“Avant, on dédouanait un conteneur à 1,9 million de francs. Maintenant, ça tourne autour de 2,5 et 3 millions de francs comoriens. D’où vient cette augmentation ?”. Devant la presse nationale, le jeudi 16 janvier dernier, le président du Synaco, Mohamed Mouigni Daho, avait un ton grave, expliquant vouloir libérer “une douleur” partagée, selon lui, par une bonne partie de commerçants du pays qui voient leurs chiffres d’affaires se tarir au fil des mois. “De nombreux commerçants vivent de difficultés, il y a cinq cent entreprises au bord de la faillite. Et si on met fin à nos activités, c’est tout le secteur privé qui va disparaitre. Et on ne peut pas parler d’émergence sans un secteur privé fort”, a poursuivi Mohamed Mouigni Daho, sans doute pour pousser le ton un peu plus fort et sensibiliser au plus haut niveau des autorités. “Nous souffrons au quotidien, des commerçants sont à bout de leurs forces, il faut ouvrir des discussions de fond pour trouver de solutions et un terrain d’entente le plus vite possible”, a dit le patron des commerçants, hier après-midi au téléphone.
Depuis quelques mois, un bras de fer oppose des importateurs à l’administration générale des douanes au sujet de la valeur transactionnelle appliquée désormais pour toutes les marchandises en instance de dédouanement dans les centres douaniers du pays. Tout commence après l’immobilisation, il y a des semaines, d’un conteneur appartenant à Amine Kalfane, patron des établissements Agk, classé dans le top 5 des gros importateurs des Comores. On ignore si le conteneur a été finalement dédouané ou pas.
L’homme d’affaires, habitué, jusqu’ici, à payer des montants bien précis pour dédouaner certains produits, a été appelé à revoir sa calculette. Alors qu’il s’apprêtait à payer “la somme de 73,378.839 millions de francs”, les inspecteurs-vérificateurs lui avaient formellement indiqué que le conteneur de cigarette Pall Mall et Benson valait plutôt “91 millions”, soit 18 millions de plus.
“Négocier pour clarifier”
Les organisations patronales, à l’exemple de la Nouvelle Opaco, étaient montées au créneau pour dénoncer “des matraquages douaniers”, en allusion à ce qu’elles considèrent comme “une hausse des taxes” à la douane. “C’est la somme qu’Amine Kalfane paie toujours pour dédouaner ce produit. Pourquoi lui demander de payer plus aujourd’hui”, s’était demandé le patron de la Nouvelle Opaco, Mahamoud Ali Mohamed, pour qui “des négociations” entre les opérateurs économiques et l’administration des douanes “sont nécessaires pour clarifier cette situation”.
Depuis quelques temps, certains milieux veulent lier “la hausse des prix de certains produits importés” à ce dialogue de sourds entre certains importateurs et l’administration générale des douanes. Il serait difficile de confirmer une hausse des prix des produits importés faute d’une enquête de terrain fiable. Le prochain bulletin de l’Indice des prix à la consommation (Ipc) de l’institut national des statistiques et des études économiques et démographiques (Inseed) nous le dira.
Mais en attendant, la grogne des importateurs reste en l’état. Le syndicat national des commerçants (Synaco) porte aujourd’hui le flambeau de la revendication puisque “de nombreux commerçants vivent la même situation au sujet de la valeur transactionnelle des marchandises”. Pour eux, les mécanismes d’évaluation de la valeur des produits et autres marchandises sont décidés “de façon unilatérale”. A les entendre, la douane a procédé à “une hausse des tarifs”, menaçant d’entrer en grève illimitée à partir de demain, mercredi.
“Juste un réajustement...”
Une appréhension rejetée par les autorités douanières qui, elles, parlent plutôt d’un réajustement de la valeur transactionnelle désormais adaptée au prix réel ou approximatif de la marchandise à dédouaner. L’administration des douanes estime que de nombreux opérateurs auraient profité pendant des années pour modifier leurs factures, “avec la complicité ou l’indulgence de leur boss à l’extérieur” ou souvent avec l’aide de douaniers véreux.
L’astuce consiste à détourner la vigilance des inspecteurs-vérificateurs en remplissant les factures comme bon leur semble, soit pour minorer, soit pour majorer la valeur réelle de leurs produits importés. “Ces pratiques existaient, des commerçants peuvent avoir des factures vierges et remplir les montants qu’ils veulent pour justifier des fausses valeurs”, avait soutenu le directeur adjoint des douanes, Chehi Halidi Mohamed. “Maintenant, ce n’est pas possible, nous avons un système qui corrige toutes les fausses factures declarées, nous connaissons la valeur de tout produit importé selon son origine, sa marque, sa valeur sur le marché régional et international, fini les tromperies et les fausses factures”, a-t-il justifié au cours d’un point de presse aux côtés du receveur central, Ben Salim Zaki.
“Le code des douanes :“point, barre!”
L’administration des douanes engagée, depuis maintenant trois ans, dans un vaste chantier d’assainissement des pratiques pour assoir l’éthique en douane et renouer avec la transparence dit être, jusqu’ici, “en conformité avec les textes réglementaires en vigueur”. Pour elle, “il y a un code des douanes, il faut l’appliquer et point barre”. Si négociations, il devrait y avoir, cela doit passer par les circuits normaux. “Il y a un service en charge du contentieux douanier, il faut le saisir pour toutes les réclamations liées à la valeur transactionnelle. les revendications ne se font pas dans la rue”, répondent les autorités douanières en réplique aux innombrables messages de détresse des importateurs. A ce jour, les négociations entre le secteur privé, les commerçants en particulier, et l’administration douanière n’ont enregistré aucun progrès. Les uns tout comme les autres restent toujours dans leur propre défense. Entre l’urgence de sauver des opérateurs économiques à bout de souffle et la nécessité de faire respecter l’orthodoxie douanière, il serait difficile de présager l’issue de ce bras de fer sans fin.
La grève annoncée ce mercredi 22 janvier pourra-t-elle influer sur le cours des choses et pousser les deux parties à arracher des compromis dans le respect de la loi et la conjoncture socio-économique actuelle ?
AS. Kemba