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Dr Younoussa Imani, Gouverneur de la Bcc : “L’impact de l’approvisionnement en électricité sur l’activité économique est réel”

Dr Younoussa Imani, Gouverneur de la Bcc : “L’impact de l’approvisionnement en électricité sur l’activité économique est réel”

Économie | -   Ahmed Ali Amir

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“Ces trois dernières années, la Banque centrale des Comores a engagé un chantier de réformes avec comme objectif de moderniser le cadre monétaire afin d’élargir ses moyens d’intervention. Des études ont été menées avec l’appui technique de du Fmi et de la Banque de France, et il a été recommandé, compte tenu du contexte actuel, que la Bcc puisse émettre des bons, instrument par ailleurs prévu par ses statuts”. Au niveau de l’activité économique, toujours selon Dr Younoussa Imani, “l’impact de l’amélioration de l’approvisionnement en électricité est réel et beaucoup d’activités ont repris dans nos villes et villages qui sont restés pendant plusieurs années sans approvisionnement en électricité”.

 


Vous avez pris les rênes de la Banque centrale des Comores dans une situation plutôt délicate. Les banques se débattaient devant des créances douteuses de l’ordre de 11 milliards. Qu’avez-vous fait pour stopper l’hémorragie ou pour les aider à redresser la barre ?



Cela fait neuf mois depuis que je dirige la Banque centrale. C’est à la fois un très grand honneur et un formidable défi. Je rappelle que le paysage bancaire comorien est dans une phase de développement, il ne faut pas oublier que l’ouverture du secteur date de près de dix ans avec l’agrément de nouveaux établissements. Avec l’arrivée de cette concurrence, la Bcc a révisé le cadre légal et règlementaire qui datait des années 1980, et continue de mettre en place les outils nécessaires en vue de créer un environnement favorable à un meilleur financement de l’économie.

Bien sûr, le problème des créances douteuses constitue un facteur négatif tant pour les banques que pour le secteur privé. D’un côté, les banques n’arrivent pas à recouvrer leurs créances et de l’autre côté, les opérateurs privés accèdent difficilement à des crédits devenus plus chers en raison de l’augmentation du risque bancaire.
Il convient de rappeler que la constitution du stock de créances douteuses dans les banques comoriennes ne s’est pas faite du jour au lendemain, mais a résulté de l’accumulation des mauvaises créances parfois très anciennes.

Avec la mise en place de la nouvelle réglementation prudentielle qui impose, notamment, un suivi rigoureux de ces créances et de leur provisionnement, les banques vont pouvoir passer en pertes les créances irrécouvrables au lieu de reporter d’année en année le stock de leurs créances douteuses. Aujourd’hui, on peut dire que le taux des créances douteuses a diminué passant de 24% en septembre 2016 à 22% en septembre 2017.
Il faut toutefois nuancer l’ampleur de ces créances douteuses au sein des établissements, puisque 80% de ces créances sont détenues par seulement 0.05% des emprunteurs.

Mais au-delà de ces aspects techniques, il convient de reconnaitre que les banques peinent également à exécuter les garanties présentées, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai demandé à mes équipes d’organiser en janvier ou février prochain, un grand atelier national, qui réunira les banques, le secteur privé et le gouvernement, notamment la justice, pour établir un dialogue et tenter de lever tous les obstacles qui bloquent le financement adéquat de notre économie.  

 

 

La constitution du stock de créances douteuses a résulté de l’accumulation des mauvaises créances parfois très anciennes. Avec la mise en place de la nouvelle réglementation prudentielle, les banques vont pouvoir passer en pertes les créances irrécouvrables au lieu de reporter d’année en année le stock de leurs créances douteuses. Le taux des créances douteuses a baissé de 24% en septembre 2016 à 22% en septembre de cette année. Il faut toutefois nuancer leur ampleur puisque 80% de ces créances sont détenus par seulement 0.05% des emprunteurs.

 

 


 Les banques traversent des crises internes aigues. La Bdc, la Bfc, la banque postale traversent des turbulences dues souvent à des gestions malsaines et certaines ont du mal à se relever. A quel moment vous intervenez, à quel niveau vous pouvez les refinancer et comment ?


 

 La supervision des établissements de crédits fait partie des missions fondamentales de la Bcc. Elle l’exerce au quotidien sous plusieurs formes. Pour se faire, la réglementation bancaire offre une batterie d’outils qui lui permet d’intervenir selon l’ampleur de la difficulté observée, tout en tenant compte de l’impact sur le système bancaire.

L’exercice de cette mission doit se faire toujours dans le respect du secret professionnel et je ne peux, donc, pas vous donner ici des détails sur la situation de telle ou telle banque. Mais ce qu’il faut retenir c’est que les principes qui dirigent les actions de supervision bancaire sont la stabilité du système financier et la protection des déposants.
A ce sujet, depuis mon arrivée à la Bcc, dans la plupart des courriers que j’adresse aux banques, je leur rappelle leur situation par rapport à la réglementation prudentielle et les mesures à prendre pour s’y conformer. Il nous arrive de mettre des établissements sous surveillance rapprochée ou d’infliger des amendes suite au non-respect d’une réglementation.

