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Prix Rfi-Auf des jeunes écritures 2025 I Toilhati Mohamed nominée!

Prix Rfi-Auf des jeunes écritures 2025 I Toilhati Mohamed nominée!

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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La Comorienne va s’opposer à des candidats de 44 pays et tenter de décrocher le Prix du public ou celui du jury, le 15 septembre prochain

 

L’animatrice culturelle au Clac de Mitsudje, dans le Hambuu à Ngazidja, et membre du Parlement régional des jeunes de l’Océan Indien, Toilhati Mohamed a été nominée, le 1er septembre dernier pour la finale du Prix Rfi-Auf des jeunes écritures 2025. C’est avec son texte Ose le dire : par l’écrit ou l’oral, qu’elle s’est démarquée des trois cent trente candidats venant de quarante-quatre pays. Deux Prix sont à pourvoir : Le Prix du public qui se fait déjà en ligne jusqu’au 14 septembre prochain et le Prix du jury.


«Pour moi, atteindre la finale est une immense fierté, d’autant plus que je ne m’y attendais pas. Au départ, j’avais même trois jours de retard parce que j’étais en voyage et je n’avais pas vu mes courriels. Quand j’ai découvert que j’étais finaliste, certains candidats avaient déjà plus de cent votes, alors que moi j’étais à zéro. Je me suis dit que ce serait impossible, que je n’allais même pas atteindre trente votes et j’ai pensé à abandonner en me disant qu’il était difficile à croire que le jury choisisse mon texte», a révélé Toilhati Mohamed avant de se convaincre que, comme dit l’adage, «qui ne tente rien n’a rien».


«Alors j’ai envoyé le lien partout, à ma famille, à mes collègues, sur les réseaux sociaux.Et au moment où je préparais mon retour aux Comores, je me suis reconnectée et j’ai vu que j’avais dépassé la barre des cent votes et ça m’a redonné confiance, parce que je partais de rien et pourtant j’ai pu avancer et dépasser certains candidats qui avaient commencé bien avant moi», a-t-elle expliqué.La délibération des deux Prix se fera le 15 septembre. Pour rappel, la participation des candidats à cette nouvelle édition a atteint un record en passant de deux cent trente candidats à trois cent trente.

«Juste pour que mon texte soit lu!»

«Près de cent contributions supplémentaires. Un grand bravo et un immense merci à toutes celles et ceux qui ont pris la plume cette année. Le concours prend une nouvelle dimension et révèle une francophonie littéraire jeune et engagée», devait publier, à ce propos, l’agence universitaire de la francophonie sur sa page Facebook.


L’animatrice culturelle au Clac de Mitsudje considère que devenir finaliste est déjà une victoire pour elle et espère plus de votes jusqu’à la clôture, le14 septembre. Le vote du jury se tiendra le 12 septembre. «Mon objectif principal était que mon texte soit lu, qu’il soit connu, et surtout qu’il puisse toucher. En voyant les retours, je sais que l’histoire a résonné auprès de nombreuses personnes, des jeunes gens comme des jeunes femmes. Rien que pour ça, je me sens déjà gagnante, peu importe le résultat final», a-t-elle conclu.

 

Ose le dire par l’écrit ou l’oral. «Je ne peux pas raconter d’où je viens. J’ai tout oublié»

 

«C’est ce qu’elle disait parfois, le regard éteint, la voix paisible. Comme si son passé s’était effacé de lui-même, sans laisser de trace. En vérité, elle se souvenait de tout. Le corps, lui, n’avait rien oublié. Il gardait en mémoire des gestes, des souffles, des silences que la mémoire aurait voulu effacer. Elle n’était pas née sans histoire. Elle portait en elle une brisure ancienne, aussi réelle que sa peau.
 
Elle avait 8 ans, ou peut-être 7. Elle portait ce jour-là une robe bleue, ornée de petites fleurs blanches. Elle s’en souvenait précisément. On lui avait dit qu’elle était jolie, bien élevée, douce. Il l’avait dit aussi. Il avait souri. Il avait parlé d’une voix calme, presque affectueuse. Il lui avait dit qu’elle était spéciale, qu’elle pouvait lui faire confiance. Il avait tendu la main, et elle, dans l’innocence tranquille de l’enfance, avait pris cette main-là.
Elle n’avait rien compris, pas tout de suite. Puis il avait fait ce qu’aucun adulte ne devrait faire à un enfant. Elle n’avait pas crié. Elle s’était simplement figée. Son corps s’était éloigné d’elle, comme pour ne pas sentir. Le monde avait ralenti. Le silence s’était installé, épais, durable.
Les jours avaient repris comme si de rien n’était. L’école, les jeux, les repas. Autour d’elle, les enfants riaient, couraient, chantaient. Elle aussi, en apparence. Elle imitait les gestes, les mots, les rires. Mais elle n’était plus tout à fait là. Quelque chose en elle s’était refermée. Une voix intérieure s’était tue. Elle était devenue muette de l’âme.

