Il n’entend pas et ne parle pas. Il est jeune et très social. Il joue au football et se passionne de danses traditionnelles. Il ne se fait aucun complexe. D’ailleurs, il faut le côtoyer plus d’une fois avant de pouvoir découvrir ses handicaps.“Il”, c’est Toilib Ben Youssouf. A dix-neuf ans, il vient de décrocher son Brevet d’études du premier cycle du second degré (Bepc), avant-hier, mardi, en passant au second groupe avec mille six-cent-quarante-cinq jeunes. Ce 15 septembre, il a accueillait la proclamation des résultats avec un grand sourire, une des manières de montrer ses émotions, avant de les exprimer par écrit en ses mots : “je ris maintenant, mais tout à l’heure, je pleurais. Ma mère aussi”.
Pour échanger avec, il faut savoir être patient. Tantôt, il préfère répondre par écrit comme lorsqu’il devait mentionner les noms de papa et maman. “Youssouf Ahamada et Fatima Idjihadi”, signe-t-il.
Assidu
Toilib est d’une mère de Nyumamilima ya Mbwankuu et d’un père de Shamle. Il est le benjamin d’une fratrie de trois gaillards. “Toilib n’est pas seulement un élève assidu, il est également un très bon footballeur et danse mieux encore”, résume son frère aîné Soufiyane Ben Youssouf. Toilib est un des chorégraphes de l’Association culturelle de Nyumamilima (Acn). Il y dirige notamment le sambe et le shigoma, deux des danses les plus populaires aux Comores. C’est pour vous dire…
Au village, il est connu pour son amour pour le cuir rond. Mais aussi pour son fanatisme pour la star portugaise de la Juventus de Turin : “Il adore Cristiano Ronaldo. Il essaye de l’imiter quand il exécute un coup de pied arrêté. Il se coiffe de crêtes et s’équipe aux couleurs turinoises ou du Real Madrid. Tout ça pour tenter de ressembler à son idole”, précise son coéquipier au club Amitié de Nyumamilima, Karani Ali.
Quand il ne se livre pas à sa passion du football, c’est qu’il passe son temps avec son smartphone. “Il ne s’en sépare jamais. Il joue trop avec en regardant des extraits de matchs de Cr7 ou de vidéos”, précise son grand frère. Mais Toilib, c’est aussi un automobiliste. “En 2019, il a fait un accident de la circulation à Shezani où il a suivi ses cours secondaires. Cela lui a couté son année scolaire. Il devait passer le Bepc l’an dernier mais par peur de s’y rendre il a sacrifié ses cours”, se souvient sa mère.
Cette année, il a, donc, suivi ses cours à l’Ecole communautaire de Nyumamilima ya Mbwankuu (Ecnm) où il a fait l’école primaire. “Il ne séché jamais ses cours contrairement à certains de ses camarades valides. Il n’a jamais redoublé de classe. Il a réussi l’examen d’entrée en sixième et le Cepe, en 2014. En plus de sa bonne mémoire, il a une folle envie d’apprendre”, assure son ancien directeur générale de l’école primaire, Youssouf M’madi Moussa.
Son enseignant au Ce2 estime que Toilib est un élève modèle. “Il faisait correctement ses devoirs, suivait les leçons si attentivement que parfois il m’arrivait de douter de son infirmité”, lâche Fundi Adinane Mnemoi avant d’avouer qu’il lui arrivait de s’interroger sur comment Toilib faisait pour rendre toujours de bonnes copies alors qu’il ne s’agissait pas de cours adaptés à ses infirmités et que lui-même il n’est pas un instituteur spécialisé dans l’enseignement des sourds-muets.
Une “leçon de vie”
Toilib se veut “swagg”. Ses proches n’apprécient pas la façon dont il tond ses cheveux. Parfois il les défrise, parfois les teint et le plus souvent il se taille de crêtes. Ces looks particuliers ne l’empêchent cependant pas de prier régulièrement. D’ailleurs quand on lui parle de prière, il pointe en souriant son sidjida*. “Toilib devient furieux quand on lui fait des reproches par rapport à ses coupes de cheveux parfois bizarres”, témoigne son ami, Karani Ali.
Toilib est un “scientifique né”. Au Bepc, il a eu 13/20 en mathématiques, 12 en physique-chimie et 10 en sciences naturelles. C’est dans ces épreuves qu’il a engrangé ses meilleures notes. “Je sens une grande fierté sur le visage de ma mère”, communique avec une gestuelle explicite.
“C’est tout à fait normal que je le sois. Mon sourd-muet a eu le Bepc alors que son grand frère qui ne souffre d’aucun handicap a quitté l’école depuis des années. Le parcours social, scolaire et sportif de Toilib est une grande leçon de vie, surtout quand on vient d’une localité aussi reculée et peu développée comme Nyumamilima”.
Une autre sourde-muette native de la même cité, Richina Hassani, va composer le Bepc dans deux ans. Il faut espérer que l’envie d’apprendre de Toilib va inspirer beaucoup de jeunes locaux dont l’enseignement ne semble malheureusement plus être une priorité.
*Marque laissée sur le front suite aux prosternations obligatoires face à terre lors de la prière musulmane
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