Depuis plusieurs années, la population tire la sonnette d’alarme : le niveau général des élèves est en net recul. «C’est visible. Nous avons des élèves de terminale qui peinent à rédiger un texte cohérent ou à résoudre des problèmes simples», déplore Anoufidine Saïd, inspecteur pédagogique régional à Moroni. À ses yeux, plusieurs facteurs se conjuguent : la multiplication des écoles privées aux méthodes hétérogènes, la mobilité excessive des élèves d’un établissement à l’autre, et une «marchandisation de l’éducation» de plus en plus marquée. Dans les établissements de la capitale, la tendance est confirmée par les enseignants. Moussa Tabibou, professeur d’anglais, assure que la baisse du niveau est constante « chaque année, on sent que la base est de plus en plus fragile.
Élèves, parents, enseignants des responsabilités croisées
Certains élèves ne font aucun effort, ignorent qu’il s’agit de leur avenir, et ne lisent pratiquement jamais ». À ses yeux, l’absence récurrente en cours, le désintérêt pour les cahiers à la maison, et le manque de goût pour la lecture sont devenus monnaie courante. Mais les causes du problème ne se limitent pas à l’attitude des élèves. Le rôle des familles est aussi pointé du doigt. «Les parents sont les premiers éducateurs. Ce sont eux qui doivent encourager leurs enfants à travailler, à se discipliner. Or, beaucoup se désengagent», regrette le même enseignant. Le paradoxe est d’autant plus criant que, selon lui, les outils pédagogiques sont aujourd’hui plus disponibles qu’auparavant.
En salle d’examen, la situation se confirme. Nasri Aladine, élève en classe de troisième et candidat au Bepc cette année, reconnaît que ses camarades et lui-même ne se préparent pas sérieusement «on a pris l’habitude d’attendre les derniers jours pour réviser». Il estime toutefois que certains enseignants portent aussi une part de responsabilité «certains ne viennent presque pas de toute l’année, puis réapparaissent à quelques semaines des examens pour tenter de rattraper le programme».
Une crise qui s’installe dans la durée
La dégradation du niveau scolaire n’est pas un phénomène récent. Elle s’installe dans la durée, sans réponse politique forte. Les résultats aux examens nationaux – BEPC, baccalauréat – sont en chute libre depuis plusieurs sessions, sans que les autorités n’engagent de réforme d’ampleur. Anoufidine Saïd propose pourtant plusieurs pistes concrètes : instaurer un partenariat effectif entre le ministère de l’Éducation nationale et les syndicats d’enseignants, mettre en place une charte précisant les compétences attendues à chaque niveau d’enseignement, et mieux encadrer la création d’écoles privées.
«Il faut revoir à la fois le contenu, les méthodes, et les conditions dans lesquelles on autorise l’ouverture d’un établissement. L’école ne peut pas être un simple business », insiste-t-il. Moussa Tabibou, de son côté, en appelle à une mobilisation plus large «il faut que tous les acteurs – société civile, parents, élèves, enseignants – s’assoient autour d’une table. Il est encore temps de réagir. Mais il faut des mesures concrètes, notamment pour les élèves qui veulent suivre des filières scientifiques : ils manquent cruellement d’outils adaptés ».
Vers un sursaut collectif ?
Dans les établissements, les enseignants font ce qu’ils peuvent, parfois avec des moyens limités. Certains s’organisent pour proposer des séances de soutien, ou pour sensibiliser les parents lors des conseils de classe. Mais sans coordination d’ensemble, ces initiatives restent isolées selon nos différents interlocuteurs. La baisse du niveau scolaire n’est pas une fatalité, rappellent plusieurs professionnels du secteur. Encore faut-il que le pays accepte de regarder le problème en face – et de mobiliser les moyens nécessaires pour en sortir.
Touma Said