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Ibouroi Ali Toibibou, recteur de l’Université des Comores I «Il ne s’agit plus de former pour former, mais pour répondre aux besoins du pays»

Ibouroi Ali Toibibou, recteur de l’Université des Comores I «Il ne s’agit plus de former pour former, mais pour répondre aux besoins du pays»

Éducation | -   Youssef Abdou

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Reconduit à la tête de l’Université des Comores, le recteur défend une vision ambitieuse : professionnaliser les formations, renforcer la recherche et moderniser la gouvernance. Dans un contexte de moyens limités, il mise sur des réformes profondes pour aligner l’institution aux réalités économiques et affirmer sa place dans l’espace scientifique régional.

 

Le 30 octobre dernier, vous avez été reconduit à la tête de l’Udc pour un nouveau mandat de quatre ans. Quels éléments, selon vous, ont contribué à cette reconduction ?


Avant d’être élu recteur, j’ai assuré un mandat intérimaire pendant quatre ans, dans un contexte difficile marqué par l’absence d’organes de gouvernance, une instabilité financière et la pandémie de la Covid-19. Puis, lors des élections organisées par l’Université des Comores, plusieurs candidats ont présenté leurs projets et le mien a été retenu en tête par le conseil d’administration. Malgré tout, avec la mobilisation de la communauté universitaire, nous avons réussi à maintenir l’institution à flot et à poser les bases d’un redressement durable. Ce sont d’ailleurs des orientations définies le 21 juillet 2021 lors du Séminaire d’appropriation des textes stratégiques à Itsandra, en présence du chef de l’État.

Quels seront les axes prioritaires de votre action au cours de ce nouveau mandat ?


Notre vision est claire : faire de l’Université des Comores une institution d’excellence, connectée au monde, et au service du développement national. Pour cela, nous avons défini plusieurs axes de transformation, à la fois ambitieux et réalistes, dont un diagnostic complet de l’état actuel de l’université, qui permettra de bâtir des fondations solides pour toutes les réformes à venir. Ainsi, nous avons créé un Office universitaire d’orientation, destiné aux nouveaux bacheliers pour les accompagner, réduire le taux d’échec et favoriser leurs insertions professionnelles. En parallèle, nous envisageons l’organisation régulière d’un Salon de l’étudiant, pour rapprocher le monde académique du monde économique.

L’autre priorité est portée sur la révision des maquettes de formation car Il ne s’agit plus de former pour former, mais de former pour répondre aux besoins du pays. Le numérique jouera également un rôle central dans notre stratégie. Nous voulons doter l’Udc des outils du 21e siècle, améliorer l’accès au savoir, moderniser nos pratiques pédagogiques et réduire la fracture numérique. Sur le plan académique, nous finaliserons l’implémentation du système Lmd en développant une école doctorale pluridisciplinaire et en multipliant les codiplomations avec les universités partenaires. En matière de santé, nous projetons de faire évoluer l’École de médecine vers une Faculté à part entière, en appui au nouvel hôpital El-Maarouf.

L’ouverture prochaine d’une école doctorale a été annoncée, alors même que certains soulignent des difficultés persistantes dans les formations de licence et de master. Comment conciliez-vous ces deux dynamiques ?


Ce sont des jugements et des opinions parce qu’ici, il ne s’agit pas de nier les difficultés actuelles dans nos formations de licence et de master, bien au contraire. Nous en avons conscience et c’est pour cela que les deux dynamiques sont complémentaires et non contradictoires. D’un côté, nous poursuivons la réforme des cursus de premier et deuxième cycle, en révisant les maquettes pédagogiques, en professionnalisant davantage les filières, et en renforçant l’encadrement académique. Puis de l’autre, la création d’une école doctorale vise à structurer la recherche, à retenir les talents, et à positionner l’Université des Comores dans l’espace scientifique régional et international. C’est aussi un levier pour améliorer la qualité globale de l’enseignement supérieur, car une recherche forte nourrit directement l’innovation pédagogique et académique. Il ne s’agit donc pas de sauter des étapes, mais de construire une université plus cohérente, ambitieuse et connectée à notre environnement.