Pour répondre précisément à votre question, il faut dire que la situation des banques s’est améliorée ces derniers mois et elles poursuivent une courbe  ascendante, même si beaucoup reste encore à faire. Vous parlez de refinancement, c’est un sujet important. Il convient de reconnaitre, à ce propos, que jusqu’à présent la Banque centrale n’utilise pas cet instrument, expressément prévu par ses statuts, en raison de l’absence de collatéral de qualité (= garanties sous la forme de titres de créances) présenté par les contreparties.

Par ailleurs, le refinancement par la Bcc, qui consiste généralement à des opérations de très court terme (vingt quatre heures), suppose que les banques n’ont pas pu trouver de ressources sur le marché interbancaire qui, malheureusement, n’est pas encore très dynamique.

 


Il se dit que Bcc compte lancer un vaste chantier de réformes dans la conduite de sa politique monétaire. Vous avez pris la décision de procéder à des émissions de bons. Concrètement, quelle est la raison de l’introduction de ces bons ?



L’émission de bons Bcc s’inscrit justement dans ce chantier de réformes. En effet, permettez-moi de rappeler que le cadre actuel de la politique monétaire est caractérisé par l’existence d’un seul instrument actif, le coefficient de constitution des réserves obligatoires, le non recours à l’escompte ou prises en pension du fait de l’absence de collatéral, le manque de collatéral de qualité pouvant actuellement être pris en garantie par la Bcc ou par les établissements de crédits entre eux, une absence de visibilité sur l’évolution de la liquidité bancaire, les comptes de la majorité des établissements à la Bcc présentent un état constant de surliquidité. La Bcc a donc engagé, au cours de ces trois dernières années, un chantier de réformes visant à moderniser ce cadre afin d’élargir ses moyens d’intervention.

Avec l’appui technique de nos partenaires, notamment le Fmi et la Banque de France, des études ont été menées et il a été recommandé, compte tenu du contexte cité précédemment, que la Bcc puisse émettre des bons, instrument par ailleurs prévu par ses statuts.
L’émission de bons par la Bcc aura le double objectif d’absorber les excédents de liquidité bancaire afin de mieux orienter les taux d’intérêt et de fournir un support de garantie sans risque pour les opérations de prêts interbancaires, et au besoin de refinancement par la Bcc, une réponse aux obstacles évoqués dans votre précédente question.
A terme, nous espérons que ces bons poseront les jalons permettant au Trésor comorien d’émettre, ultérieurement, ses propres titres (Bons du Trésor).

 

Sur une base de 20% d’objectif de taux de pression fiscale, le manque à gagner pourrait être estimé à près de 18 milliards. Où se trouve cette recette non recouvrée et comment la recouvrer? C’est la question posée aux spécialistes de la fiscalité. Toutefois, il faudrait que l’Etat, à travers l’Agid puisse disposer des instruments nécessaires pour le recouvrement et l’élargissement de son assiette fiscale.

 


On reproche, plus généralement, aux banques de la place de ne financer que les activités commerciales et de s’abstenir de financer des projets d’investissement à long terme. Comment inverser la tendance ?



 Le rôle des banques commerciales est de faire de l’intermédiation financière, autrement dit, elles utilisent les dépôts des agents économiques disposant de ressources financières (les épargnants) pour les mettre à la disposition des agents ayant des besoins de financement (les emprunteurs).

Le problème majeur auquel on est confronté repose sur l’inadéquation entre les ressources, essentiellement à très court terme et les emplois, généralement à long terme. En effet, les banques comoriennes, de par la structure des dépôts de leur clientèle, ne disposent pas des ressources à long terme nécessaires pour financer les projets d’investissements.

Avec l’appui des partenaires au développement du pays, notamment l’Afd et la Banque islamique de développement, des initiatives sont en cours de mise en œuvre afin d’offrir aux banques des mécanismes de refinancement auxquels elles peuvent souscrire.
Parallèlement, la Bcc étudie d’autres pistes qui pourraient apporter un souffle au financement de l’entreprenariat et autres projets d’investissement mais dont la mise en œuvre pourrait prendre un peu plus de temps.

 


Le Conseil d’administration de la Bcc a abaissé le taux de constitution des réserves obligatoires de 20 à 15%, en réponse au ralentissement de la croissance. Si la croissance est au rendez-vous, vous envisagez de revoir ce taux ?



Ce taux a été abaissé par décision du Ca de décembre 2013 et est maintenu à 15% depuis, parce que le contexte le justifiait. Toutefois rien n’est figé, si les évolutions des fondamentaux de notre économie notamment la liquidité ou encore l’activité au niveau du secteur réel le justifient, ce serait donc tout naturel de proposer sa révision au conseil.

 

Au cours de ces trois dernières années, la Bcc a engagé un chantier de réformes visant à moderniser le cadre actuel de la politique monétaire afin d’élargir ses moyens d’intervention. Des études ont été menées et il a été recommandé, compte tenu du contexte, que la Bcc puisse émettre des bons, le bon étant un instrument, par ailleurs, prévu par les statuts.

