Il est vingt heures passé, ce dimanche 2 septembre 2018. Le foyer Banati al Juzur de Mbeni, chef lieu du Hamahame à Ngazidja, est plus ou moins plongé dans le noir. Ici et là, disposés entre les chaises, des mdjali, taya et autres gandile, pour éclairer cette «Nuit de l’oralité». Un décor rétrospectif de ces temps où, assis au milieu d’une poignée d’enfants, les anciens narraient leurs hala halele. En ces temps-là, il n’y avait ni micro ni haut-parleurs pour porter la voix du vieux orateur. Cette nuit non plus, il n’y aura pas de ces artifices de ce qu’il est convenu d’appeler les «temps modernes». Le vent murmurera le verbe aux oreilles de l’auditoire, de tout âge et de tout rang, lequel attend silencieux le début du spectacle quand… soudain… une voix chantonnant sort des profondeurs de la salle. Celle de Moussa, ou bien Pnatsho, du groupe Mbeni ngoma : «Karidjashangaya nezaridjiliya / Zinu ziyeneya harimwa eduniya / Mtsiritsesheye nyi mwaridjiliya / Wunu ndowakati pvo wabadiliha… Haraka haraka kayina baraka. Nyi mwazweya hufanya emashaka / Mtsi ritsesheye nyi mwa ridjiliya. Wunu ndowakati pvo wabadiliha…».
Le «Bangwe de l’oralité», ce festival des arts et de la culture, pouvait véritablement commencer, après la série d’activités organisées dans la matinée. A commencer par la visite du musée de la ville. N’était-ce pas, d’ailleurs, dans ce «besheyo la utamaduni» (la formule est de l’écrivain Aboubacar Said Salim), dans un état plus qu’inquiétant, qu’aurait dû se tenir, symboliquement, le débat autour de «l’oralité au profit du développement». Ou peut-être dans le «Bangwe la mirongozi», comme avait rétorqué l’ancien ministre Mohamed Abdou Soimadou, lors du débat. Il est ressorti de cet échange tenu dans l’après-midi dans la grande salle de la mairie de Nyuma Msiru, qu’il fallait avant tout songer à protéger notre langue. «La mort de notre langue signifie la mort de nos traditions», avance Nadjloudine Abdelfatah – spécialiste en linguistique africaine et auteur de «Pour apprendre le shingazidja» – selon qui «nous autres Comoriens nous sous-estimons. Nous ne prenons pas la pleine mesure de la richesse de notre langue».
Pour une journée nationale de la culture
Le «Bangwe de l’oralité» fera, naturellement, la part belle à la langue de Mbae Trambwe. On comptera, dans la soirée, trois textes en français seulement. «Je vis là où la réflexion est réprimée, je viens de là où les consciences sont en crise. Dans cette jungle, je prends du souffle, j’interromps mon encre pour sécher mes larmes. Juste un moment, avant de reprendre», déclame notamment la slameuse, Intissam, restituant les déboires du pays. Le reste des textes déclamés voire chantés est fait de shayinri, nyandu, nkoho, pohori, bora, hala halele, etc. «Leo tsi mwando tsi mwiso. Ritukuha pvo ramhundrani. Maesha mema na mparano na mwelewano wa dayima ndo riwombao. Mdja Mbeni, mwafaka nanyi…», clôture Anlaouddine Youssouf dans un kaswida décliné en slam, repris par la cinquantaine de personnes présente cette nuit du dimanche au foyer Banati al Juzur.
Aboubacar Said Salim, qui a assisté à l’événement du début à la fin, n’a pas manqué de faire part de sa satisfaction à l’issue de la soirée. «Ce que j’ai eu à voir aujourd’hui me laisse plein d’espoir», a-t-il dit plaidant auprès du gouvernement pour «une journée nationale de la culture chômée et payée».Pour le médecin Mbae Toybou, «cet événement est à sa place à Mbeni, une ville de tradition et de culture, et reconnue comme tel par tous». «Il faut les encourager dans ce sens dans la mesure où ce genre d’activité contribue au développement culturel du pays»,affirme-t-il parlant des jeunes à l’initiative de l’événement, en tête desquels le slameur Rahim El Had qui estime que l’événement est une «réussite à 80%». Rendez-vous pris pour 2019, pour une deuxième édition dont on espère une réussite, cette fois-ci, totale. Narionana !