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Tissus traditionnels et patrimoine textile I Quand la polémique enfle

Tissus traditionnels et patrimoine textile I Quand la polémique enfle

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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Les tissus traditionnels représentent un patrimoine culturel indéniable qui permet d’identifier les personnes, les pays ou les continents. Aux Comores, l’absence de production locale de tissus fait dire à certains que ces îles n’ont pas de patrimoine textile. «Tant qu’on pourra parler de tissus africains, les Comores peuvent s’identifier à cette production et en faire un patrimoine propre», estime le couturier, Saïd Daroueche.

 

Les tissus traditionnels représentent plus qu’un objet de décoration ou un simple habit. Ils constituent un moyen d’afficher son identité culturelle. Les couleurs, les techniques de confection, les motifs, les lieux qu’ils représentent, les personnes qui les confectionnent ou les portent permettent de définir l’identité et l’originalité du tissu.
A l’heure actuelle, en Afrique, un phénomène de retour aux «sources textiles» semble suivre son bonhomme de chemin et permette aux tissus traditionnels d’être les véritables ambassadeurs de l’identité culturelle de régions entières du continent.


Aux Comores, les traditionnels sahari, subaya, mkumi, kanga, mauwa, hami, kaplana, tafsida, saluva et autre shiromani sont les plus valorisés et sont portés à l’occasion de manifestations culturelles bien spécifiques. Certains sont même portés selon la catégorie sociale et, parfois, une entrave à la règle est très mal vue et peut même vous valoir de gros ennuis aux sein de la société traditionnelle.

A pays divers, patrimoine pluriel

Cependant, des polémiques surgissent entre identité des tissus et patrimoine textile? Les Comores peuvent-elles s’identifier à un tissu dont elles ne produisent pas? Une interrogation qui a court parfois même chez les couturiers de la place.Bien que des chercheurs du Centre de documentation et de recherches scientifiques (Cndrs) et une enquête réalisée par l’étudiante de l’ancienne Enes, Safiat Mahamoud, aient minutieusement pris le temps de définir les habits, les origines et les tissus traditionnels comoriens dans la revue scientifique Yamkobe, le débat ne semble pas tranché.


En effet, en l’absence de production locale de tissu, certains estiment que beaucoup de tissus et d’habits dits comoriens ne le sont, en fait, pas. La semaine dernière lors de la remise de la Coupe du monde au Qatar, l’Argentin, Lionel Messi, a été habillé en bushti, un habit qui fait partie intégrante de l’habillement comorien lors de célébration de noces depuis des centaines d’années. A cette occasion, sur la toile, certains, une minorité il est vrai, ont pu poster que «le bushti est un habit arabe et non comorien» en oubliant un peu trop vite, selon toute vraisemblance, que les Comores sont la somme d’une très grande diversité culturelle.


Pendant les défilés de mode et les concours internationaux, différents pays africains s’identifient par le même tissu, notamment, avec le wax, le djawa ou encore le sahari. Les sociétés prennent connaissance de l’identité de la personne et du message qu’elle transmet dans la manière dont le tissu est attaché ou porté. Une manière qui renferme un code propre, authentique et décryptable par les communautés sources. «Tant qu’on continuera à parler de «tissus africains», les Comores, peuvent s’identifier à ces tissus et en faire leur patrimoine. On ne peut pas considérer que tout revient à la seule production. Les motifs du shiromani, par exemple, sont propres aux Comoriens alors que le tissu n’est toujours pas produit au pays. Quand une société porte particulièrement un tissu, elle en fait, automatiquement, son patrimoine», soutient le couturier, Saïd Daroueche.

Appel à «démocratiser»

Cela, même si, pour sa part, le styliste Abdou Chakour, soutient qu’il n’est pas toujours aisé, pour les stylistes comoriens, de défendre un «patrimoine textile authentique» dans un pays où aucun tissu n’est produit.A l’heure actuelle, certaines communautés africaines encouragent, de plus en plus, le retour aux tissus traditionnels notamment à travers les styles, la technique, et la vente bon marché. Aux Comores, c’est loin d’être le cas, comme d’ailleurs, pour beaucoup de secteurs liés au patrimoine culturel. Aucune politique n’est engagée pour faire la promotion des habits et du savoir-faire comorien dans le domaine et tout est en train de se réduire à un bout de tissu pourvu de valeur économique et esthétique loin d’un instrument à valeur patrimoniale qui représenterait un peuple, une Nation ou un continent.


«Les prix et le rang sociale ne permettent pas à tout le monde de s’habiller comoriens, ce qui complique notre identification par le tissus. Le fait d’être contraint de nous en procurer à l’étranger fait que nous ne pouvons pas nous permettre de proposer des créations à la portée de tous. Par ailleurs, en ce qui concerne les habits traditionnels, je pense qu’il faut mettre fin aux histoires de rang sociale et permettre à toutes et tous de les porter librement sans avoir à craindre d’être mis au ban de la société, car c’est cela qui va permettre à toute la communauté nationale de s’identifier par la tenue», estime, la créatrice de la marque Za Mode, Zamouanta Saïd Hamza.
Un appel à démocratiser qui n’est sans doute pas tout près d’être entendu.

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