Il ne l’avait pas frappée. Il n’avait pas menacé. Il avait pris ce qu’il voulait sans laisser de marque visible. Et parce qu’il n’y avait pas de blessure apparente, elle n’a rien dit. Ni à sa mère. Ni à ses tantes. Ni à ses professeurs. Elle avait peur de n’être pas crue. Peur qu’on dise qu’elle exagérait, qu’elle ne comprenait pas. Elle espérait que si elle restait silencieuse assez longtemps, tout cela s’effacerait.
Mais le silence ne guérit pas. Il creuse. Il pousse dans les gestes, les regards, les nuits blanches. Il devient un langage, un masque, une prison. Pendant longtemps, elle a fui les regards, tremblé au moindre contact, souri trop fort pour masquer les pleurs. Elle se haïssait sans nommer pourquoi.
 
Elle aurait voulu oublier. Mais il n’y avait rien à tourner, ni page, ni livre, ni chapitre. Juste un vide. Et une question obstinée : pourquoi elle ?
 
Et puis un jour, elle a rêvé. C’était la nuit, et dans son rêve, elle se mariait. Elle portait une robe ivoire, simple et belle. Il l’attendait, debout sous un ciel d’été. Elle l’aimait. Doucement, sans le connaître vraiment. Il lui tendait la main, et elle la prenait. Dans la chambre nuptiale, il lui disait des mots tendres, il lui demandait de le rejoindre dans leur lit – leur nid, disait-il – leur abri. Elle le regardait. Elle voulait l’aimer, vraiment. Mais tout à coup, elle se mettait à pleurer. Non parce qu’il était brusque ou dur, non. Parce qu’elle avait peur qu’il découvre qu’on lui avait arraché sa fleur dans un désert. Elle avait peur de ce regard qu’il aurait peut-être, ce soupçon, ce silence. Peur d’être perçue comme une femme abîmée, privée d’innocence, incapable d’aimer sans trembler. 
Elle s’était réveillée en larmes.
 
Ce rêve ne l’avait pas quittée. Il lui avait fait comprendre que la blessure était encore là, tapie, vivace. Alors, ce jour-là, elle avait pris un stylo. Trois phrases. Dix. Une page. Et elle avait continué. Ce n’était pas prémédité. C’était vital.

Depuis, elle écrivait. Non pour devenir écrivaine. Mais parce que l’écriture la sauvait. Dans ses carnets, elle déposait ses souvenirs, ses hontes, ses élans. Écrire, c’était respirer à nouveau. C’était reprendre possession d’un corps longtemps déserté.
 
Elle avait trouvé refuge dans les livres, et un jour, elle s’était inscrite à l’université, en Lettres modernes. Elle lisait Duras, Ernaux, Yourcenar, Cixous. Elle admirait leur manière de nommer la douleur, sans détour, sans pudeur factice. La langue était devenue son alliée. Elle apprenait à décortiquer les textes, à débusquer les silences dans les phrases, à saisir l’implicite dans l’ombre des mots.
Son mémoire, qu’elle rendrait en juin, portait sur la mémoire traumatique dans la littérature féminine contemporaine. Elle avait choisi ce sujet parce que, sans se l’avouer, elle y cherchait quelque chose d’elle-même. Lire les autres lui permettait de mieux se comprendre. Écrire sur les autres lui donnait le courage d’écrire sur soi 

Elle n’était pas guérie. Mais elle allait mieux. Elle marchait. Elle se redressait. Elle n’attendait plus de justice. Elle n’espérait plus d’aveux. Mais elle croyait aux mots. À leur puissance douce. À leur manière d’ouvrir des portes intérieures.
 
Ce texte, elle l’envoie pour un concours. Ce n’est pas pour cela qu’elle l’a écrit. Elle l’a écrit parce qu’il fallait que ça existe. Parce qu’il fallait que ça sorte. Parce que peut-être, en le lisant une autre comprendrait qu’elle n’est pas seule. Qu’elle n’est pas coupable. Qu’elle n’est pas brisée.
 
Elle n’écrit pas pour gagner. Elle écrit pour que le silence perde».

 

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