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Claude Ben Ali, un an à la tête de la Scp I «Le projet d’agrandissement du port de Moroni est au cœur de notre stratégie nationale»

Claude Ben Ali, un an à la tête de la Scp I «Le projet d’agrandissement du port de Moroni est au cœur de notre stratégie nationale»

Économie | -   Maoulida Mbaé

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À l’occasion du premier anniversaire de sa nomination à la tête de la Société comorienne des Ports, Claude Ben Ali a accordé un entretien exclusif à Al-watwan. Retour sur une année de «réformes, de projets et de défis pour moderniser le secteur portuaire national».

 

Cela fait déjà une année que vous êtes à la tête de la Société comorienne des ports. Quel bilan opérationnel et stratégique dressez-vous de cette première année d’exercice ?


Je tiens tout d’abord à exprimer ma profonde gratitude au président Azali Assoumani pour la confiance qu’il m’a accordée à travers cette nomination. Cela démontre l’importance stratégique qu’il accorde à nos ports, véritables leviers de développement, sachant que nombreux pays n’ont pas accès à la mer.
Effectivement, le 19 juillet symbolise une étape clé, celle de ma première année à la tête de la Société comorienne des ports (Scp). Cette période a été à la fois une phase d’observation, de structuration et d’action, dans un environnement institutionnel complexe. Dès ma prise de fonction, j’ai été confronté à l’absence d’un conseil d’administration, un vide structurel qui a retardé le lancement de certains chantiers stratégiques. Malgré cela, nous avons pu jeter les bases d’une réforme ambitieuse de notre système portuaire. Sur le plan opérationnel, nous avons renforcé la présence de la direction générale sur les différents sites portuaires pour mieux comprendre les réalités du terrain et de mettre en œuvre des actions ciblées. Un audit interne des processus a été lancé. La coordination entre les directions techniques a été améliorée et des indicateurs de performance ont été mis en place. Ces outils nous permettent désormais de suivre avec rigueur l’activité portuaire et d’identifier les goulots d’étranglement.

Et sur le plan stratégique ?

Sur le plan stratégique, nous avons entamé l’élaboration d’un schéma directeur portuaire, en collaboration avec nos partenaires techniques et financiers pour aligner les ports comoriens sur les standards internationaux. Cette année a donc marqué une transition fondamentale vers une gouvernance plus structurée, axée sur l’efficacité et la transparence.

Vous vous êtes rendu régulièrement sur les sites portuaires de Moroni et Fomboni. Quelle est la finalité de ces déplacements et comment s’inscrivent-ils dans votre approche de gouvernance ?

Ces déplacements s’inscrivent pleinement dans ma vision de gouvernance de proximité. Un port n’est pas qu’une simple infrastructure logistique, c’est un pôle stratégique pour le développement local, un lieu d’interaction entre transporteurs, commerçants, collectivités et administration. Il est donc essentiel que la direction générale ne reste pas uniquement à Moroni, mais soit présente sur le terrain.
À Fomboni, par exemple, nous avons constaté les difficultés d’accostage, le manque d’équipements techniques et la vétusté des installations. Ces visites ont permis d’établir un diagnostic précis et de hiérarchiser les priorités d’investissement. Elles ont également permis de remotiver les équipes locales, souvent isolées, en leur montrant qu’elles sont pleinement intégrées à notre vision nationale.
Ce suivi territorial permet aussi de lutter contre les pratiques partisanes dans la gestion des ressources humaines. Être sur le terrain, c’est promouvoir une culture de responsabilité, de performance et d’équité. Dans le cadre du projet de connectivité territoriale, le port de Fomboni deviendra un port en eau profonde. Un chantier déjà en cours est confié à Arab Contractors. En attendant, nous avons optimisé l’existant, nous l’avons rendu plus cohérent et rentable. Les résultats parlent d’eux-mêmes.

Le projet d’agrandissement du port de Moroni est un axe majeur de votre stratégie. Où en est-il ?

Ce projet est central dans notre stratégie nationale. Il vise à répondre à deux besoins majeurs : accompagner la croissance du trafic maritime et renforcer l’attractivité économique du pays. Actuellement, le port de Moroni fonctionne à saturation, ce qui engendre des délais de traitement anormalement longs, des coûts logistiques élevés, et une vulnérabilité face aux aléas climatiques.

