Al-watwan : Monsieur le ministre, quelle est la plus grande particularité du budget 2019?
S.A.S. Chayhane : La grande particularité aujourd’hui, c’est la création d’une redevance de coopération internationale qui doit permettre au pays d’être à jour des contributions vis-à-vis des organisations dont nous sommes membres. L’Etat veut ainsi recouvrer son image sur la scène internationale. Nous avons exprimé des solutions que nous allons soumettre aux députés. Et, une fois adoptées, le pays disposera d’un outil précieux pour recouvrer son image, notamment en respectant ses engagements financiers vis-à-vis des organisations internationales. Il y a des devoirs qui pèsent sur les Etats membres. Ces obligations ne sont malheureusement pas honorées. Cette redevance doit nous permettre d’être à jour et d’espérer bénéficier des retombées. Elle va permettre également aussi au pays de résoudre tous ses problèmes au niveau de nos représentations diplomatiques qui évoluent dans des situations difficiles. Nous nous sommes donnés l’ambition de vouloir émerger à l’horizon 2030, il faut aussi lancer des signaux forts. On ne doit pas aspirer à devenir un pays émergent d’ici 2030 et trainer des ardoises d’arriérés au niveau des contributions. Personne ne nous croira. Cela ne va pas de pair avec nos ambitions.
Al-watwan : Vous avez exprimé la volonté de consacrer une bonne partie des ressources propres au soutient des investissements notamment au niveau des infrastructures. Parlant d’investissement, est-ce qu’on peut avoir une idée du montant cumulé des investissements réalisés par l’Etat ces dernières années…
S.A.S. Chayhane : En juin 2018, on était aux alentours de 4 milliards. C’est trop faible par rapport aux prévisions mais c’est encore un chiffre à mi-parcours. Mais en 2019, l’Etat compte investir à hauteur de 21 milliards. Nous continuons notre chemin vers un budget digne et qui correspond à nos ambitions. La moyenne des budgets au niveau des recettes internes était de 45 milliards. En 2017, la loi rectificative a ramené les prévisions de 81 milliards à 64 milliards. Aujourd’hui, on passe de 64 milliards à 69,5. En 2017, les réalisations étaient de 54 milliards contre 37 milliards en 2016 et 41 milliards en 2015. Cela montre qu’on a fait un bond en avant. En 2018, au 30 juin, nous avons réalisé 31 milliards de francs. Si on arrive à reproduire les mêmes efforts, on peut estimer finir l’année 2018 aux alentours de 62 milliards. Et en 2019, il est possible de réaliser des recettes de 69 milliards. Il y a une série des réformes dont certaines sont mises en œuvre et d’autres le seront en 2019.
Al-watwan : De quelles réformes s’agit-il ?
S.A.S. Chayhane : Au niveau de l’Administration générale des impôts et des domaines (Agid). C’est une réforme qui nous tient à cœur. L’Agid sera informatisée pour la première fois, avec l’acquisition d’un système d’information. Il y aura un logiciel qui sera mis en place. Le matériel est là. C’est un outil précieux qui permettra aux agents de travailler avec sérénité.
Deuxièmement, nous allons installer les terminaux enregistreurs dans les commerces et au niveau de toutes les activités génératrices de revenus. Avec ces terminaux, l’Agid enregistrera en temps réel toutes les transactions réalisées sur l’ensemble du territoire national. Et, à chaque transaction, l’Agid peut comptabiliser automatiquement la taxe sur la consommation (Tc) à collecter auprès des contribuables. Si on arrive à optimiser la collecte de la Tc, je sais que les recettes vont pouvoir s’améliorer. En juin 2018, l’Agid a réalisé 9 milliards. Alors qu’en 2016, les recettes globales de l’Agid étaient de 9 milliards. En juin 2018, nous sommes au même niveau que l’année 2016 dans son entierté. Cela montre qu’avec ces réformes, les recettes vont pouvoir s’améliorer. Autre nouveauté du budget : c’est la taxation de certains emballages plastiques non biodégradables à l’exception des sachets qui sont interdits d’importation. Le projet de 2019 affiche aussi l’ambition de protéger l’environnement. Le texte préconise une baisse du taux d’importation des bois ronds, les planches et les chevrons verront le taux d’importation se réduire. Nous voulons encourager l’importation de ces matières premières pour protéger notre environnement. Cette mesure sera accompagnée par la restriction drastique qui sera opérée au niveau de l’importation des tronçonneuses à chaine qui seront soumises à une autorisation préalable. Ces machines causent des dégâts importants au niveau de nos forêts, il faut commencer par limiter leur importation. L’autorisation préalable des tronçonneuses sera délivrée par le ministre de l’Environnement.
Al-watwan : Les investissements propres se limiteront seulement sur les infrastructures de base?
