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«Au service de la France» I L’histoire oubliée des tirailleurs comoriens

«Au service de la France» I L’histoire oubliée des tirailleurs comoriens

Culture | -   Mahdawi Ben Ali

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Auteurs, photographes, réalisateurs et autres artistes racontent l’histoire des tirailleurs africains qui ont combattu pour la libération de la France à la première guerre mondiale. Celle des jeunes pêcheurs et agriculteurs enrôlés pour la même cause, semble être passée par la trappe. Dans son ouvrage «Les Comores au service de la France (1914-1918)», Mmadi Hassani Abdillah tente de raviver cette mémoire de gens qui ont donné jusqu’à leur vie pour une guerre qui n’était pas la leur.

 

En cette période de crise mondiale marquée par le conflit russo-ukrainien, les puissances «occidentales» incitent à une prise de position des pays africains, tout comme lors de la Première guerre mondiale, dans un conflit qui n’est pas forcément le leur. Dans ces conditions, on comprend aisément que les regards soient rivés sur l’ouvrage de l’historien, Mmadi Hassani Abdillah, «Les Comores au service de la France (1914-1918)».


L’ouvrage paru aux éditions Coelacanthes tente de rouvrir le débat sur les tirailleurs comoriens de la Première guerre mondiale, ces pêcheurs et agriculteurs paisibles qui allaient être jetés sur la ligne de mire de la puissance de feu de l’Allemagne nazi, sans aucune formation militaire, pour défendre sa puissance colonisatrice, la France, alors sous occupation allemande.Comme pour celle des victimes du tristement célèbre «Visa Balladur», la mémoire de ces tirailleurs comoriens est oubliée. Bien d’historiens et auteurs ont couché sur le papier l’histoire de la Grande guerre et le rôle joué par les tirailleurs africains aux côtés de leurs colonisateurs.

Pour que l’histoire ne se répète pas…

Mais, hélas, celle des Comoriens enrôlés dans le Régiment somali formé exclusivement par des Malgaches, des Djiboutiens ou encore, des Somaliens, est toujours enfoui dans la boue de Verdun où ils ont, tous ou presque, donné jusqu’à leurs propres vies.«Il me semble que les tirailleurs comoriens soient oubliés dans l’histoire de cette Grande guerre. Parmi les ouvrages généraux consacrés aux soldats noirs, les plus connus sont ceux de Marc Michel et de Jacques Frémeaux. Dans leurs écrits aucun mot en hommage aux soldats venus des îles comoriennes. C’est à se demander si ces grands historiens du monde contemporain connaissent l’existence de l’Archipel des Comores, pourtant sous domination française depuis 1842. Doit-on se fier à l’hypothèse selon laquelle les historiens ne distinguent pas les Comoriens des Malgaches parce que, entre 1912 et 1946, l’archipel des Comores était une province de la colonie de Madagascar?», s’interroge l’historien, Mmadi Hassani Abdillah.


George Sabtayana affirmait que «ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre». C’est ce qu’essaie d’éviter Mmadi Hassani Abdillah avec cette piste de réflexion dans Les Comores au service de la France (1914-1918). L’auteur retrace les parcours inédits de tirailleurs comoriens, leurs vécus, leurs tourments qui ont perduré entre 1913 à 1918. Le Journal des marches et opérations (J.m.o) a, également, permis d’avoir une idée des chiffres sur les premiers comoriens enrôlés dans cette guerre. C’est ainsi qu’on estime que le «Bataillon somali» comptait, dans un premier temps, 5% de tirailleurs comoriens, soit autour de soixante-quinze personnes, puis 25%, soit plus de deux cent éléments, le 1e janvier 1919.


Malgré cette quasi-inexistence, des rapports évoquent, cependant, la présence de tirailleurs comoriens dans les plus grandes offensives de l’Union française notamment à Verdun en 1916 et à Chemin-des-Dames en 1917. «Verdun», cette bataille sanglante dans lequel sept cent mille hommes ont péri sous le feu allemand et dans laquelle de nombreux Comoriens ont succombé aux côtés de leurs frères d’arme malgaches et somaliens.
En mars 1917, environ soixante-quatre tirailleurs comoriens ont pris part à la victoire de la France contre l’Allemagne quelques jours après le retrait stratégique de cette dernière sur la ligne de Hindenburg. Dans son ouvrage, l’auteur dévoile une liste de cent vingt-neuf tirailleurs comoriens emportés par cette guerre dont ils ignoraient jusqu’aux tenants et aboutissants.

Conserver la mémoire

Pourtant, les Comoriens gagneraient dans une valorisation de la mémoire nationale quel que soit la forme qu’elle pourrait prendre. Dans les rapports du colonel Bouet, on décrit le Bataillon somali comme étant exemplaire : «Les Comoriens, dont l’apparence et le caractère se rapprochent un peu du Bambara, bien que d’apparence robuste, ont moins réagi que les Somaliens contre la fatigue et les intempéries. Bien encadrés au combat, ils obéissaient bien à leurs chefs, mais manquaient en général de mordant (…) Le Bataillon somali s’est révélé une troupe de choc d’excellente valeur qui a donné grande satisfaction», y rapporte-t-on.


Les Comoriens ont donc joué, notamment au sein du Bataillon somali, un rôle non négligeable en faveur de la France dans l’issue de cette guerre qui n’est en rien la leur, et dite «mondiale» en 1914-1918. Près d’un siècle après, avec l’introduction de l’incroyable visa-Balladur, des dizaines de milliers d’entre eux périssent en tentant de rejoindre une partie de leur territoire national occupé, depuis bientôt un demi-siècle, par la même France.


«L’histoire des Comores dans la première guerre mondiale se caractérise par un sentiment d’oubli. Ceci m’a conduit à mener pendant quelques années des recherches pour répondre à la problématique selon laquelle les Comoriens de la grande guerre sont les oubliés de l’histoire, aussi bien de la micro-histoire que de la micro-histoire sociale. Aux Comores, aucune politique nationale n’a été conduite en faveur de l’histoire et de la mémoire nationale. Cet oubli est bien la preuve que les Comores restent un espace de recherche mal connu», écrit Mmadi Hassani Abdillah.

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