Sur le plan technique, les études de faisabilité ont été relancées avec le concours d’experts internationaux. Elles sont aujourd’hui en phase finale de validation et intègrent des dimensions d’ingénierie portuaire, de sécurité et d’impact environnemental. L’ambition est de construire une infrastructure moderne, capable d’accueillir des navires de plus grande capacité, avec des services intégrés. Concernant le financement, plusieurs pistes sont actuellement explorées. Nous sommes en discussion avec des bailleurs multilatéraux comme la Banque africaine de développement et la Banque mondiale, ainsi qu’avec des partenaires bilatéraux. L’installation récente d’un nouveau conseil d’administration va accélérer ces négociations et renforcer la gouvernance du projet.

Et face aux carences d’équipements dans les ports comoriens, a-t-on déjà mis en place des mesures pour résoudre ces problèmes ?

Un schéma directeur portuaire a été établi. Il se veut à la fois ambitieux et pragmatique, avec une vision à long terme, 10 ans, articulée autour de trois axes prioritaires, à savoir la modernisation des infrastructures, la digitalisation des opérations, la montée en compétences du capital humain. Sur le volet infrastructures, nous prévoyons la réhabilitation des quais, le renforcement des jetées, la sécurisation des zones de manutention et l’acquisition d’équipements modernes (grues, remorques, balisages, etc. Ndlr).

L’électrification solaire de certaines zones est également programmée, pour améliorer la productivité et réduire l’empreinte carbone. En matière de digitalisation, notre objectif est la mise en place d’un guichet électronique unique portuaire. Cela permettra une meilleure traçabilité des flux et une réduction des délais de traitement. C’est une réforme de fond qui suppose un changement culturel, mais elle est indispensable. Enfin, la formation est une priorité stratégique. Nous réfléchissons à la création d’un institut de formation maritime et portuaire qui sera destiné à former des agents qualifiés, capables d’évoluer dans un environnement internationalisé. Actuellement, 15 agents ont été certifiés en anglais parlé, et d’autres poursuivent leur formation pour atteindre le niveau 1.

Quelles sont vos orientations stratégiques pour le développement des infrastructures, en complément du secteur portuaire ?

Bien que notre mission principale concerne les ports, il serait réducteur de considérer le développement logistique national sans intégrer les aéroports. Dans un pays insulaire comme le nôtre, le transport multimodal est essentiel. C’est pourquoi nous plaidons pour une synergie renforcée entre les ports et les aéroports, en coordination avec les autorités compétentes.
Notre vision est de professionnaliser la gestion des plateformes portuaires, de renforcer la sécurité, et d’instaurer des mécanismes de maintenance préventive. Cela implique notamment la mise en place de plans d’entretien pluriannuels, l’introduction de logiciels de gestion technique et la contractualisation avec des opérateurs spécialisés sur certaines fonctions critiques.

La sécurité numérique est également une priorité. Plus de 60 caméras ont été installées sur les principaux ports, avec des salles de commande désormais opérationnelles. Par ailleurs, nous travaillons en étroite collaboration avec l’Anam (Agence nationale des affaires maritimes, ndlr) et l’Omi (organisation maritime internationale, ndlr), pour renforcer les capacités en sûreté et sécurité. Une formation dans ce sens est actuellement en cours à Mutsamudu depuis le 8 septembre. Enfin, nous croyons fermement à la mise en réseau des infrastructures. Le développement de liaisons maritimes et aériennes inter-îles performantes est essentiel pour réduire les inégalités territoriales et favoriser les échanges. À terme, une gouvernance coordonnée ou unifiée des grandes infrastructures nationales devra être envisagée.

Un mot de la fin ?


Je voudrais adresser un message d’optimisme et d’engagement. La Société Comorienne des Ports n’est pas simplement une entreprise publique : elle est un outil stratégique au service du développement national. Les défis sont nombreux, mais avec rigueur, transparence et vision, nous bâtirons un système portuaire moderne, inclusif et performant.
Je remercie le conseil d’administration pour son appui, les agents de la SCP pour leur professionnalisme, ainsi que nos partenaires pour leur confiance renouvelée. Il est temps de dépasser les logiques partisanes et de travailler collectivement pour construire les Comores émergentes que nous appelons de nos vœux. Je tiens aussi à souligner qu’une délégation de cadres de la SCP se trouve actuellement en Chine pour un séminaire à Ningbo, axé sur la gestion portuaire. Ce programme inclut un volet de transfert de savoirs, notamment sur le développement intégré ports-villes, par le biais du partage de bonnes pratiques internationales.

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