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Shongo dunda alias Nyumbadjuu : un patrimoine oublié

Shongo dunda alias Nyumbadjuu : un patrimoine oublié

Culture | -   Maoulida Mbaé

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Le lieu chargé d’histoire n’est, désormais plus, que ruines. La végétation sauvage s’est attaquée aux murs vieillis des bâtiments, la rouille cerne le reste des engins de la scierie. Le tout croule sous le poids de l’indifférence générale. L’association «Les amis de Nyumbadjuu» y organise deux fois par an, des «Journées propres» histoire de donner un semblant de vie à l’ancienne «capitale socio-économique» de l’île de Ngazidja. Elle dénonce le «total désintérêt des pouvoirs publics ».

 

Djuumwashongo, dans la commune de Hambuu ya Ntsini mwapanga, au sud de Ngazidja. La place dite “Lavutu djuu” grouille plus ou moins de monde, ce dimanche 10 mars. Il est 10 heures passées. Des jeunes, membres du Croissant rouge comorien ou simples “Amis” de Nyumbadjuu, appelé également Shongo dunda, s’apprêtent à longer, à travers forêt, la pente sinueuse, longue de 1 km 200, qui mène vers l’ancien domaine de Léon Humblot. Un site chargé d’histoire, longtemps délaissé aux aléas de la nature.
Ce n’est, en effet, qu’en 2005 que l’association “Les amis de Nyumbadjuu” a vu le jour, sous l’impulsion de l’inspecteur pédagogique Boinaheri Mlamali et de feu Ali Moussa Mwandze, un enseignant chercheur de l’Université des Comores (Udc). «Le site porte l’histoire des Comores à l’époque coloniale. Il était dans un état déplorable. Ils ont entrepris de le réhabiliter», explique l’actuel secrétaire général de l’association, Azhar Mohamed Mlamali.
Les amis de Nyumbadjuu y organisent, deux fois par an, des «Journées propres» comme celle de ce dimanche. C’est la première de cette année 2019. L’affluence est loin, cependant, ce matin, d’être à la hauteur des attentes des organisateurs.

« Frustration »

Seuls le Croissant rouge et un groupe d’écoliers du Lycée public de Pimba – site de Inane – ont répondu présents. Aucune trace d’un quelconque membre de l’Office national du tourisme, encore moins de la Direction régionale du tourisme. A qui, pourtant, des invitations en bonnes et dues formes ont été envoyées.
«Si j’avais un message à faire passer dans le journal, ce serait ma frustration par rapport à ce total désintérêt du gouvernement», lâche Azhar, qui fait office de guide.
Et pas que de circonstance. Le jeune homme, sans avoir fait de grandes études, connait, en effet, dans les moindres détails l’histoire de ce site qui fût le centre névralgique des activités du français, Léon Humblot. «Je me suis documenté. En plus de formations, ici et là, dans le domaine de tourisme», explique-t-il.
Celui que l’on connait dans l’archipel sous le nom de Mshambulu (Mshe = monsieur, et Hambulu = Humblot), a mis les pieds sur l’île de Ngazidja en septembre 1884, en tant que botaniste. Une année plus tard, soit le 5 novembre 1885, il signait un accord de protectorat avec le sultan “tibe” (sultan des sultans) de l’époque, Saïd Ali bin Saïd Omar. Celui-ci lui donnait, en échange, le droit d’appropriation et d’exploitation des terres inoccupées sur l’ensemble de l’île. Un accord qui ne sera véritablement accepté par le gouvernement français qu’en 1886.
C’est dans les hauteurs de Djumwashongo, une zone fertile et fortement arrosée, que le botaniste installe son domaine. Un véritable empire. Il disposait d’une résidence, un hôpital, une mairie, une boulangerie, un cachot et, surtout, d’une scierie pour la transformation du bois. «C’était la capitale socio-économique de l’île», rappelle Azhar.

Ruines

Aujourd’hui, ce lieu chargé d’histoire n’est que ruines. La végétation prolifère sur les murs vieillis des bâtiments tandis que la rouille cerne le reste des engins de la scierie.
Les agents du Croissant rouge comorien s’emploient, tant bien que mal, à débroussailler les passages. Pendant que dans la grande salle de ce qui fût la demeure de Mshambulu, notre guide donne une petite leçon d’histoire aux élèves du Lycée de Pimba, avant d’entamer la visite proprement dite du domaine. Etrangement, c’est un prof d’Anglais qui les accompagne. «J’organise chaque année des sorties pédagogiques avec mes élèves, tant des établissements publics que privés, dans les différents sites touristiques de l’île. L’intérêt est qu’ils s’imprègnent de l’histoire du pays. C’est à eux d’assurer le relai», argue Chabane Bacar Abdou.
A l’étage, la fenêtre de la demeure donne toujours, superbement, sur la mer et la localité de Singani, où le commerçant français avait installé son entrepôt. Ici, seule la citerne, toujours pleine, semble résister à l’œuvre du temps.
Anzlati Mohamed, en classe de 1ère S, repart l’esprit plein de souvenirs. «Je ne regrette pas du tout d’être venue. J’ai beaucoup appris. J’ai surtout été impressionnée par l’hôpital et la prison. On dit que quand la porte était fermée, les détenus avaient du mal à respirer», raconte la jeune femme, pas loin des tombes du «grand sultan blanc» Mshambulu et de son beau frère, Charles Legros, là où prend fin symboliquement la visite.

Avenir?

Les “Amis de Nyumbadjuu”, eux, ne savent pas de quoi demain sera fait. «Nous ne tirons rien du site. Les maigres revenus suffisent à peine à rémunérer les veilleurs de nuit. Nous continuons à l’entretenir, malgré tout. Il le faut. Ça reste notre patrimoine. Et un jour, peut-être, il nous rapportera», laisse entendre le bénévole, Moustoifa Cheikh.
Oui, un jour, peut-être…

Dayar Sd

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