S.A.S. Chayhane : Non. Il y a d’autres secteurs stratégiques qui seront soutenus. Même si, les citoyens ont vécu ce rythme soutenu des programmes liés à la réhabilitation et à l’entretien des routes. Mais cela a été la priorité fixée par le chef de l’Etat. Mais on compte bien engager des investissements dans d’autres secteurs : des investissements au niveau de l’hôpital El-Maarouf, des investissements au niveau de l’énergie pour renforcer le dispositif existant et d’autres investissements au niveau des routes. Mais, à ce niveau il faut souligner la transformation du Fonds d’entretien routier (Fer) en Fonds routiers. Nous avions un mécanisme d’entretien des routes mais qui se limitait exclusivement à cet effet. Aujourd’hui, nous avons affiché l’ambition d’augmenter les ressources et de transformer le dispositif en Fonds routiers. Cela veut dire qu’on peut, non seulement entretenir mais aussi réhabiliter ou construire de nouvelles routes. Pour le gouvernement, il s’agit de disposer d’un mécanisme nouveau qui soutient le secteur des routes dans toutes ses dimensions. De nouvelles ressources seront affectées à ce fonds pour permettre de relever ce défi. On ne peut pas aspirer un développement sans mobiliser les infrastructures de base.
Al-watwan : Il y a une nouvelle Constitution. Le budget 2019 en a-t-il pris en compte les nouvelles dispositions?
S.A.S. Chayhane : On ne pouvait pas ne pas prendre en compte. Seulement, il y a des aspects qui resteront en l’état, comme les salaires. Nous avons remmené le niveau 2018 à l’année 2019. Car, il nous manque des textes pour pouvoir faire les évaluations nécessaires et calculer l’impact financier en lien avec la révision constitutionnelle. On sait qu’il y a des institutions supprimées. Mais il y a encore des fonctions dont les traitements devraient être fixés par des textes législatifs et réglementaires. On ne peut pas prévoir l’impact de ces rémunérations qui ne sont pas encore déterminées. Certains aspects ont été pris en compte, d’autres doivent attendre encore. Si le projet de budget est adopté, une loi rectificative s’imposera en avril 2019 pour prendre toutes ces mesures en considération. C’est à ce moment-là qu’on pourra savoir l’impact réel du budget par rapport à la nouvelle Constitution
Al-watwan : Les entités insulaires ont-elles été impliquées dans l’élaboration de ce budget?
S.A.S. Chayhane : Oui. Elles ont reçu les lettres de cadrage. Leurs propositions ont été prises en compte. Il faut savoir qu’on n’allait pas mettre fin à leurs services. Ils vont relever directement de l’administration centrale, les services seront là, ils vont continuer à travailler. C’est le budget de l’Etat, nous avons le devoir de prendre en compte les préoccupations de tous les services de l’administration publique.
Al-watwan : Cela fait trois ans que le pays s’est doté des collectivités décentralisées sans moyens mais juste une subvention symbolique pour leur fonctionnement. C’est nouveau dans le pays. Comment l’Etat compte-t-il faire pour créer des lignes budgétaires propres au profit des communes pour accompagner le développement local de base ?
S.A.S. Chayhane : Nous sommes en train de travailler avec les maires pour qu’on puisse bien se comprendre. Personne n’a dit que la subvention servira à payer des salaires ou pas. Ce sont des subventions de l’Etat qui doivent être versées aux communes. La subvention n’a pas été clarifiée. Bien sûr, il faut qu’elles fonctionnent. Mais le problème ne se limite pas sur cet aspect de fonctionnement.
Aujourd’hui, nous sommes en train de voir comment développer des projets dans les régions, dans les communes. Par exemple, la mise en valeur des plages. Comment faire en sorte que ces plages soient aménagées de façon à aider à la création des espaces de vie, des pôles d’attractivité générateurs de revenus et d’emplois. On peut accompagner un tel projet. Il suffit que la commune soumette un projet bancable, fiable qui, une fois soutenu, peut stimuler la commune voisine à présenter à son tour un autre projet. Il faut donc revoir la politique d’utilisation de ces subventions. Car, ces fonds que l’Etat met à la disposition des communes ne doivent pas se limiter sur le fonctionnement des communes. Il faut que les subventions participent à la création d’activités économiques génératrices d’emplois. Nous comptons approfondir la réflexion pour engager un développement économique inclusif qui profitera à tous les Comoriens.
Al-watwan : L’Etat ne réussit toujours pas à collecter les taxes sur l’ensemble du territoire. Comment y remédier?
