Les Comores abritent la 19ème Réunion des gouverneurs des Banques centrales africaine (Abca) au niveau de la région de l’Afrique de l’Est. De quoi s’agit-il exactement ?
Les pays africains se sont réunis cela fait des années pour créer l’Abca, l’association des banques centrales africaines, divisée en cinq sous-régions dont l’Afrique de l’Est, notre sous-région. Les Comores abritent, cette année, la 19ème réunion de l’Abca pour préparer la réunion annuelle des banques centrales africaines qui aura lieu le 1er août à Kigali.
Quelles seront les questions techniques qui seront abordées au cours de cette 19ème réunion ?
Chaque sous-région doit être prête sur les questions communes. Il y a les indicateurs de convergence, il y a d’autres questions cruciales. Il faut savoir que l’objectif de l’association des banques africaines, c’est la création d’une monnaie commune africaine. C’est un objectif à long terme mais avant d’y parvenir, il y a des préalables. Nous allons donc faire une évaluation des actions engagées par chaque pays par rapport à cet objectif.
Vous voulez dire que la création d’une monnaie africaine est aujourd’hui un processus irréversible ?
L’initiative de créer une monnaie africaine vient des chefs d’Etat africains. Et cela date depuis 1963 à l’occasion de la création de l’Oua (Organisation de l’Unité africaine devenue Union africaine depuis 1999, Ndlr). Le sujet est toujours d’actualité. Nous devons aller vers la création d’une monnaie commune. Maintenant, quand et comment ? Ce sont les questions que nous nous posons à chaque réunion.
Quels sont les pays attendus à Moroni dans le cadre de cette réunion de l’Abca ?
Nous allons accueillir les onze gouverneurs des pays de l’Afrique de l’Est : le Burundi, l’Ethiopie, la République de Djibouti, le Kenya, l’Ile Maurice, l’Ouganda, le Rwanda, les Seychelles, la Somalie, la Tanzanie et aussi les Comores.
On a toujours tendance à confondre l’Abca et la Zone Franc. Quels sont les autres domaines d’action ?
La Zone Franc est une zone d’appartenance monétaire que les Comores tout comme des pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale ont choisie. Elle est fondée sur des accords monétaires conclus entre ces pays et la France avec les obligations des uns et des autres. Par contre, l’Abca est une émanation africaine, elle concerne l’ensemble de tous les pays africains, avec comme ambition d’aller vers une monnaie commune et une banque centrale africaine.
Les Comores ont encore une économie fragile. Quelles sont les conditions qu’elles doivent mobiliser pour s’armer face à ce projet de monnaie commune africaine ?
C’est un processus commun. La monnaie commune nécessite à ce que l’ensemble des pays aient le même niveau de situation économique, les mêmes critères. On ne peut pas créer une monnaie commune du jour au lendemain.
De quels critères s’agit-il ?
Nous avons certains critères de convergence que nous sommes en train d’étudier comme le niveau d’inflation, le niveau d’endettement, le niveau du risque bancaire et tout ce que nous avons comme réserves de change mais aussi tout ce qui pourrait faire décoller et fructifier notre économie. Ce sont les conditions techniques. Mais le gros de tout cela est politique. Il faut que l’ensemble des pays ayant signé cet accord puisse accélérer la machine. Vous l’avez bien compris, c’est une décision purement politique qui peut aboutir concrètement à la création de cette monnaie commune.
Quelle mémoire peut-on retenir de la Banque centrale des Comores depuis sa création officielle?
La Banque centrale existe depuis 1974 sous forme d’Institut d’émission des Comores. On avait une banque centrale des Comores et de Madagascar. Et après l’Institut d’émission des Comores, il y a eu la Banque centrale des Comores. Il faut savoir que la banque centrale, c’est la banque des banques, sa mission première est l’émission monétaire, la seule autorité en charge de l’émission de la monnaie qui se fait en fonction de la situation économique du pays. On ne peut pas émettre indéfiniment la monnaie. N’importe qui ne peut émettre la monnaie. Et nous le faisons en assurant la stabilité monétaire, c’est-à-dire faire en sorte qu’il n’y ait pas beaucoup de monnaie en circulation mais aussi qu’il n’y ait pas moins par rapport à la situation économique du pays.
Certes, nous avons eu la stabilité monétaire mais le développement du pays accuse toujours un retard. Certains disent, à tort ou à raison, que le Franc CFA bloque les économies africaines. La stabilité est là mais la croissance n’est toujours pas au rendez-vous comme on l’aurait souhaité depuis un demi-siècle. Est-ce qu’il n’est pas temps de quitter la Zone Franc ?
L’appartenance à une zone économique émane d’une décision politique. Les plus hautes autorités du pays ont réaffirmé tout récemment notre appartenance à cette Zone Franc. Et il n’est pas question, pour le moment, de quitter cette zone parce qu’elle est source de stabilité. Dans un pays comme le nôtre où nous importons beaucoup que ce que nous exportons, ce serait suicidaire de quitter brutalement la Zone Franc. Nous faisons 80% d’importations. Et nous ne contrôlons pas la valeur. Si nous n’avons pas une monnaie stable, cela va engendrer une inflation incontrôlable, c’est-à-dire que le coût de la vie va augmenter de jour en jour. Et, comme nous n’avons pas de produits à exporter, cela serait fatal. Par contre, le jour où on aura une base productive qui nous permettra d’exporter en grande quantité, cela peut s’inverser. Et c’est à ce moment-là où on pourrait peut-être envisager l’éventualité de la sortie de cette zone économique.
