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Laïla Saïd Hassane, directrice exécutive de la Meck-Moroni I « La Meck-Moroni restera fidèle à ses engagements et ses clients»

Laïla Saïd Hassane, directrice exécutive de la Meck-Moroni I « La Meck-Moroni restera fidèle à ses engagements et ses clients»

Économie | -   Nassila Ben Ali

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Après le renouvellement de son mandat par le conseil d’administration à la tête de la Meck-Moroni, Laila Saïd Hassane a accepté de répondre aux questions d’Al-watwan. Plusieurs sujets ont été abordés, notamment le bilan de son premier mandat, l’impact de la Covid-19 sur la Meck et ses grandes priorités. La directrice exécutive de la Meck-Moroni s’est réjouie que, 25 ans après sa création, son institution devienne incontournable sur le plan du développement socio-économique. Laila Saïd Hassane assure qu’en dépit des difficultés, la Meck-Moroni restera fidèle à ses engagements et à ses membres. Interview.

 

Vous entamez, depuis déjà trois mois, un second mandat à la tête de la Meck-Moroni. Quel est votre état d’esprit ?

C’est un honneur pour moi de diriger cette institution. Je suis satisfaite que le conseil d’administration considère que les résultats obtenus pour le premier mandat ont été satisfaisants. Je pense que je veux pouvoir utiliser ce deuxième mandat pour consolider les acquis du premier, consolider la position de la Meck-Moroni dans l’échiquier financier national. Je vais également essayer d’aller au bout de certaines initiatives que nous avons prises, notamment au niveau des jeunes, le financement du secteur productif et le financement de l’entrepreneuriat des jeunes, des initiatives qu’on a lancées mais qui prennent du temps à donner des résultats, mais grâce à ce deuxième mandat, je vais pouvoir aller jusqu’au bout.

Quelles seront vos grandes priorités pour ce second mandat?


Je pense qu’aujourd’hui la taille de la Meck-Moroni est devenue systémique. C’est-à-dire que son évolution aura des répercussions sur l’ensemble du système financier. Cela nous donne des responsabilités supplémentaires. Donc, nous devons renforcer notre professionnalisme, structurer et élargir notre offre, parce que les besoins en matière de services financiers évoluent. Aujourd’hui, il n’est pas simplement question d’avoir accès à l’épargne crédit, mais c’est aussi les services numériques qui vont nous permettre d’offrir de nouveaux services innovants aux Comoriens, mais aussi d’accroître l’inclusion financière. Avec le numérique, on va pouvoir faire des opérations à distance, diminuer les coûts des membres et également diminuer le temps qu’ils y consacrent.

Quel bilan faites-vous de votre premier mandat ?

Entre mon arrivée en 2013 et la fin de mon mandat en juin 2020, la Meck a grandi. Tous les paramètres économiques ont évolué positivement, que ce soit l’épargne, les crédits que nous octroyons, ou les fonds propres de l’institution. Et même physiquement, la Meck-Moroni a évolué. Le personnel, les compétences, les services ont évolué. Le bilan est positif. Maintenant, il y a des axes d’amélioration. Par exemple le financement du secteur productif qui reste une priorité, même si aujourd’hui notre premier secteur reste le commerce. Les conditions d’accès aux crédits restent élevées pour la population, sachant qu’on a diminué le taux d’intérêt et le niveau de garantie. L’accès et la sécurité des opérations de transaction sont des choses que nous devons améliorer. Les transferts internationaux restent également un axe sur lequel les membres nous attendent. Malheureusement, nous n’avons pas pu offrir ce service, lors du premier mandat, alors que la diaspora, les membres, les opérateurs économiques qui ont des opérations à l’étranger en ont besoin. Concernant les points positifs, on peut mentionner une croissance notable, une présence géographique avec deux agences supplémentaires à Volo-volo et à Ntsudjini.

Quels nouveaux produits envisagez-vous d’introduire pour répondre aux besoins des mutualistes ?

Nous pensons au service numérique. Aujourd’hui, nous sommes un peu freinés dans cette envie d’aller parce que nous sommes en projet de révision du système d’information. Nous avons commencé un processus d’achat qui devrait aboutir l’année prochaine si tout va bien. Ce système va nous ouvrir de nouveaux horizons, notamment au niveau des moyens de paiement, que ce soit les cartes bancaires ou bien les paiements numériques via le smartphone, que ce soient les transferts internationaux, les transferts régionaux et nationaux, mais également une plus grande diversité de l’offre de crédit. Ces services nous comptons les opérationnaliser l’année prochaine.

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a impacté toutes les économies mondiales, les institutions financières en particulier. Comment avez-vous vécu cette crise à la Meck-Moroni ?

Cette crise dure depuis maintenant sept mois. Ainsi, nous avons déjà eu à prendre des dispositions spécifiques, lorsque la pandémie présentait un niveau de risques assez élevés, tels qu’une réduction des effectifs, une réduction des services, les mesures de distanciation sociale. À mesure que les autorités allègent les contraintes, nous avions pu reprendre les plannings normaux, même si jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas remis les permanences de fin de journée. Concernant les dispositions financières, nous avons diminué la pression pour les emprunteurs. Le gouvernement nous a demandés de trouver des solutions parce que les clients traversent des périodes difficiles. Un arrêté ministériel et une note de la Banque centrale nous ont demandés de ralentir. Cela veut dire qu’il y a eu une dégradation du portefeuille. Nous n’avions pas de choix. Je crois que le gouvernement avait raison de prendre ces dispositions, mais elles pèsent sur nos capacités propres. Aujourd’hui, notre portefeuille, au niveau des impayés, est important, mais nous arrivons à le supporter. Espérons, avec l’ouverture des frontières, que l’activité va reprendre et que nous allons avoir une amélioration de nos revenus, parce qu’aujourd’hui nous sommes assez loin des objectifs budgétaires de 2020. Nous nous adaptons, mais ça va peser sur les résultats de l’institution et sur le niveau d’atteinte des objectifs budgétaires.

