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Microfinance I Le prêt sur gage, un crédit à contrôler ?

Microfinance I Le prêt sur gage, un crédit à contrôler ?

Économie | -   Faïza Soulé Youssouf

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L’avènement du prêt sur gage dans les institutions financières a permis l’inclusion de milliers de comoriens dans l’accès au crédit bancaire. Il a réellement modifié le paysage économique. Seulement, il y a l’envers du décor. Beaucoup de clients peinent à respecter l’échéance de 6 mois, s’engluant dans des rachats de crédits, un cercle infernal.

 

Amina, salariée veut de l’argent rapidement. Elle a de l’or. Elle se rend à la Meck Moroni. On lui conseille un prêt sur gage. En quelques heures, moyennant son or, elle récupère les 3 millions qu’elle doit rembourser 6 mois au plus tard. Le temps passe. L’échéance d’un semestre est arrivée à son terme. Amina n’a pas l’argent pour rembourser son crédit. Paniquée à l’idée de perdre son or, elle se rue à la Meck.

 

On lui demande de ne pas s’inquiéter, car qu’on lui trouvera une solution. Celle-ci a un nom : le rachat du crédit. Elle paie des intérêts s’élevant à 10% et l’échéance est repoussée de 6 mois. En un an, pour un encours de 3 millions, elle aura payé des intérêts s’élevant à 20% du crédit. Peu après l’avoir liquidé, elle a contracté un autre prêt sur gage de 6 mois. C’était il y a une semaine.

«Prisonniers des rachats de crédit»

Le conseiller à la Meck ne lui a posé aucune question sur ses capacités financière à écouler ce crédit. Ni à quoi elle le destinait. Le gage a suffi. Seulement, se désole un cadre de la Banque Centrale des Comores, « les institutions financières ne devraient pas accorder de crédit sur la base d’une garantie mais sur la capacité du client à l’honorer mais elles savent que l’or a une telle valeur sentimentale dans ce pays que tout sera fait par le client pour empêcher sa vente aux enchères ». Pourtant, à l’origine, le prêt sur gage part d’une bonne initiative. Il y a sûrement, dans cette histoire vieille de deux décennies, un peu de storytelling. C’est le chargé de communication de la Meck Moroni qui la raconte, Amin Said Ahmed.

Une étude préalable à son octroi

« Le prêt sur gage ne vient pas d’un esprit purement capitaliste qui cherchait à faire de l’intérêt à tout prix. Cette initiative qui a changé durablement le paysage économique, a été instituée par nos membres parce qu’ils avaient constaté que l’accès au crédit à l’époque excluait ceux qui n’étaient pas des propriétaires terriens. Ils ont pensé au fait que beaucoup de familles comoriennes avaient de l’or chez elles », a-t-il rappelé. Et de poursuivre : « avec la venue des Meck, les exclus du système se sont lancés dans l’entreprenariat grâce au prêt sur gage ».

 

Notre interlocuteur l’a mentionné à plusieurs reprises lors de notre entretien, le prêt sur gage est le produit-phare de la Meck parmi les types de crédit accordés par la maison. « En nombre, plus de la moitié des crédits octroyés à la Meck Moroni sont des prêts sur gage», a-t-il révélé.Une raison supplémentaire pour plus de contrôle au risque que le sens originel de cette initiative inclusive et solidaire qu’est censé être le prêt sur gage ne soit définitivement dévoyée, avec au moins une étude préalable à son octroi.


Le chargé de communication assure « que les conseillers sont tenus de présenter à leurs clients toute la panoplie de produits de crédits disponibles » mais dans les faits cela ne se passe pas ainsi. Un client témoigne : « cela fait deux ans que je cours après des rachats. C’est un cercle vicieux et infernal. Surtout que les conseillers ne te disent pas tout en plus. Ils font sciemment le choix de ne pas t’avertir sur les intérêts. Si tu n’es pas avisé, tu es très vite dans la mouise».


Le cadre de la Banque Centrale enfonce le clou. «Laissez-moi vous dire que les rachats de crédit relèvent de l’abus. En revanche, il faut noter que le secteur souffre d’un manque de réglementation, ce qui fait qu’il n’y a pas de dispositions particulières pour limiter les renouvellements et cette carence arrange les institutions. En France, c’est le code de la consommation qui encadre le crédit». Un texte serait à l’étude pour répondre à ces manquements. Il devrait être présenté à l’Assemblée durant cette session.

Finance inclusive et solidaire ?

Pour autant, l’année dernière« seulement » 9,6% des encours étaient en souffrance, en ce qui concerne les prêts sur gage, selon une source autorisée. Pourtant, à y regarder de plus près, le résultat pourrait ne pas être aussi reluisant qu’il y parait de prime abord. Un ancien cadre de la maison témoigne : «Dans le portefeuille de crédits sains de la Meck Moroni, il y a aussi des dossiers découlant du rachat de crédits lesquels demeurent non déclarés et dont le chiffre reste à quantifier en l’absence de dispositifs de contrôle».


En somme, un client qui peine à rembourser son crédit sur gage procède à son rachat et voit son échéance prolonger de 6 mois.Seulement, pour le logiciel de la Meck de la capitale, il ne s’agira pas d’un prêt en souffrance mais d’un crédit sain tant que le client, dans l’incapacité de solder son crédit, trouvera le moyen d’en payer les intérêts, pour une raison simple : les déclarations sur les portefeuilles en souffrance ne prennent pas en compte les dossiers rachetés. Une pratique qui ne permet pas de disopser des statistiques sur les rachats des prêts sur gage afin de trouver une solution durable.


L’enjeu est de taille. En effet, un établissement de crédit qui enregistre un taux d’impayés élevé est mal noté en termes de performance et s’expose à des mesures de restriction par la Banque des banques. Pourtant le Règlement relatif à la classification et au provisionnement des créances des établissements de crédit (Banque centrale des Comores) dispose en son article 8 que : « les créances rééchelonnées ou restructurées doivent demeurer dans la catégorie où elles se trouvaient avant le rééchelonnement ou la restructuration pendant une période d’observation de 90 jours».


Une bonne nouvelle cependant, le chargé de communication assure que « d’ici peu, le coût du prêt du gage va baisser ». Ce qui serait une bonne chose surtout pour une société dont l’objectif « est la lutte contre la pauvreté en favorisant l’inclusion financière des plus modestes et qui apparait aujourd’hui comme le leader de la finance solidaire en Union des Comores».

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