Les récentes assises pour la transformation de l’éducation ont dressé un diagnostic sans concession du système éducatif. Quels sont, selon vous, les constats les plus préoccupants ?
À mon avis, trois constats majeurs se dégagent : d’abord, le manque d’enseignants dans le primaire, marqué notamment par la présence d’enseignants bénévoles sans formation adéquate.Ensuite, la gouvernance peu efficace du système éducatif, avec des responsabilités floues et une faible coordination entre les acteurs et enfin, l’inadéquation des contenus de formation par rapport aux besoins du marché de l’emploi et à la réalité des élèves du côté de l’université.
Des recommandations fortes ont été émises, notamment sur la gouvernance, la pédagogie, la formation des enseignants, et l’usage du numérique. Quelles sont les premières mesures que votre ministère compte engager concrètement ?
Le ministère prévoit en priorité de réorganiser la gouvernance à travers une déconcentration plus efficace, de renforcer la formation initiale et continue des enseignants à travers l’Ifere, notamment via des partenariats avec des institutions pédagogiques.Nous prévoyons aussi d’introduire progressivement les outils numériques dans les écoles pilotes pour améliorer l’apprentissage en partenariat avec l’Anaden et de restructurer les programmes pour les adapter aux réalités locales notamment les besoins du marché de l’emploi.
Une commission nationale de suivi a été annoncée. Y-a-t-il une date pour sa mise en place et quel sera son rôle et sa composition ?
La commission nationale de suivi sera mise en place après la remise du document final par le groupe d’experts comme l’a précisé le chef de l’État. Un conseil des ministres extraordinaire se penchera sur lesdites conclusions. La commission sera composée par des représentants du ministère de l’Education nationale, de la société civile, des partenaires techniques et financiers, ainsi que des syndicats d’enseignants. Son rôle sera d’assurer le suivi de la mise en œuvre des recommandations des assises, de proposer des ajustements, et de garantir la transparence dans les réformes engagées.
Les assises ont recommandé la suppression du concours d’entrée en 6e et les oraux du bac et du Bepc. Comptez-vous mettre en œuvre ces mesures dès la prochaine année scolaire ?
Oui, la suppression du concours d’entrée en 6ème, les oraux du bac et du Bepc sont des nouvelles recommandations, mais il est tôt pour me prononcer sur ces nouvelles recommandations même si je comprends et partage les sentiments qui sous-tendent ces recommandations. Supprimer l’entrée en 6ème suppose que l’on maîtrise parfaitement le système et que le passage du primaire au collège ne crée pas un problème de qualité. On doit donc procéder à des évaluations techniques et pédagogiques pour s’assurer et favoriser un passage plus fluide entre le primaire et le secondaire mais aussi une évaluation technique et pédagogique pour garantir la qualité des examens du Bac et du Bepc. Pour assurer cette transition, on a besoin des avis de nos pédagogues et de nos spécialistes pour s’assurer que la suppression aura les résultats escomptés.
Le rapport de ces assises a évoqué un manque d’encadrement, des enseignants bénévoles, une faible reconnaissance. Que compte faire le gouvernement pour revaloriser réellement le métier d’enseignant ?
Le ministère s’engage à recruter progressivement les enseignants dans la fonction publique via des recrutements ciblés selon le besoin, offrir des formations certifiantes via l’Ifere. La question du statut particulier de l’enseignant relève du gouvernement mais le président s’est engagé à une réforme de l’éducation et je pense que cette valorisation sera bien tenue compte.
Les disparités d’accès à l’école, notamment en milieu rural, sont importantes. Quel est votre plan pour améliorer l’accessibilité et la sécurité du trajet domicile-école ?
Le plan comprend la construction d’écoles de proximité dans les zones rurales prioritaires, c’est ce que nous sommes en train de faire via les projets et programmes du ministère de l’Education en partenariat avec l’Afd et bien sûr la Banque mondiale, le développement de transports scolaires sécurisés avec l’appui des communes, les notables et de la diaspora, l’installation de cantines scolaires dans certaines écoles pilotes pour réduire les abandons dus aux conditions de vie et à la distance.
Comment le ministère entend-il répondre à la demande des familles pour un soutien aux kits scolaires, aux cantines et à l’accueil des enfants en situation de handicap ?
Le ministère travaille à mobiliser des financements, y compris à travers la coopération internationale, pour distribuer des kits scolaires gratuits aux familles les plus vulnérables, c’est une ambition qui n’a pas encore pour l’instant eu une réponse favorable. Le ministère prévoit d’étendre les cantines scolaires avec une alimentation locale et équilibrée et améliorer l’accueil des enfants en situation de handicap via des formations spécialisées pour les enseignants et l’adaptation des infrastructures.
Le rapport mentionne une forte dépendance à l’aide extérieure et un budget insuffisant pour l’éducation. Comment l’État entend-il résoudre cela ?