Contrairement à la politique de la Meck visant à accompagner la population dans son développement économique, l’on accuserait votre institution d’appauvrir les citoyens avec des moyens beaucoup plus élevés. Qu’en dites-vous ?

Je pense qu’il s’agit d’une information non vérifiée. Tout le monde sait que, dans le monde, l’une des clés du développement, c’est l’accès aux services financiers. Aujourd’hui, le crédit est nécessaire pour lancer une activité. On ne peut pas nous accuser d’appauvrir les gens, nous qui mettons des crédits à la disposition du plus grand nombre des Comoriens. C’est un non-sens économique. Par rapport au taux d’intérêt pratiqué dans le monde et en Afrique australe, le taux d’intérêt pratiqué aux Comores est inférieur. Il est autour de 10%. Ce n’est un secret pour personne, le secteur financier est en difficulté aux Comores.
C’est sûr qu’il y a des gens qui ont pris des crédits et qui ont eu du mal à les payer, ou qui se sont vu vendre leurs biens, parce qu’ils ont mal gérer ou que peut être le crédit accordé était inadapté à leurs capacités d’emprunt. C’est possible. Mais c’est une minorité des gens. Les gens se développent. Si chaque année, j’ai 300 nouvelles personnes adhérant à la Meck-Moroni, ce n’est pas parce que nous les appauvrissons, c’est parce qu’ici ils ont une chance d’avoir accès au crédit. Depuis sa création, la Meck-Moroni n’a vendu qu’un seul bien immobilier. Nous ne vendons pas de terrains, nous les prenons en garantie. Sur un portefeuille de crédit qui pèse 14 milliards en 2019, nous avons vendu pour 50 millions de biens, moins de 1%. Aujourd’hui, la plupart des observateurs avertis pensent qu’il faut soutenir la Meck-Moroni.

Que répondez-vous à ceux qui disent que les actions sociales engagées par la Meck-Moroni en faveur des mutualistes sont insuffisantes compte tenu des bénéfices engrangés par l’institution ?

Je pense qu’il y a une loi aux Comores qui encadre le montant des actions sociales qu’une institution financière peut faire par rapport à ses revenus, que ce soit son chiffre d’affaires. Donc, on n’est pas complètement libre de faire ce que l’on fait. Je pense que nous sommes à la limite de dépasser le niveau qui a été fixé par cette loi. Deuxièmement, il faudra me dire, quelle banque prend un budget de 45 millions annuellement pour donner des bourses, alors qu’il y a beaucoup de banques qui gagnent beaucoup d’argent comme la Meck-Moroni ou plus qu’elle. J’attends. Je serais heureuse de l’apprendre. S’il y en a d’autres, je serais contente pour les Comores.

La Meck-Moroni garde toujours son statut d’institution financière décentralisée (Ifd). Elle est toujours perçue comme une structure de microcrédit malgré les chiffres connus de tous. Songez-vous un jour à revoir le statut juridique de l’institution ?

Il ne faut pas mélanger le statut juridique à la taille. La taille c’est un critère, le statut juridique est un autre. Nous sommes une coopérative de microcrédits. Personnellement, j’aime bien ce statut. Je pense qu’il est adapté à notre réalité. La majorité des crédits que nous octroyons sont des microcrédits. Je signe tous les jours des prêts de 500.000 kmf, 1 millions, 250.000 et même 40.000. Ça reste le cœur de notre métier, même s’il est vrai qu’aujourd’hui je peux signer des prêts de 30 millions, 15 millions, 10 millions... cependant, lorsque vous regardez la majeure partie des crédits octroyés, ce sont de petits crédits. Pour le statut juridique, j’ai l’habitude de dire qu’il ne faut pas changer quelque chose qui marche. Nous avons notre format de coopérative mutualiste basée sur une culture démocratique des représentants élus par les membres, avec un conseil d’administration élu et qui se renouvèle tous les ans. Ce système a permis de bâtir la première institution financière du pays, qu’est l’Union des Meck. Le système mutualiste traditionnel comorien est apprécié des Comoriens car il y a un contrôle populaire qui est peut-être plus efficace qu’un contrôle d’administrateur professionnel.

Où en est-on avec le programme de la Banque islamique de développement (Bid), Yes-com, censé accompagner les jeunes ?

C’est un programme qui a mis du temps à se mettre en œuvre car la Banque islamique (Bid) n’a pas l’habitude de travailler avec des entités privées, mais avec des Etats. Mais, l’accord est maintenant signé. Une équipe de gestion de projet est mis en place depuis fin 2019, avec un directeur de programme. Nous sommes en phase de finalisation des manuels de procédure lesquels vont nous permettre de commencer à octroyer des financements à partir de la fin de cette année.
Yes-Com est un programme de financement, c’est du crédit. Nous avons bénéficié du crédit de la banque islamique, nous allons pouvoir prêter à des conditions beaucoup plus avantageuses que les conditions actuelles.On a mis en place un dispositif d’accompagnement technique, car on va opérer dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Ainsi, l’argent ne suffit pas. Il faut que nous même soyons formés au financement des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, que nous ayons des projets types, à la base desquels nous discutions avec les jeunes porteurs de projets, en fonction de là où ils sont. Nous n’allons pas simplement financer les producteurs, mais aussi la création d’entreprises dans le domaine des services agricoles. Dans chacun des domaines de production, nous allons décliner la chaine de valeurs et inciter les jeunes à souscrire un projet pour lequel ils auront à la fois un client et un fournisseur

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