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Parcours / Adamo ou l’éternel apprenti

Parcours / Adamo ou l’éternel apprenti

Éducation | -

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Passionné de lecture et de foot, Ali Mnamdji Kari, communément appelé Adamo, vient de décrocher le baccalauréat cette année, à l’âge de 60 ans, s’il vous plait. Ce père de 8 enfants, autodidacte, fan de Mao Tsé-toung et de Che-Guevara, se dit désolé de «la faillite de l’Etat» et plaide pour une révolution des mentalités. Le doyen des bacheliers 2018 nous a rendu visite samedi dernier.

 

À son arrivée à Al-watwan, samedi dernier, Ali Mnamdji Kari dit Adamo était toujours sous le coup de l’émotion comme le jour de la proclamation des résultats du bac 2018, «jour de bonheur» selon ses termes, où sa photo faisait le tour du web. «On m’a dit de venir ici, me voici, je suis à vous. C’est moi Adamo», glisse-t-il sur un ton amical, non sans faire valoir «le droit» de passer au journal comme les autres personnages de son profil.

Son courage de se présenter à la Maison de presse légitime autant son droit de laisser trace dans «l’histoire» du premier journal des Comores que notre devoir de comprendre le parcours brouillé, mais passionnant de ce sexagénaire qui a déclaré la guerre à l’ignorance. «Si ce pays marche à reculons, c’est parce que beaucoup de gens manquent d’éducation. Les gens ne sont pas éduqués, il faut les pousser à apprendre, à lire, à comprendre le monde», dit-il avec une gouaille sans mesure.

Ancien bras droit de Mongozi

C’est sans doute cette envie insatiable d’apprendre qui a discipliné pendant 40 ans son amour de l’enseignement, des livres et du scrabble. «J’aime me cultiver tout le temps», ajoute-t-il fièrement. «J’aime la lecture, les gens n’ont pas compris que lire, c’est manger, un esprit qui ne lit pas maigrit comme un corps qui ne mange pas», poursuit le doyen du baccalauréat 2018. «J’irai à Mvuni pour y faire le Droit, je souhaite toujours continuer à me cultiver», a-t-il promis. «Vous voyez, là je viens de préparer mon dossier, je vais faire mon inscription», enchaine-t-il. Ali Mnamdji Kari entre pour la première fois dans une Université au même titre que son enfant de 28 ans qui vient d’avoir le bac la même année que Papa. «Il y en a un qui est en première, et un autre qui passe en seconde, en tout j’ai 8 enfants», nous dit le vieux bachelier. «J’ai eu 10 en Philo, 10 en Histoire-Géo. Mais je n’ai pas compris comment on a pu me coller un 5 en Français, c’est dur à supporter. J’ai eu en tout 173.5 points, il me manquait 8 petits points pour passer au premier groupe», explique-t-il, regrettant avoir été piégé l’année dernière par un sujet mal formulé, selon lui. «J’étais sur le point de passer mais ce sujet de Philo m’a freiné», ajoute cet autodidacte au courage exceptionnel.

Apprendre encore et toujours

Né en 1958 à Dzahani-la-Tsidje, Ali Mnamdji Kari quitte l’école en classe de seconde en 1975. Il rejoint la Révolution, engagée par feu le président Ali Soilihi. Il se fait remarquer par ses idées révolutionnaires inspirées de Mao Tsé-toung et Che-Guevara.

Il sera vite enrôlé dans le cercle restreint du Mongozi. L’homme avait le sang neuf pour accompagner «le camarade» dans sa volonté de révolutionner les mœurs, lutter contre la misère et faire naître une société éveillée.

«J’ai été membre du comité central de la Révolution, on m’avait détaché au Tribunal de Moroni, je travaillais aux côtés de Salim Abdourazak», se remémore «Che-Guevara» dont la nostalgie de la Révolution soilihiste se lit encore sur le visage. «J’ai été envoyé à Ndzuani pour sensibiliser les gens sur la Révolution, c’est moi qui coordonnais les travaux de construction des Mudria à Ndzuani», rappelle ce passionné de foot, membre fondateur du club mythique Rapide Club de Moroni, en 1978, et dont il reste encore aujourd’hui l’un des fervents gardiens du temple. Mais, une fois le chapitre de la Révolution fermé, Ali Mnamdji Kari voit son rêve brisé tout comme ses camarades qui faisaient le maquis après le coup d’Etat du 13 mai 1978.

Le béret qu’il porte à la Thomas Sankara rappelle ces anciens adeptes des grandes révolutions mondiales qui avaient façonné et inspiré la vie des milliers de générations en Afrique, en Asie et en Amérique Latine aprés «Le Soleil des indépendances». Le doyen, rongé par les douleurs nées après la mort d’Ali Soilihi, fait partie de cette catégorie d’hommes et de femmes aux idées perdues qui ont été noyés par les méandres de la vie et dont les peines, collées aux yeux, sont difficiles à gommer. Trahi par les pièges de l’histoire, degoûté par le suscide collectif, Adamo se résout à se recycler au début des années 1980 et devient enseignant, d’abord à l’Ecole d’Application Fundi Saïd Mnemoi de Moroni, puis à Mbueni, Samba, Bweni ya Bambao. Une carrière d’enseignant qui bombe son cœur de joie et de fierté mais qui reste néanmoins ponctuée par une injustice difficile à avaler, en 1994, lorsque l’Etat engage le fameux Plan d’ajustement structurel (Pas).

«L’Etat comorien me doit 2.076.712 francs comoriens», dénonce-t-il avec amertume. Ce chiffre hante son esprit. «Je ne comprends toujours pas ce mal des Hommes, pourquoi l’on me fait subir cette injustice», explique le doyen, fier de voir «mes anciens écoliers» dans l’administration et dans le Privé. Après cette retraite anticipée en 1995, Adamo devient «un chômeur local», continuait à lire. Il fait don de son temps aux jeunes souhaitant apprendre les types de sport. Avant de songer en 2015 à l’idée de faire le bac. Mission réussie en 2018 mais le combat continue. «Mon envie est d’apprendre, encore et toujours», a-t-il conclu.

 

A.S.Kemba

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