Il semble loin l’épisode «traumatisant» où des policiers lui ont coupé les longs cheveux *qu’il chérissait. C’est en tout cas ce que raconte Yaz, dessinateur, peintre et graphiste. Lui jure-t-il, ne s’attarde pas sur le passé. Il va de l’avant toujours, assure-t-il, dans un grand éclat de rire. Mais quand on lui demande si son cœur ne sursaute pas un tout petit peu à la vue d’un flic, il répond : «un peu quand même», concède-t-il, le regard soudain plus grave.
Jeudi 31 octobre, nous devions nous entretenir avec lui au siège d’Al-watwan. Il vient pile à l’heure convenue. Un poil longiligne, la tête avec un léger duvet, les yeux rieurs, Yaz semble croquer la vie à pleines dents. Dans une main un cahier, dans l’autre un stylo, il s’assoit et se prête facilement au jeu des questions réponses. Et dessine le nez de Nourina Abdoul-Djabar, une de nos journalistes. «Mon nez n’est pas aussi gros», se plaint-elle à la vue du résultat. «C’est parce que tu ne tenais pas en place alors qu’il aurait fallu que tu te tiennes immobile durant au moins deux heures, j’ai donc dû improviser.», dit-il, hilare.
Sans peine, il évoque son enfance. De son père jadis camionneur, maintenant chauffeur de bus, de sa mère qui s’occupait du foyer et qui continue de le faire. De ses frères et sœurs.Dans sa famille, des oncles ont quelques facilités pour le dessin, cela aide. «Je suis une fois tombé sur le portrait qu’un oncle avait fait de son grand frère, j’étais impressionné» se rappelle-t-il. Sans le savoir, il vient de trouver sa voie. Le dessin devient une passion qui ne le quittera plus. Il se souvient, un brin ému, de la première fois qu’il a fini un portrait «Je devais avoir 7 ans, j’ai dessiné Mickey Mouse (personnage de dessin animé créé par Walt Disney, ndlr) au stylo rouge sur du papier calligraphié, j’étais satisfait ‘de ouf’ même si quelques cousins ne me croyaient pas», rembobine-t-il. Plus tard, il est encouragé par ses professeurs au collège, notamment ceux de Svt (sciences de la vie et de la terre). De temps à autre, ils font appel à lui «pour dessiner un squelette au tableau noir. Mes profs ‘en vrai’ me donnaient de la force» déclare-t-il.
Yaz dit ‘de ouf’, ‘donner de la force’, autant d’expressions prisées des jeunes. D’ailleurs son visage aussi est juvénile. Il doit encore avoir la vingtaine mais quel âge exactement ? Il refuse de répondre, entretenant une part de mystère. Tout comme il ne s’étale pas sur les raisons qui l’ont poussé à quitter la maison familiale alors qu’il n’a pas encore 16 ans. « Je suis tombé amoureux de la liberté, aussi dès que j’ai pu, je suis parti », se borne-t-il à répondre. Aussi jeune ? «Oui, je voulais prouver que je pouvais m’en sortir par moi-même et ma mère a fini par comprendre». Tout de même, il n’est pas parti bien loin. Au début, il vivait avec sa tante maternelle. Avant d’aller un peu plus loin.
A Hankounou, Moroni, non loin de la Corniche. Il a vécu là, à l’en croire, sa meilleure vie. «Je vivais entouré de vidéastes, de photographes, des comédiens, des dessinateurs au Laboratoire d’arts», dit-il. «C’était une ambiance exceptionnelle, j’ai compris que l’art c’est le partage, l’entraide. Nous nous efforcions de contribuer aux charges de la maison mais en réalité les plus grosses dépenses étaient payées par Khair qui était photographe et dont le local appartenait à la mère’», insiste—t-il, toujours reconnaissant.
Vivre tant bien que mal de son art
Mais les bonnes choses ayant une fin, la propriétaire de la maison nommé «Laboratoire d’arts» l’a reprise. Les copains artistes sont attirés par cet ailleurs qu’ils voient à la télévision et un par un quittent le pays, à destination du Sénégal de la France. Mais lui est désormais plus expérimenté. En plus du portrait au stylo Bic, il peint des fresques murales et parvient à vivre tant bien que mal de son art, «c’est fonction des commandes reçues». Entre-temps, il passe son baccalauréat, l’obtient. S’inscrit à la faculté de Lettres Modernes, laisse tomber avant la fin de l’année. «Je ne veux rien faire qui ne soit pas en rapport avec l’art», soutient-il. «Les études, c’est bien quand elles aident à concrétiser nos rêves», poursuit-il.
Il regrette que seules la musique et la danse soient prises en considération par les pouvoirs publics. «Nous autres, sommes mis de côté », estime-t-il. Yaz qui dit adorer Léonard de Vinci (peintre italien de génie né en 1452 en Toscane en Italie et mort en 1519 en France, ndlr) ou plus près de nous, Salvador Dali, (artiste espagnol né en 1904 en Espagne et mort en 1989 dans le même pays, ndrl) aimerait bien voyager pour poursuivre ses études à l’étranger. « Le Canada pourquoi pas, l’Amérique c’est la liberté », lâche-t-il. « Ou alors la Chine, ce pays dégage quelque chose d’unique en son genre, il m’inspire ». Entre les deux pays, son cœur balance. Mais il est sûr que dans l’un ou dans l’autre pays, s’épanouira celui pour qui «qui l’art est sa respiration»n
*A la mi-octobre, dans une opération controversée, des policiers coupaient les chevelures fournies des hommes,
«pour lutter contre la délinquance»
"Yaz dit ‘de ouf’, ‘donner de la force’, autant d’expressions prisées des jeunes. D’ailleurs son visage aussi est juvénile. Il doit encore avoir la vingtaine mais quel âge exactement ? Il refuse de répondre, entretenant une part de mystère. Tout comme il ne s’étale pas sur les raisons qui l’ont poussé à quitter la maison familiale alors qu’il n’a pas encore 16 ans." |