nouvelle génération de responsables de s’appuyer sur les fondations posées, tout en dépassant les blocages structurels qui ont trop souvent freiné l’élan culturel de ces dernières années», conclut-elle.

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