Rock Sakay. Histoire ou fiction ? Une fiction dans l’histoire, résolument. N’est-ce pas ce qui fait le charme de ce chef-d’œuvre qu’est Titanic, la fiction dans l’histoire, l’amour dans la tragédie ? Car la Sakay, c’est en quelque sorte une tragédie.
“La Sakay, cette vitrine du colonialisme français, cette terre prise aux Malgaches pour y installer une coopérative d’agriculteurs réunionnais […]” (p. 25).
Elles étaient, au départ, une quinzaine de familles à quitter La Réunion, en 1952, pour la terre promise, la Sakay (“piment”, en malgache), du nom de la rivière qui borde cette région de la Grande île. Ce qui n’était auparavant qu’une grande étendue de bozaka (herbes) deviendra en quelques années une ville prospère, accueillant plus de 200 familles réunionnaises, et portera désormais le nom de Babetville, en hommage à Raphaël Babet, instigateur du projet.
Mais, comme avec le Titanic, le conte de fée n’aura pas duré longtemps, un quart de siècle à peine. Le bateau sakayen se fracassera contre les manifestations étudiantes de 1972, qui “avaient porté au pouvoir des militaires qui demandaient ouvertement le départ des colons” (p.25). Le début de la fin. Les familles réunionnaises commenceront peu à peu à fuir la région.
L’arrivée au pouvoir en juin 1975 du socialiste Didier Ratsiraka scelle définitivement le destin des Réunionnais de la Sakay. En 1977, ils seront dépossédés de “leurs” terres, renvoyés à La Réunion, ou voués à l’exil en métropole.
Certains auront du mal à quitter ces terres pour lesquelles ils ont tout sacrifié, et n’auront d’autre recours que le suicide (le père Boyer dans le roman).
Rock Sakay, publiait en 2016 aux éditions Gallimard, est le premier roman d’Emmanuel Genvrin. “Une sorte de road movie” entre Madagascar,
Une quête désespérée
La Réunion et la France. Jimi (pour Jimi Hendrix), jeune réunionnais originaire du Tampon, passionné de rock, traverse le temps pour nous livrer
une histoire plutôt méconnue, sinon taboue, de la colonisation française de Madagascar par des Réunionnais.
Au cœur de l’histoire, une femme : Janis (pour Janis Joplin), une créole rousse et endiablée. Jimi et Janis se sont connus au collège, ils répétaient Roméo et Juliette, et Roméo est tombé amoureux de Juliette. “[…] Mais ça ne [lui] a pas porté chance” (p. 175). La flamme, jamais ne s’éteindra. J
imi vivra avec l’ombre de Janis. Roméo ira par-delà l’océan à la recherche de sa Juliette dans les tréfonds de Madagascar, cette patrie perdue. La quête de l’amour devient ainsi une quête désespérée des sources. À la fin, Rose ou Janis, mourra ; et Jimi ou Jack, au bord de la rivière Sakay, comme Orphée et sa lyre, empoignera sa guitare et chantera sa tristesse. Eurydice est perdue à jamais. La Sakay n’est plus qu’un lointain souvenir.
La romance entre Jimi et Janis est un prétexte pour raconter le passé colonial entre Madagascar et La Réunion. Et qui est le mieux placé pour le faire sinon un jeune réunionnais originaire du Tampon. Une chose est sûre, le livre est bien documenté.
Peut-être un peu trop. Les références historiques s’enchaînent, mêlées à la fiction. Il arrive souvent au lecteur de se perdre. Mais, quelquefois, il faut savoir se perdre pour se retrouver. Et comme Jimi, le lecteur “trouve toujours sa voie”.
Rock Sakay est un mélange “savant” de musique et de théâtre. Un livre haut en couleurs. Un opéra à ciel ouvert. À lire, absolument !
“Emmanuel Genvrin est né en 1952, d’un père normand et d’une mère belge. Il a un oncle malgache et des souvenirs familiaux en Haïti. À La Réunion, il a fondé le Théâtre Vollard.”