Et puisque vous revenez sur la nécessité de disposer d’une base productive, le chef de l’Etat porte aujourd’hui une vision qui est en train d’être appropriée à savoir l’Emergence du pays à l’horizon 2030. Quel pourrait être le rôle de la Banque centrale dans la concrétisation de cette vision ?
Nous sommes en train de réfléchir. Nous avons déjà organisé un grand séminaire sur le financement de l’économie sur la base des diagnostics de tous les secteurs potentiellement promoteurs. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait une confiance entre le secteur privé, créateur de richesses, et les banques fournisseurs de credits, mais aussi les institutions qui participent au financement de l’économie.
Comment les banques peuvent-elles justement financer davantage notre économie par rapport à ce qui est fait actuellement et par rapport à cette vision que s’est fixé le pays ?
Je ne vous cache pas, il y a, actuellement, une grande méfiance entre les banques et le secteur privé tout simplement parce que les banques octroient du crédit au secteur privé mais celui-ci n’arrive pas à rembourser. Ce climat de morosité qui existe m’a interpellé dès ma prise de fonction. Et j’ai dit que si on reste dans cette situation, on ne pourra pas parvenir aux objectifs fixés par les plus hautes autorités du pays, à savoir des objectifs d’une croissance plus forte car, actuellement, on est à un crédit à l’économie estimé à 80 milliards de francs comoriens par an. Et, comme on envisage avoir une croissance forte pour atteindre l’Emergence d’ici 2030, il faut au moins doubler ou tripler ce volume de crédit à l’économie. Et pour cela, il faut un secteur privé capable d’absorber ce volume de crédit car il demeure le seul à pouvoir créer de la richesse et des emplois.
Concrètement, quelles sont les mesures qui doivent être prises en urgence pour rétablir la confiance et assurer le financement durable du secteur privé ?
Il faut d’abord, par rapport au passé, trouver une solution au problème existant, c’est à dire la problématique du crédit qui n’a toujours pas été remboursé, ce qu’on appelle le crédit douteux. Il y a de nombreux mécanismes, on peut le racheter et voir la suite…
L’Etat peut-il s’engager à racheter ?
L’Etat, un organisme ou les banques. Il faut une réflexion coordonnée de tous les acteurs. Les banques, le secteur privé, l’Etat et bien entendu la banque centrale. Et, c’est après avoir résolu ce problème des crédits douteux qu’on peut rétablir la confiance entre les banques et le secteur privé. Nous y travaillons. L’autre chose à faire, c’est de mettre en place un système de crédit à moyen et long terme. Car, aujourd’hui, on ne développe que du crédit à court terme, le commerce qui est le plus développé aujourd’hui se fait sur du crédit à court terme. Tout simplement parce que nous avons des dépôts de court terme. Il faut donc développer des instruments pour des crédits à moyen et long terme pour permettre au secteur privé de faire des investissements productifs de longue durée dans la pêche, le tourisme, l’hôtellerie et tout ce qui est transformation sur place.C’est ce que nous sommes en train de voir, à savoir les instruments à mettre en place auprès des banques secondaires pour pouvoir soutenir les initiatives de création de richesse à grande échelle.
Il y a également cette question récurrente des taux d’intérêts jugés trop élevés aux Comores. N’y a-t-il pas une alternative à court terme pour les revoir, les réduire car cela peut aussi stimuler la consommation et donc la croissance économique… ?
Réduire les taux d’intérêt voudra dire réduire aussi les risques au niveau des banques. Parce que le taux d’intérêt, correspond au prix minimal à faire supporter au client pour couvrir les risques éventuels qui peuvent naître du crédit que la banque lui a accordé. Les établissements vendent chers les crédits s’ils ne sont pas sûrs que la majorité des demandeurs n’allaient pas rembourser. Donc, le grand travail consiste à réduire le niveau des risques. Une fois réduit les risques, une fois identifié les projets bancables et productifs, le taux d’intérêt sera automatiquement réduit. Et vous les savez que même avec ce taux d’intérêt élevé, il y a une bonne partie de l’argent qui ne circule pas, on peut s’étonner. Tout simplement les banques ne prêtent pas, c’est-à-dire que même avec ce taux d’intérêt élevé, les banques rechignent à prêter car elles disent que c’est encore risqué.
Et comment réduire ces risques au niveau des banques ?
On n’a pas mal d’instruments en études, notamment les fonds de garanties qui pourront permettre aux banques de prêter facilement. Et ce sera la loi de l’offre et la demande. Et, plus il y a une forte demande de crédit, les taux d’intérêts seront réduits mécaniquement.