Lors du séminaire stratégique de 2021, la création d’un cadre de concertation entre les milieux universitaire et professionnel avait été recommandée. Où en est cette initiative aujourd’hui ?La création d’un cadre de concertation entre l’Udc et le monde professionnel a certes été recommandée lors du séminaire stratégique de 2021, et cela reste toujours un objectif stratégique. Des démarches ont été engagées, surtout à travers des partenariats régionaux comme le programme Interreg 4 Océan indien, qui visent à rapprocher le monde académique des réalités économiques. Toutefois, la mise en place d’un cadre formel, durable et institutionnalisé est encore en cours. Nous devons aller plus loin, en instaurant des comités mixtes, des plateformes de dialogue et des partenariats structurés pour garantir une adéquation continue entre nos formations et les exigences du marché de l’emploi. C’est l’une des importantes étapes que nous devons franchir pour améliorer l’employabilité de nos diplômés et contribuer activement au développement du pays.

Certains observateurs estiment que, malgré ses 22 années d’existence, l’Université peine encore à adapter ses formations aux réalités du marché de l’emploi. Quelles en sont, selon vous, les principales raisons ?


C’est vrai que malgré ses 22 années d’existence, l’Udc doit progresser pour aligner ses formations avec les exigences du marché de l’emploi en passant par plusieurs facteurs structurels et historiques. L’Udc a été pensée pour répondre à une urgence nationale, former des cadres rapidement pour occuper des fonctions dans l’administration publique. Ce modèle, bien qu’efficace à court terme, n’a pas suffisamment anticipé l’évolution du tissu économique et les nouveaux besoins professionnels du pays. Ensuite, il y a eu un retard dans la révision et l’introduction de filières professionnalisantes. Cette réforme nécessite des ressources humaines, financières et matérielles importantes, que l’université n’a pas toujours eues à sa disposition.

Il y a aussi le lien entre le monde académique et le secteur privé encore très faible. Il faut renforcer le dialogue avec les acteurs économiques, impliquer les professionnels dans l’élaboration des programmes et promouvoir les stages, l’alternance, et l’entrepreneuriat étudiant. Dans le projet que je porte, nous avons fait de l’adaptation des formations aux besoins du pays une priorité. Nous avons instauré 18 nouvelle formation, lancé une révision des maquettes, engagé des partenariats avec le secteur privé, et amorcé la transformation de l’Université vers une logique de compétence, d’innovation et de professionnalisation.

Vous êtes à la tête de l’Université depuis près de cinq ans. Quels efforts ont été entrepris en faveur de la recherche durant cette période ?


Depuis ma prise de fonction, nous avons travaillé avec détermination à redonner à la recherche une place centrale dans la mission universitaire. Le premier chantier a été de stabiliser les structures existantes, réactiver les laboratoires et encourager la production scientifique. Nous avons lancé plusieurs appels à projets en internes pour soutenir les jeunes chercheurs, renforcé les partenariats internationaux, notamment avec des universités de la région comme l’École supérieure d’art de La Réunion ainsi que des universités africaines et européennes.

Nous œuvrons aussi à la visibilité des travaux produits à l’Udc. Nous avons également posé les fondations d’une École doctorale pluridisciplinaire, qui permettra non seulement de former localement des docteurs, mais aussi de structurer la recherche autour des thématiques prioritaires pour le pays comme l’environnement, la santé publique, les sciences sociales, l’éducation, etc. Enfin, nous mettons en place un cadre réglementaire pour valoriser la recherche, garantir l’éthique scientifique, et inscrire l’Udc dans les réseaux de coopération régionale. Le chemin est encore long, mais les bases sont là.

La fin d’année est souvent marquée par des tensions financières à l’Udc. Des pistes sont-elles envisagées pour mieux anticiper ou éviter ces situations récurrentes ?