L’État augmente progressivement tous les ans le budget national alloué à l’éducation dans la loi de finances. Par ailleurs, une meilleure mobilisation des ressources internes est envisagée, notamment par la création d’une taxe dédiée à l’enseignement supérieur en cours d’études. Enfin, une coordination plus stratégique avec les partenaires techniques permettra d’améliorer les relations de coopération. Je ne suis pas certain du terme «forte dépendance» car actuellement le monde fonctionne comme un village et aucun pays ne peut se suffire à lui tout seul ou s’enfermer, si ce n’est pas la Chine peut être. Ceci pour dire que l’on va poursuivre la stratégie de mobilisation des fonds propres mais cela ne veut pas dire que l’on va pas continuer à solliciter l’accompagnement de nos partenaires.
Une imprimerie nationale et une taxe pour financer l’enseignement supérieur sont suggérées. Vous vous donnez combien de temps pour réaliser ces deux projets?
Ces deux projets sont considérés comme prioritaires. La question de l’imprimerie nationale, je pense, ne relève pas de mes compétences. Par contre, une imprimerie au sein du ministère de l’Education, c’est possible, dans un délai de 12 à 18 mois pour imprimer localement manuels et supports pédagogiques. Mais, actuellement, nous avons opté pour des solutions numériques en collaboration avec l’Anaden et l’Unicef pour le primaire.
Nous avons mis en ligne la plateforme «e-chiyo», qui gère les manuels scolaires du primaire et bientôt des cours en ligne. Quant à la taxe pour financer l’enseignement supérieur, elle pourrait être intégrée à la prochaine loi de finances, avec une mise en œuvre effective dans deux ans maximum.
Dans ces assises, l’enseignement privé a été jugé indispensable mais a été en même temps critiqué. Mais comment se fait-il qu’il absorbe quand même la majorité des élèves ?
Cela s’explique par le manque d’infrastructures et de ressources didactiques suffisantes dans les établissements publics, l’effet boomerang des grèves répétitives surtout ici à Ngazidja et une certaine perception de la qualité et de la continuité associée au privé.Toutefois, l’État prévoit de réguler davantage l’enseignement privé tout en investissant massivement dans le public, afin d’équilibrer la répartition et garantir un accès équitable à une éducation de qualité pour tous.
Comment compte-t-on mieux intégrer l’enseignement coranique et le palashiyo dans le système officiel ?
Le ministère travaille sur une réforme curriculaire qui reconnaît la place de l’enseignement coranique et du palashiyo dans l’éducation des enfants comoriens. Cela passe par une harmonisation des programmes, une formation des maîtres coraniques aux méthodes pédagogiques modernes et un encadrement administratif pour assurer une intégration cohérente dans le système officiel.
Le diagnostic est sévère : formations peu valorisées et mal adaptées. Quel est le plan pour redynamiser ce secteur, essentiel pour lutter contre le chômage des jeunes?
Le plan prévoit une refonte des formations professionnelles en lien avec les besoins du marché local (agriculture, tourisme, artisanat, numérique) en associant les professionnels du secteur privé, la création de partenariats public-privé pour favoriser l’employabilité et une meilleure reconnaissance des filières techniques dans le système éducatif et social. Nous avons des programmes dédiés à ce secteur, notamment les projets «Profi» et «Msomo na Hazi».
Une institutionnalisation de la validation des acquis de l’expérience est évoquée. Pourquoi maintenant et comment cela se fera ?
Elle est devenue essentielle pour valoriser les compétences acquises sur le terrain, notamment par les enseignants non diplômés ou les artisans. Elle se fera via la création d’un cadre législatif spécifique, de jurys d’évaluation et de dispositifs de certification. Ce processus permettra d’officialiser des savoir-faire locaux et d’ouvrir l’accès à de nouvelles opportunités.
Cette réforme va aussi aider à limiter le poids de l’informel dans le pays, car avec des certificats, les artisans vont intégrer le système formel plutôt que de rester dans l’informel et cela aidera à la politique «un jeune, un emploi».
Il y a enfin cette notion de «déconcentration effective » de l’enseignement qui a été aussi évoquée. Concrètement, comment cela pourrait-il se traduire dans les faits ?
La déconcentration effective vise à transférer certaines responsabilités du ministère central vers les directions régionales ou locales, voir même les mairies.Cela permettra une meilleure prise en compte des réalités territoriales, une gestion plus rapide et efficace des besoins et une responsabilisation accrue des acteurs locaux dans la gestion des écoles et des ressources. Toutefois, cela va se faire progressivement.
Un dernier mot ?
La transformation de l’éducation est une priorité nationale. Nous sommes conscients des défis, mais déterminés à engager des réformes profondes, justes et inclusives. L’éducation est la clé du développement de notre pays, et chaque comorien doit y avoir un accès équitable, de qualité et en phase avec notre culture et nos ambitionsn