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Vert cru de Touhfat Mouhtare : On n’est pas obligé de tout porter sur soi

Vert cru de Touhfat Mouhtare : On n’est pas obligé de tout porter sur soi

Culture | -   Dayar Salim Darkaoui

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“Chacun est libre de choisir la part d’héritage qui lui convient”. L’auteure devait, en même temps que son personnage, découvrir plus tard, entre autres éléments de mémoire, que son pays a été un carrefour de la traite d’êtres humains et à quel point les descendants des traiteurs pouvaient avoir honte”. Elle a fait, ainsi, face, pour ainsi dire, au «poids de la mémoire». Cependant, prévient-elle, “on n’est pas obligé de tout porter sur soi”.

 

Elèves, étudiants, universitaires et autres amoureux de la littérature se sont retrouvés au Centre national de documentation et de recherches scientifiques (Cndrs), mardi, pour une conférence-débat autour du roman Vert cru de Touhfat Mouhtare. De passage aux Comores, l’auteure comorienne s’est livrée sur sa passion pour l’écriture et sur la genèse de son roman, avant de se prêter au jeu des questions réponses avec l’audience. «J’ai toujours été attirée par l’écriture», a-t-elle lancé évoquant sa jeunesse passée “à confectionner, avec des amis” des magazines à partir de bouts de papiers greffés. Cet attrait pour l’écriture, explique-t-elle, relèverait d’un «besoin de s’exprimer dans un milieu où il n’est pas toujours facile de faire entendre sa voix. Surtout, quand on est de nature réservée». L’écriture devient, ainsi, l’expression de la «liberté». C’est à partir de ce mot, d’ailleurs, qu’a pris forme le roman. A partir, exactement, d’une discussion avec son père au sujet «d’esclaves du père de mon père venus partager leurs récoltes et solliciter auprès de ce dernier leur affranchissement». «Cette anecdote m’a beaucoup marquée», dit-elle s’interrogeant sur «ces chaines que nous portons et qui pourtant ne nous appartiennent pas». Vert cru veut être un questionnement sur l’héritage, sur «le poids que les Comoriens portent en eux sans en être conscients».

Se réaliser

Le roman s’ouvre avec le crash du vol 626 de la Yemenia Airways en 2009 au large des Comores et la mort du pilote de l’appareil qui n’est autre que le père adoptif de Rhen, une comorienne élevée en France, qui décide après le malheureux évènement de partir sur les traces de sa mère biologique sur l’île de Ngazidja aux Comores. «Le crash sert d’élément déclencheur, c’est un prétexte donné au personnage pour se questionner sur son identité. Ce drame relie les Comoriens d’ici et de France, il instaure entre eux un dialogue», soutient-elle répondant à une élève. Et si Rhen est muette, c’est «parce qu’elle avait besoin de se taire pour entendre ce que son histoire avait à lui dire». A l’instar de son personnage, Touhfat Mouhtare découvrira dans ce «voyage» certains aspects de son pays dont elle ignorait complètement l’existence. Elle découvrira, par exemple, que les Comores furent un carrefour de la traite d’êtres humains et combien les descendants des traiteurs pouvaient avoir honte. Elle fera face, pour ainsi dire, au «poids de la mémoire». Pour l’auteure, l’on n’est pas obligé de tout porter sur soi. Chacun est libre de choisir la part d’héritage qui lui convient. Vert cru se présente donc comme «un roman règlement de comptes» avec la mémoire. «C’était ma manière à moi de me réaliser», concède la romancière. De l’avis du directeur général du Cndrs, Abdallah Nouroudine, l’interrogation sur le rapport entre mémoire et identité, «exploitée de manière profonde dans le roman», trouve écho dans cette institution.

“Quelque chose de ce que nous sommes”

«Nous n’avons pas l’impression d’être déconnectés de ce pourquoi nous sommes là. C’est une fiction, certes, mais une fiction qui dit quelque chose de ce que nous sommes». L’on est, poursuit-il, «toujours dans cette démarche de constituer notre histoire, de comprendre notre culture». L’interrogation a, en tout cas, suscité de réactions diverses dans le public. Touhfat Mouhtare s’est, elle, montrée «ravie qu’il y ait eu autant de dissonances». «Les retours ont été aussi intenses que lorsque j’écrivais le livre», devait-elle confier.

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