Chaque année, nous devons assurer les salaires de nos employés, maintenir les activités pédagogiques et garantir le bon fonctionnement de l’administration avec des ressources limitées. Les recettes internes sont en grande partie issues des droits d’inscription et des frais de délivrance des diplômes, qui ne représentent qu’environ 20 % du budget annuel. À cela s’ajoute une subvention publique qui couvre près de 45 % du budget, principalement pour les salaires. Cela signifie que près de 35 % du financement nécessaire doit automatiquement être mobilisé au cours de l’année académique. C’est une situation qui crée une pression constante, surtout en fin d’année. Pour y faire face, nous réfléchissons à diversifier nos sources de financement, améliorer la gestion des fonds propres et renforcer les partenariats. Nous voulons aussi promouvoir des projets générateurs de revenus à moyen et long terme.

Il est parfois reproché à l’administration centrale de concentrer la gestion des ressources financières, ce qui compliquerait le fonctionnement de certaines composantes. Un retour à une forme d’autonomie budgétaire est-il envisageable ?


C’est un sujet qui fait partie des débats sur la gouvernance universitaire. La centralisation actuelle répond d’abord à un souci de transparence, de rigueur et de sécurité budgétaire dans un contexte de ressources limitées. Cela dit, nous sommes tout à fait conscients des contraintes que cela peut engendrer pour certaines facultés ou composantes dans leur fonctionnement quotidien. Un retour à une forme d’autonomie budgétaire est envisageable, mais de manière progressive et encadrée. Il ne s’agira pas de déléguer sans accompagnement, mais de renforcer les capacités de gestion au niveau local, mettre en place des outils de suivi fiables et garantir une répartition équitable des ressources. L’objectif est clairement de permettre plus de réactivité et d’initiatives sur le terrain, tout en maintenant un pilotage global cohérent et responsable au niveau de l’Udc.

Les mandats des chefs de composantes sont arrivés à échéance depuis 2019. Quels sont les obstacles qui retardent leur renouvellement, alors que la nouvelle loi vous en confie la responsabilité ?
C’est vrai, les mandats de plusieurs chefs de composantes sont arrivés à terme depuis 2019. Le retard dans leur renouvellement est dû à plusieurs facteurs. D’abord, même si la nouvelle loi nous confie cette responsabilité, mais les textes qui doivent encadrer sa mise en œuvre ne sont pas encore finalisés. C’est ce qui complique l’organisation de la procédure. Puis, nous faisons face à des défis internes, avec le manque de profils éligibles pour ces postes et également des discussions en cours sur la réforme de notre structure administrative. Je précise que ce n’est en aucun cas un blocage volontaire, mais plutôt un ensemble de contraintes techniques et institutionnelles. En tout cas l’Udc est bien consciente de l’urgence sur cette question et travaille à réunir toutes les conditions nécessaires pour que ces postes soient renouvelés dans les règles et dans les meilleurs délais.

Votre gestion financière fait régulièrement l’objet de critiques, notamment en lien avec les recrutements. Comment répondez-vous à ces préoccupations dans un contexte budgétaire contraint ?


Le cadre légal a été rompu, les derniers recrutements n’ont eu lieu qu’en 2017 pour 23 enseignants selon les règles fixées pour ce genre d’opération. Par après ce sont des propositions de contrat à durée déterminée selon les demandes des chefs de composante. C’est eux qui décident exclusivement du recrutement. Bien évidemment les contrats sont signés à mon niveau mais je ne suis pas censé savoir à la rentrée qu’un cours est assuré ou pas que sur la base des informations fournies par les chefs des composantes. Parfois la personne proposée n’est pas celle qui a enseigné. L’octroi des cours à un enseignant c’est l’affaire des chefs des composantes.

Enfin, il y a ces bâtiments construits avec l’aide de la coopération marocaine pour servir de dortoirs et qui n’ont à ce jour pas été utilisés. Pour quelle raison ?


En effet, la mise en service de ces bâtiments construits grâce au soutien du Royaume du Maroc, dans le but d’améliorer les conditions d’hébergement des étudiants a été retardée en raison de contraintes techniques et logistiques. Plusieurs éléments restent à finaliser, notamment l’installation des équipements et la mise en place d’un cadre de gestion pour assurer un fonctionnement durable et équitable. Nous devons également établir un règlement clair pour l’attribution des places, dans le respect de l’égalité des chances. Quoi qu’il en soit on ne nous a pas officiellement remis les bâtiments. Nous ne les exploitons pas.

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