Il y a l’autre question relative à la cherté de la vie. Il y a une inflation par la demande. Les prix des produits augmentent mais les gens en achètent toujours. Comment expliquer ce phénomène ?
On ne pourra pas arrêter la hausse des prix tout simplement parce que l’offre manque. Il y a toujours une augmentation de la demande. C’est ce que nous faisons, au niveau de la banque centrale, c’est de maintenir un niveau d’inflation acceptable qui ne dépassera pas les 3% de glissement annuel. Si on arrive à maintenir cette fourchette de 3%, il faudrait aussi, derrière, augmenter les revenus à 3%. L’augmentation des prix devrait être plus faible que l’augmentation de la richesse, sinon il y a un risque élevé de l’augmentation du coût de la vie.
La monétique est-elle une opportunité ou un défi ?
La monnaie électronique est une opportunité dans le sens où elle va favoriser la circulation de la monnaie. Car plus la monnaie circule, plus l’économie se développe. Et, c’est grâce à l’argent qu’on crée la richesse. La monétique permet à chacun de faire ses achats en toute rapidité et à tout moment. C’est toujours positif pour l’économie. Elle permet d’étendre les moyens de paiement en tout temps, même pendant les jours fériés où les banques ne sont pas ouvertes. Plus il y a la circulation de la monnaie, plus la richesse augmente. De nombreux pays de la région ont déjà expérimenté la monnaie électronique et continuent aujourd’hui à en tirer les retombées.
Quels sont les grands chantiers de la Bcc pour les deux prochaines années ?
La Banque centrale des Comores s’est fixée un objectif de relancer la croissance à travers la relance du crédit à l’économie avec des instruments que nous comptons mettre en place, à commencer par le développement du dépôt, c’est-à-dire une plus grande mobilisation de fonds que ça soit l’épargne intérieure ou l’épargne extérieure, ou celle de la Diaspora par exemple qui représente 25% du Pib. Les fonds de la Diaspora, jusqu’ici limités à la consommation, doivent être orientés vers la promotion de secteurs productifs. Mais pour y arriver, il faut créer les instruments nécessaires, les mettre à la disposition des banques pour que celles-ci puissent les utiliser au profit des secteurs porteurs de croissance. Il y a aussi des possibilités pour lever des fonds à l’international pour financer des gros chantiers qui peuvent ne pas être financés par des ressources intérieures. Mais la grande priorité, c’est de restructurer le secteur privé.
Il était question de créer un marché financier dans le pays. Est-ce que l’idée tient-elle toujours route ? Les Comores ont –elles des moyens suffisants pour créer un marché financier ?
Vous avez raison. Nous sommes parmi les rares pays de la région qui n’ont pas de marché financier. Nous n’avons pas encore développé les instruments nécessaires à ce marché pour plusieurs raisons (…). Mais nous envisageons faire une priorité dans les prochaines années. Ne serait-ce qu’au profit de l’Etat. C’est le seul pays où l’Etat ne peut pas emprunter ni à l’intérieur ni à l’extérieur à travers le système bancaire. Même s’il faudra aussi créer les conditions qui permettront à l’Etat d’emprunter mais aussi de pouvoir rembourser. Il n’y a pas que l’Etat, il y aussi le secteur privé qui peut bénéficier de ce marché financier et même les banques elles même car il y a des établissements financiers qui ont des moyens que d’autres. Et avec un tel marché, il peut y avoir des emprunts de part et d’autre.
On sait qu’il y a un chômage très élevé chez les jeunes. S’il y a un message à faire aux décideurs politiques, au secteur privé, aux banques, à la population et à tous ceux qui peuvent contribuer au redressement du pays, quel serait ce message ?
Nous avons tourné une page. Nous avons élu un nouveau président pour un nouveau mandat avec une vision claire : ramener le pays à l’Emergence à l’horizon 2030. Cela nécessite de l’audace, des décisions et des mesures échelonnées dans le temps. Et cela demande la mobilisation de nombreuses conditions. Au niveau de l’économie, il y a un chômage élevé comme vous l’avez dit. Le secteur bancaire reste un atout. Il faut faire renaître la confiance et surtout croire à cette vision du chef de l’Etat. Il faut créer des emplois, et pour cela, il faudrait que les gens se mettent au travail, que chacun ait des projets bancables et même s’il n’a pas de moyens, les banques sont là pour l’accompagner avec les nouveaux instruments que nous sommes en train de développer. La Banque centrale étudie ces instruments pour accompagner l’Emergence du pays. Les jeunes qui veulent intégrer le marché du travail, qui ont des bonnes idées, peuvent bénéficier de l’accompagnement des banques.
La Banque centrale est là pour créer un environnent favorable à l’augmentation du portefeuille de crédit pour que les jeunes puissent accéder au crédit, avec lequel on crée les richesses et les emplois. Il faut que les gens s’y mettent, de façon individuelle ou groupée, pour créer de la richesse. Et les jeunes, qui sont les plus nombreux, doivent croire à cette vision de l’Emergence, prendre des initiatives, se tourner vers le privé. Les banques sont là pour les accompagner, et la Banque centrale y veillera avec un grand intérêt.
Propos recueillis
par A.S.Kemba