Guy Rocher, grand observateur du monde contemporain et sociologue canadien, a montré récemment dans les médias que la pandémie du Covid-19 laissera des traces dans notre mémoire collective et apportera, en même temps, des changements importants.
Si cette pandémie pousse les sociétés occidentales à réfléchir autrement à l’écologie, elle transforme la modernité en modifiant les échanges internationaux, l’économie, les transports et les croyances. C’est donc la société postmoderne et la mondialisation qui seront mises en cause. Parmi les changements observés immédiatement, l’école, en tant que modèle de socialisation et d’ascension sociale, subit les effets du confinement généralisé dans plusieurs pays.
Le sociologue français Bernard Lahire, quant à lui, estime que le confinement présente un grand risque de creusement des inégalités scolaires car en retirant les enfants de l’école, les différences sociales, matérielles et culturelles s’exposent au sein des familles. Dans un récent entretien accordé à France 3, il rappelle que «l’école joue déjà, la plupart du temps, un rôle de reproduction. Mais elle tente néanmoins de réduire les différences et parvient, malgré tout, à transmettre des savoirs à ceux qui sont en difficulté.»
Une continuité pédagogique
Aux Comores, c’est justement à partir d’une telle réflexion que le dispositif numérique mis en place par le ministère de l’Education nationale, loin d’assurer une continuité pédagogique par l’enseignement à distance, contribue à renforcer les inégalités scolaires auprès des élèves. Devant les efforts quotidiens du gouvernement à vulgariser les actions de riposte contre une pandémie qui touche déjà le pays, le dispositif de télé-enseignement que tente de mettre en place le ministère de l’Education est une stratégie salutaire mais qui exige une généralisation efficiente auprès des publics scolaires. Il est donc impératif de revoir la stratégie de la continuité pédagogique afin que tous les élèves, quel que soit les origines sociales dont ils proviennent, les moyens matériels et le capital culturel dont ils disposent puissent bénéficier du suivi et de l’encadrement appropriés.
Le niveau d’instruction des parents
D’une part, l’inexistence d’un enseignement de technologie visant à promouvoir l’informatique et les NTIC dans nos écoles ne permet pas d’assurer, pendant la fermeture des établissements scolaires, la continuité de la vie scolaire de tous les élèves. D’autre part, la précarité de certaines familles constitue indiscutablement un obstacle : quand des parents aux revenus plus que modestes peinent à assurer une fourniture scolaire aux enfants, à leur payer régulièrement l’écolage ou à assurer leur déplacement, l’accès à Internet n’est qu’un de leurs derniers soucis. A cela s’ajoute également la question du capital culturel et des trajectoires familiales.
Il s’agit ici de l’ensemble des ressources culturelles dont dispose la famille : le niveau d’instruction des parents, des ainés et de la fratrie est un facteur important de transmission de valeurs scolaires. Aux Comores, le constat est sans appel même si l’hypothèse impose une vérification actualisée sur le terrain. Ainsi, dans l’ouvrage Les Héritiers (1964), Pierre Bourdieu montre que « l’égalité des chances sociales est similaire à l’égalité des chances scolaires» et il faut considérer comme central le niveau d’instruction atteint par les parents. Plus ils possèdent un niveau d’études élevé, plus les enfants réussissent mieux leur scolarité. Alors, il faudra comprendre que les exigences et les critères du système d’enseignement jouent au détriment des classes défavorisées, la scolarité d’un enfant étant budgétivore. Enfin, entre l’école publique, gratuite et l’école privée, payante, il y a deux poids et deux mesures.
Dans l’une comme dans l’autre, la continuité pédagogique soulève de vives interrogations. Comment assurer un enseignement à distance à des élèves dont les professeurs ne parviennent pas à épuiser les programmes d’enseignement faute de temps générée par des absences répétitives et des grèves intempestives ? Est-il possible de mettre en place un tel dispositif pour des enseignants habitués à la transmission magistrale et n’ayant pas bénéficié de formation sur l’usage des nouvelles technologies à l’école ? C’est dans un tel contexte que s’exposent amèrement les défaillances matérielles et les inégalités.
Des familles monoparentales
Plus les parents et la fratrie possèdent des compétences intellectuelles, plus les enfants ont de fortes chances de réussir dans leurs parcours scolaires. Mais, l’inverse n’est pas tout à fait évident. L’accès au savoir et la réussite scolaire ne sont toujours pas déterminés par le niveau d’instruction des ascendants.
C’est plutôt le rapport au savoir des parents qui prime. Certains enfants issus de parents non scolarisés ou n’ayant connu qu’une scolarisation primaire réussissent aussi mieux que d’autres. Certains enfants issus de familles monoparentales où les ressources financières sont extrêmement limitées poursuivent aussi de brillantes études. Alors que d’autres élèves issus de familles aux revenus élevés mais dont le capital culturel est inférieur ne font pas de brillantes études.
Dans le cadre de la continuité pédagogique à travers la plateforme numérique, il est donc intéressant d’adapter les apprentissages et leur mode de transmission aux différents publics scolaires. Tous les enfants comoriens n’ont pas accès à Internet et ceux qui en possèdent n’ont pas les possibilités d’en bénéficier les savoirs. Tous les parents ne sont pas en mesure de s’approprier l’outil numérique. Pour pallier à cela, la continuité pédagogique doit être adaptée. Comment ? Les spécialistes en ingénierie de formation sont à même de répondre à cette question. De toute façon, le retrait des élèves de l’école, la distance qui sépare l’élève de l’enseignant, la précarité de certaines familles et le rapport au savoir des parents renforcent et extériorisent les inégalités scolaires de nos enfants.
Issa Abdoussalami
Docteur en sociologie