Depuis quelques années, des élèves originaires de certaines localités de Ngazidja, inscrits dans les établissements de la capitale, Moroni, sont contraints de regagner leurs villages, parfois pour une seule année, parfois jusqu’à la fin de leur scolarité. La règle reste en vigueur dans plusieurs régions, notamment à Mbadjini. Les familles doivent s’y conformer sous peine d’amendes pouvant atteindre 500 000 francs comoriens, parfois le double. Dans certains cas, la sanction prend une autre forme : exclusion de l’entraide communautaire lors d’événements tels que mariages ou funérailles. Pour ses partisans, ce système permet de consolider la vie communautaire et de soutenir les écoles locales.
Mais pour ses opposants, il s’agit d’une contrainte qui restreint la liberté des familles, d’autant que les établissements de Moroni offrent aujourd’hui davantage de moyens pédagogiques que ceux des villages. Abdallah Zainou, parent originaire de Dembeni, défend cette règle. «Nous voulons garder nos enfants au bled pour que l’école locale ne se vide pas, mais aussi pour qu’ils restent attachés à leurs racines et à leurs localités. Ceux qui restent ici s’attachent davantage aux valeurs de la communauté», soutient-il. Cette pratique n’est pourtant pas universelle. À Panda, dans la même région, les habitants ont fini par exprimer leur ras-le-bol. Les familles ont ainsi retrouvé leur liberté de choix quant au parcours scolaire de leurs enfants.
Pour certaines mères, la contrainte s’avérait insoutenable. Roukayat, installée à Moroni, témoigne : «C’était compliqué parce que nous devions rentrer nous aussi. Or si nous sommes à Moroni, c’est parce que nous y travaillons.» Chaque mois d’août, de nombreuses familles installées dans la capitale doivent ainsi arbitrer entre céder à la pression communautaire ou assurer à leurs enfants une éducation qu’elles jugent plus complète. Mariata Salim, originaire de Shezani, ne cache pas son incompréhension. «Chez nous, ce sont des choses qui n’existent pas. Je ne vois pas pourquoi on m’obligerait à rapatrier mon enfant. Ce changement d’environnement pourrait déstabiliser sa scolarité», confie-t-elle.
Ce constat partagé par Ayouba Mohamed, professeur de français à Moroni. « Beaucoup de mes élèves vivent mal ces déplacements. Certains s’adaptent difficilement, d’autres pas du tout. Leurs résultats scolaires en pâtissent. On devrait plutôt améliorer les écoles des villages, investir dans les infrastructures et former les enseignants pour inciter les familles à y envoyer leurs enfants par choix, pas par contrainte», pense ce dernier. Malgré les risques financiers, certaines familles choisissent de résister. La mère d’Elhad Mzé, originaire d’Ivembeni, raconte : «J’ai refusé d’envoyer mes enfants au village.
Je préfère payer un million plutôt que de les arracher à leur cadre d’étude. C’est un sacrifice énorme, mais je pense à leur avenir avant tout.» Loubna Ali, ancienne élève du lycée Saïd Mohamed Cheikh, garde un souvenir amer de son transfert forcé. «Du jour au lendemain, mes parents m’ont dit que je devais rentrer pour éviter de payer. J’ai fait un an au village avant de revenir. Cela m’a perturbée car j’avais déjà mes habitudes à Moroni», se remémore-t-elle tristement. Cette règle communautaire continue donc de diviser, et les familles font face à ce dilemme : préserver les traditions ou offrir à leurs enfants les meilleures chances de réussite.