 


La Banque centrale considère que l’activité économique devrait enregistrer de meilleures performances en 2017 en raison de la relance de la consommation privée et d’une reprise au niveau des investissements publics. Sur quoi se fonde cette analyse ?



Vous savez, l’impact positif de l’amélioration de l’approvisionnement en électricité sur l’activité économique est réel et n’est pas du tout à négliger dans nos analyses. Beaucoup d’activités ont repris dans nos villes et villages qui sont restés pendant plusieurs années sans approvisionnement en électricité. A Moroni, dans l’artisanat par exemple, les files d’attentes devant les menuiseries et les boulangeries causées par les délestages ont disparu.

En milieu rural qu’on n’oublie un peu trop souvent qu’il est porteur de 40% de notre richesse, les activités liées à l’énergie notamment les conserveries alimentaires et le commerce des produits périssables ont été redynamisés. Les entreprises qui utilisaient auparavant des groupes électrogènes pour pallier aux délestages, ont vu leurs coûts de production réduits.

 

 

De même, les chiffres de la Mamwe fin octobre 2017 font état d’une production d’électricité en hausse par rapport à 2016 à Ngazidja où l’on a enregistré mille six cent abonnés supplémentaires et 12 Gwh de production en plus par rapport au total de toute l’année 2016. Alors effectivement, dans ses analyses la Bcc estime que l’activité économique est mieux orientée par rapport à 2016.

Les données monétaires, fin septembre 2017, et les données du secteur extérieur fin octobre 2017 laissent présager que sauf évènement majeur, les chiffres du quatrième trimestre ne feront que consolider la dynamique déjà observée au cours des trois premiers trimestres de l’année.

 


Le pays avait présenté un budget ambitieux revu en baisse à mi-chemin. Le Fond monétaire reproche aux pouvoirs publics de n’avoir pas tenu suffisamment compte des perspectives économiques et de leurs impacts sur les recettes, des mesures de politique fiscale nouvelles et enfin l’amélioration de la performance escomptée des administrations de recettes. Vous en pensez quoi ?



L’assemblée nationale a voté un budget rectificatif 2017. Une mission du Fmi a séjourné récemment au pays dans l’objectif de travailler ensemble pour l’élaboration du cadre macroéconomique pour le budget 2018. Les discussions se sont bien déroulées et les deux parties se sont mis d’accord sur l’essentiel.
Il faut, cependant, noter que le montant des recettes publiques est devenu aujourd’hui un sujet à discussion. Le moins qu’on puisse dire est que la pression fiscale aux Comores est l’une des plus basses en Afrique avec un taux de 13,7% (en utilisant le Pib selon le SCN68). Elle serait encore plus faible si on utilisait la méthode SCN93 comme tous les pays africains.

Cela veut dire, tout simplement, qu’une partie importante des recettes potentielles de l’Etat n’est pas collectée. Si on se réfère à la norme africaine de 20% d’objectif de taux de pression fiscale, on estime alors à près de 18 milliards de francs le manque à gagner. Où se trouve cette recette non recouvrée et comment la recouvrer? C’est la question posée aux spécialistes de la fiscalité. Toutefois, il faudrait que l’Etat, à travers l’Agid puisse disposer des instruments nécessaires pour le recouvrement et l’élargissement de son assiette fiscale.

 

Il est vrai que les chiffres qui nous sont communiqués par l’Inseed témoignent d’une baisse du niveau général des prix en glissement annuel, -2,4% en moyenne de janvier à septembre 2017…. Toutefois pour le calcul de l’inflation, les relevés des prix se font dans la zone géographique de la capitale et que bien évidemment, ce ne sont pas tous les postes de consommation qui ont enregistré une baisse.

 

 


Les autorités ont pris un certain nombre de mesures pour baisser les prix de certains biens et services. Vous avez annoncé que le taux d’inflation continue sa tendance baissière (- 3,3% en moyenne au 1er semestre 2017). Pourquoi les ménages ont-ils du mal à traduire cette baisse dans leur panier.



 Il est vrai que les chiffres qui nous sont communiqués par l’Inseed témoignent d’une baisse du niveau général des prix en glissement annuel, -2,4% en moyenne de janvier à septembre 2017. Cette baisse est expliquée par le recul des prix de fonction de consommation “logement”, “eau”, “électricité”, “gaz et autres combustibles”, “Transport” et “Communication”, qui pèsent beaucoup dans le panier du ménage. Ainsi en juillet 2016, les prix à la pompe des produits pétroliers ont diminué, ce qui a permis de revoir à la baisse le prix des transporteurs. De même, l’arrivée du nouvel opérateur de téléphone mobile a entrainé une concurrence et une baisse des prix des services de télécommunication.

Il convient toutefois de reconnaître que pour le calcul de l’inflation, les relevés des prix se font dans la zone géographique de Moroni et que bien évidemment, ce ne sont pas tous les postes de consommation qui ont enregistré une baisse.


Propos recueillis par
Ahmed Ali Amir


 

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