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Veillée de contes familiale en perdition I Tirer la sonnette d’alarme!

Veillée de contes familiale en perdition I Tirer la sonnette d’alarme!

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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Où est donc passé ce petit cercle familial dans lequel les enfants restaient figés à l’écoute d’histoires, devant la transmission de rites, d’éducation, de rires, de culture et de sagesse?

 

Aussi longtemps qu’on s’en rappelle, les contes avaient fait partie, aux Comores, de la vie familiale. Aujourd’hui, cette littérature orale à complètement disparue, laissant un vide «comblé» notamment par les écrans de tout genre désormais omniprésents. Les histoires racontées par les anciens disparaissent avec eux, faute d’avoir été contées, valorisées et partagées. Au «Bon vieux temps», après le dîner, enfants et tout petits-enfants formaient un cercle pour écouter la voix d’une grand-mère, d’une tante, et autres figures parentales pour écouter des histoires «venues d’un autre temps». Des moments qui a étaient, bien plus qu’un divertissement, un moyen d’éducation, de transmission de rites et de la Culture et où les liens entre générations se tissaient dans un cadre convivial.

«Ma grand-mère me manque terriblement…»

«Je me rappelle des moments de contes avec ma grand-mère, mon père, ma mère et des amis du quartier. Nous avons appris plus que des histoires de djinn, mais des péripéties de vie et de conseils instructifs. Cela avait contribué à forger notre imaginaire, avec une écriture facile. Je me rappelle qu’en classe de troisième, les sujets d’histoires imaginées étaient mon dada. Cela était, certainement, le fruit des contes de ma grand-mère», affirme Amina Maoulida, qui «regrette» qu’elle n’ait pas réussi à installer cette culture de veillées de conte dans sa petite famille. «Aujourd’hui, mes enfants ignorent ce que c’est que le Hale et les légendes comoriennes», déplore-t-elle.
Dans de nombreux pays de tradition orale, le conte était une affaire de famille, et les Comores ne faisaient pas exception. Dans cet espace, les enfants apprenaient à écouter, à laisser opérer leur imagination, mais aussi à mémoriser et à raconter à leur tour.


Cette oralité transmise dans l’intimité familiale façonnait la mémoire, le langage, les valeurs, les croyances et même l’identité.
«Je n’ai jamais oublié les hale sur Ibunaswiya, un personnage bien connu des Comoriens à cette belle époque. Ma grand-mère me manque encore. Je pense que ses contes aux milles conseils étaient bien conçus pour faire de nous des personnes sages. Même les histoires de Djinn qui devaient nous faire peur, nous apprenaient, au même moment, comment faire face à la vie et ses aléas», raconte Saïd Ali.
Les enfants comoriens écoutent encore des histoires mais à travers des tablettes, des dessins animés et d’autres applications numériques. Ce ne sont plus les voix familières de leurs proches, mais celles d’inconnus ou de personnages numériques qui ne forgent pas leur imaginaire sur les empreintes culturelles qui forgent une identité propre à l’espace de résidence.

«Et si on éteignait les écrans?»

«Ma fille connait «Blanche neige» et d’autres personnages de dessins animés et contes étrangers mais pas Mna shifwishifwi et Ibunaswiya. C’est bien de ma faute, je le concède. Les contes familiaux sont souvent porteurs de valeurs locales, de coutumes propres à chaque région ou famille. Leur disparition constitue une perte de mémoire collective, un appauvrissement de notre Culture», est «convaincu» Karim Mohamed. Le lien affectif, la chaleur humaine, le regard complice entre le conteur et l’enfant, se sont perdus. Et on s’étonne que les enfants cherchent à imiter ce qui vient d’ailleurs. «La première fois que j’ai entendu des contes, c’est avec le Congolais Jorus Mabiala au Ccac-Mavuna à Moroni. J’ai été surpris de découvrir que son spectacle rendait hommage à l’écrivain et conteur comorien Salim Hatubou. C’est regrettable que ma génération ne connaisse pas les contes comoriens bien que nous avons eu en Salim Hatubou un grand artiste et conteur qui a bercé bien des générations de Marseille, où il vivait à Moroni, entre autres», a déclaré Mourad Salim.


Et si on éteignait l’écran et demandait aux enfants s’ils veulent bien qu’on leur raconte une histoire? Cela pourrait être un bon début. Et si en milieu scolaire et dans les bibliothèques ont rajoutait des ateliers de contes en plus du slam, de la danse et du théâtre qui se font de temps à autres? «Je pense que l’abscence de politique culturelle de mise en valeur de notre identité et de préservation de la mémoire collective contribue à la disparition de plusieurs pans de notre patrimoine et , donc, les contes en milieu familial. Il nous faut tirer la sonnette d’alarme sur la disparition des valeurs qui fondent notre pays», lance, pour sa part, Moussa Saïd.

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