M. l’ambassadeur, depuis quelques jours, des étudiants comoriens au Sénégal font une grève de la faim au sein même de l’enceinte de notre représentation diplomatique au Sénégal. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’on en est arrivés là et les raisons de cet acte de protestation de ces étudiants ?
Le bureau de l’Amicale des élèves, étudiants et stagiaires comoriens au Sénégal (Aeescos) est venu protester contre la gestion par le gouvernement comorien des bourses de coopération que le gouvernement sénégalais octroie à l’Etat comorien chaque année.
Je tiens à préciser ici que la gestion des bourses fait partie des missions régaliennes de l’État et des structures nationales sont mises en place pour les gérer. Toutefois, du fait que l’un des critères exigés est d’être régulièrement inscrit au terme de l’année académique en cours dans une université ou institut sénégalais reconnu par l’État du Sénégal, il me paraît compréhensible et opportun que la gestion de ces bourses soit faite en parfaite collaboration avec l’Ambassade.
Ce n’est pas une obligation, mais juste un souhait de transfert de pouvoir. Après une série de rencontres avec les membres du bureau de l’association, l’ambassade s’est engagée à porter cette doléance au niveau des autorités comoriennes compétentes.
Malgré les avancées significatives enregistrées par la voie du dialogue, des dizaines d’étudiants ont voulu venir manifester dans l’enceinte de la chancellerie. C’est dans ce sens que nous avons pris les dispositions préventives pour sécuriser notre mission diplomatique, conformément aux Conventions de Vienne, lesquelles stipulent que le pays accréditaire doit assurer la protection de l’institution diplomatique accréditée dans son territoire.
Néanmoins, l’ambassade a accepté de recevoir une délégation de cinq étudiants pour venir négocier et envisager une sortie heureuse de la situation. Après plus de six heures de discussions autour du droit régalien de l’État et des démarches entreprises auprès des autorités comoriennes compétentes, les étudiants n’ont accepté aucune proposition soumise par l’ambassade ; ils souhaitent parler directement avec une autorité comorienne de Moroni. Ainsi, ils ont décidé de faire un sit-in à l’intérieur de l’ambassade et ce depuis le mardi 2 mai 2017.
Quelle est précisément la principale revendication de ces étudiants ?
Leur principale revendication porte sur la gestion des bourses ; ils sont contre le transfert de la gestion de ces bourses vers Moroni et demandent que la gestion soit la même que lors des années précédentes.
La revendication est en soi compréhensible, mais comme je l’ai dit, la gestion des bourses est un pouvoir régalien et il appartient à l’Etat de transférer ou non ce pouvoir. Toutefois, la méthode utilisée par les étudiants est très contestable.
Qu’est-ce qui a conduit les autorités de Moroni à demander à assurer la gestion de ces bourses alors que ce n’était pas le cas avant ?
La gestion des bourses relève de la compétence exclusive de l’Etat et la question mérite d’être posée, à mon avis, aux autorités compétentes.
Quel est le point de vue de l’Ambassade face à ce mouvement de protestation des étudiants ?
Dès mon accréditation en octobre 2015, j’ai toujours travaillé en parfaite collaboration avec l’Aaascos. Au regard de la confiance et de la grande ouverture que je leur ai toujours accordées, j’ai aujourd’hui un sentiment de déception.
Je condamne et déplore fermement la conduite des étudiants grévistes ; une attitude qui ne reflète pas l’image de ce pays accréditaire, un grand pays comme le Sénégal qui leur voue amour et respect. Et surtout une situation qui n’honore pas du tout notre pays.
J’invite ainsi mes ressortissants, notamment les étudiants, à la retenue et au calme pour l’intérêt général et la sauvegarde des bonnes relations qui caractérisent nos deux pays.
Sur les réseaux sociaux, des étudiants mènent une campagne de communication et parlent de prise en otage de cinq étudiants ?
C’est très malhonnête de publier de telles allégations, et c’est une propagande mensongère. D’ailleurs, l’Ambassade les a, à plusieurs reprises, demandé de partir, car leur présence suscite une tension et bloque le bon fonctionnement de l’institution.
Pour votre information, une d’entre eux est rentrée aujourd’hui (mercredi, Ndlr) de son propre gré. Avec cette campagne de désinformation caractérisée, on peut légitimement s’interroger sur la sincérité des motifs de leurs revendications.
Qu’est-ce l’ambassade compte faire actuellement face à une telle situation inattendue ?
L’Ambassade a informé le gouvernement comorien à travers son ministère de tutelle ainsi que le ministère de l’Education nationale de la situation et de son évolution. Également, je me suis entretenu avec le secrétaire général du gouvernement sur cette situation.
Les autorités sénégalaises sont également saisies et assurent actuellement la protection de la chancellerie. Je profite de cette occasion pour manifester toute ma gratitude à l’égard du gouvernement sénégalais.
En ce qui concerne les revendications, l’Ambassade est en pleine négociation avec les autorités compétentes et des avancées notables sont enregistrées.
Quels critères doit-on remplir pour bénéficier de ces bourses de l’Etat sénégalais ?
Pour postuler à ces bourses, les trois principaux critères sont : être inscrit au terme de l’année académique en cours dans une Université publique sénégalaise ou dans un Institut privé, reconnu par l’Etat du Sénégal, avoir moins de 30 ans et être titulaire d’un baccalauréat.
Quel tableau pouvez-vous dresser en général des étudiants comoriens au Sénégal ?
Généralement, j’ai une image très positive des ressortissants des Comores. Bien qu’il faille reconnaître que ces dernières années, notre image se dégrade de plus en plus pour des raisons de conduite. La situation actuelle en est une parfaite illustration.
Le mot de la fin ?
Le Sénégal est un pays partenaire de longue date. Nous sommes liés par plusieurs accords de coopération dont les fameux accords de représentation diplomatique et consulaire, des accords renouvelés en mars 2006 lors de la visite d’Etat effectuée par Son Excellence Azali Assoumani, en qualité de chef de l’Etat.
Mon objectif principal est de redynamiser davantage cette coopération avec ce pays dont les opportunités réciproquement avantageuses sont nombreuses. Ainsi, nous avons pris l’initiative de mettre en place une Commission mixte de coopération entre les deux pays.
L’Accord portant création a été signé à Kigali, au Rwanda, en marge du sommet des chefs d’Etats et de gouvernement de l’Union africaine et, très prochainement, la phase de négociations sera suivie de la signature officielle du document final.
Ceci est dans l’optique de prospecter les domaines d’intérêt commun pour renforcer non seulement la coopération culturelle existante, mais également ouvrir une nouvelle ère de coopération économique afin d’accompagner la vision du chef de l’Etat de faire des Comores, un pays émergent à l’horizon 2030.