S.A.S. Chayhane : C’est un travail difficile qui demandera du temps. Il faut y aller petit à petit. Nous avons l’habitude de ne pas nous acquitter de nos obligations envers la trésorerie publique. Et tout le monde est concerné. Nous dévons changer. Mais, pour changer il faut une politique volontariste mais aussi réaliste car on ne peut pas tout résoudre en même temps. Prenons le temps de consolider les efforts des réformes déjà engagées. Ayons l’ambition d’aller de l’avant. Nous avons chaque année des marges importantes au regard de ces difficultés. Mais prenons aussi le temps de projeter des proportions à l’avenir car il existe des niches qui offrent des opportunités à notre budget national. Il faut aller doucement, il faut prendre des mesures courageuses qui iront dans le sens de la mobilisation et de la sécurisation des recettes. Nous faisons face à des situations un peu complexes ; des fois le contribuable rechigne à payer parce qu’il estime que l’agent devant lui se sert de cet argent. Il se pose aussi un problème de confiance. Mais, petit à petit, les Comoriens commencent à renouer la confiance avec leur administration. De nombreux citoyens voient la réalité. Les citoyens comprennent que l’argent que nous collectons sert à l’électrification du pays, à la réhabilitation des routes, à financer tel projet. Je pense qu’en évoluant dans ce sens les Comoriens comprendront qu’ils sont eux-mêmes les bailleurs de leur propre développement.
Al-watwan : Le secteur privé parle d’un matraquage fiscal. Ils se plaignent d’une hausse supposée des taxes à la douane. Partagez-vous leur avis ? Et comment accompagner les opérateurs économiques face à cette politique effrénée de mobilisation des recettes ?
S.A.S. Chayhane : Nous avons fait beaucoup de choses pour accompagner les opérateurs. Peut-être qu’on n’a pas fait tout ce qu’il fallait faire. Mais nous avons quand même fait des choses. Il y a par exemple les enlèvements provisoires. Ils prennent leurs marchandises et s’en vont pour revenir payer dans un délai de 25 ou 30 jours. Donc, ils peuvent disposer de leurs marchandises avant le paiement des droits des taxes. C’est une nouveauté. Les contribuables qui se plaignent de la hausse d’une quelconque taxe doivent apporter les preuves. En ce qui concerne les véhicules, je pense qu’une personne qui achète un véhicule neuf ou d’occasion devrait avoir aussi les moyens pour le dédouaner. Mais je veux surtout parler des denrées alimentaires indispensables dans le quotidien des citoyens, des matériaux de construction, et d’autre marchandises, il n’y a aucune hausse. La vérité, c’est que la douane travaille, la douane veille, il y a des habitudes qui ont changé. Et on demanderait à tout le monde de nous accompagner. Maintenant, si on est victime d’un excès de zèle, il faut le signaler. Mais encore une fois, il n’y a pas de hausse de taxes, il y a une application stricte de la législation qui a permis une amélioration des recettes
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Al-watwan : Le budget est soumis à un contrôle. Mais on assiste, ces derniers temps, à un flottement. Comment renforcer les mesures de contrôle dans l’exécution du budget ?
S.A.S. Chayhane : Il y a, effectivement, une communication qui devrait se faire. On devrait informer, à la fin de chaque trimestre, la Cour des comptes de l’exécution trimestrielle du budget. Des fois ça se fait, des fois il y a des retards, des fois ça ne se fait pas du tout. On peut effectivement constater des manquements que nous comptons corriger en 2019. Mais la rigueur budgétaire est de mise. C’est pourquoi il y a une maîtrise des dépenses. Nous avons fait l’historique de l’exécution des budgets de ces dernières années. Et tout le monde constate une maîtrise réelle des dépenses publiques, de la masse salariale. Et si on arrive à de tels résultats, c’est parce qu’il y a un contrôle qui s’exerce dans l’exécution budgétaire. Mais, peut-être, la communication, probablement envers les structures indiquées, ne se fait pas à temps. Et c’est ce que nous ambitionnons de corriger en 2019.
Al-watwan : Le projet de budget 2019 sera soumis aux députés. Si vous avez un message à leur adresser, ce serait lequel exactement ?
S.A.S. Chayhane : Je demanderais aux élus de faire leur travail sans préjugés. Je demanderais qu’il y ait des propositions nouvelles pour plus d’efficacité et ce dans l’intérêt de notre pays. Je leur demanderais de travailler objectivement, de faire des suggestions mais ne pas dresser des obstructions au texte car cela ne sera pas profitable au pays. A la population, je voudrais lancer un message : il faut croire à ce que nous faisons. Car, nous le faisons dans l’intérêt du pays. Aujourd’hui, il y a un débat sur l’Emergence du pays à l’horizon 2030. Il y a le débat qui doit se consolider sur la méthode. Chacun est libre de proposer son approche, de défendre ses propositions. On peut ne pas avoir la même approche sur la manière d’y parvenir. Mais ne pas y croire, c’est insulter son propre intelligence, c’est refuser d’évoluer, c’est montrer aussi qu’on n’est pas en mesure d’aller de l’avant. Le propre des politiciens, c’est de proposer de solutions pour sortir d’une situation donnée et envisager une autre qui soit meilleure par rapport à la première. Nous devons tous être prédisposés au changement et au développement de notre pays. Il faut y croire, prendre des décisions et assumer. La politique consiste à fixer le destin et le cap de toute une nation.
Propos recueillis par
A.S.Kemba