Le shiKomori bientôt enseigné dans les écoles ! L’annonce vient d’être faite par les responsables de l’Education nationale. Initiative louable prise près de quarante-six ans après l’indépendance. Mais«mieux vaut tard que jamais», peut-on ainsi se consoler. Car la langue maternelle est réputée jouer un rôle primordial dans le développement cognitif de l’enfant. Il est dit qu’une bonne maîtrise de la langue maternelle ouvre royalement la voie à un meilleur apprentissage d’autres langues.
Ceci étant , cet enseignement doit débuter dès le cycle préélémentaire. Auparavant, le shiKomori, cette langue maternelle servait de langue de communication à l’école traditionnelle où l’on y apprenait à l’enfant la morale et les préceptes de la religion. Aujourd’hui, la maternelle moderne a pris le pas sur cette école traditionnelle. Ici le français, une langue étrangère, prédomine de surcroît.
La tendance, en vogue presque dans tout le pays, en milieu urbain comme rural, voulait que l’enfant soit admis à une école de langue française ou franco-arabe. Inscrire son rejeton dans une maternelle ou, autrement dit, confier son éducation de base à l’enseignement moderne est considéré comme la panacée. Car le syndrome du modernisme infecte tout le monde, famille aisée ou moins aisée jusqu’au fond de l’arrière-pays. L’idée est de faire apprendre à cet enfant à mieux manier une autre langue au détriment de celle de ses parents, soit disant au passage la langue de ses ancêtres.
Apprendre par la première langue parlée
Aussitôt finit son sevrage - l’âge requis est de trois ans - on lui achète son sac à dos. Certaines familles, en fonction de leurs moyens ou des exigences des écoles, parviennent à lui trouver aussi toute une panoplie d’outils pédagogiques de la classe maternelle. Puis vint la corvée de l’accompagner tous les matins jusqu’en classe et le récupérer en fin de cours, tous les jours.
Mais pourquoi cette école est maternelle ? En France où elle est née vers 1833 pour accueillir les enfants dès leur plus jeune âge, il n’y avait que les femmes qui s’occupaient d’eux. Son histoire est liée à celle de la révolution industrielle en France.Au départ, il s’agissait de maisons d’asile pour enfants dont leurs mères travaillaient dans les usines. Au fil des temps, le ministère de l’Education organise ces maisons en une école qui accueille de très jeunes enfants pour les préparer aux apprentissages fondamentaux de la lecture, de l’écriture et du calcul.
En fait, l’école maternelle assure une prise en charge des enfants dont les parents exercent ou non une activité professionnelle et permet aux enfants de se socialiser et de s’initier progressivement à la scolarité. Cependant, cette catégorie d’école a ses spécificités pour chaque pays, notamment la Belgique (en Fédération Wallonie-Bruxelles, en Communauté flamande et en Communauté germanophone), la Suisse, le Québec au Canada, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis avec son kindergarten.
Le shiKomori, dialecte d’une minorité
C’est dire qu’elle est avant tout culturelle pour le terroir. Elle est gratuite ou privée, obligatoire ou non, selon la politique de l’enseignement du pays.
La logique voudrait que l’école maternelle française prépare les très jeunes enfants français à la lecture et à l’écriture de la langue françaises. Dans ce cas de figure, ils ne reçoivent, en réalité, qu’un renforcement de leur langue maternelle qui demeurera, de surcroît, la langue d’apprentissage tout au long de leur cursus scolaire.
Il est admis que l’utilisation de la langue maternelle permet d’enseigner les enfants et d’apprendre de nouvelles choses. Ils apprennent mieux dans leur langue maternelle. En croire les spécialistes, lorsque la langue utilisée à l’école n’est pas la première langue parlée par les enfants, le risque de déscolarisation ou d’échec dans les petites classes est plus élevé.
Par contre, les avantages de l’utilisation de la langue maternelle sont nombreux, notamment la connexion directe avec l’environnement familial, vers les traditions culturelles et vers les amis et voisins qui parlent la même langue. Un apprentissage précoce des enfants est plus facile et plus amusant puisqu’il se fait dans leur langue la plus confortable.
Des études ont montré que l’on obtient de meilleurs résultats au primaire lorsque la langue d’enseignement est la langue maternelle des apprenants.
Or, malgré les preuves tangibles de réussite pour certains pays ayant adopté cette politique, de nombreux systèmes éducatifs dans le monde continuent à imposer l’usage exclusif de langues étrangères privilégiées, excluant de ce fait les langues nationales.
Dans ce lot, nous avons l’école comorienne et les enjeux ne sont pas difficiles à comprendre. Lors de son introduction dans l’archipel par les colons, parce que cette école ne parle pas leur langue, des parents comoriens rechignaient à y envoyer leurs enfants au risque de les voir leur revenir avec une autre culture ; mais aussi les enfants ont de mal à exécuter correctement les exercices ou encore ils connaissent l’échec dès les petites classes. Ceux qui réussissent à surmonter les obstacles de cet apprentissage font face à une déperdition rapide de langues et dialectes qui sont les dépositaires des savoirs culturels.
De nombreux linguistes élèvent donc leurs voix pour souligner cette nécessité de veiller à ce que les plus jeunes membres de leurs communautés conservent leur héritage linguistique. Mais le shiKomori, du fait qu’il se révèle être un dialecte parlé par une minorité, ne peut-il pas être intégré dans un vaste groupe linguistique ? Il fait partie d’ailleurs de la famille des langues bantoues et dérivé, soit-il, du swahili avec lequel il partage un lexique presque identique. Il y a aussi la frontière et l’histoire communes entre les îles Comores et l’île de Zanzibar et Tanganyika, la partie continentale qui forme ensuite avec l’île la République Unie de Tanzanie. Etant donné que le kiSwahili a un nombre de locuteurs estimé à un peu plus de 100 millions de personnes et parlé dans toute l’Afrique de l’Est, l’archipel aurait plus à gagner en intégrant cette vaste communauté linguistique.
Le kiSwahili dans un futur Etat fédéral
Aurait-on donc tort d’adopter cette langue internationale, plus parlée dans la région, comme langue d’enseignement ? A défaut du shiKomori de moins d’un million de locuteurs.L’avenir saura nous le dire mieux si nous nous fions aux hypothèses d’une probable place de la langue swahili dans le futur de l’Afrique. Des leaders et penseurs africains qui sont arrivés à une conclusion selon laquelle l’Afrique devra se diriger vers un Etat fédéral noir, se sont posé la question de l’architecture linguistique qui conviendrait à cette fédération.
La langue qui revient le plus souvent dans cette discussion est le kiSwahili. Il est à souligner qu’avoir une langue commune dans une vaste étendue comme l’Afrique orientale permettrait de faciliter les échanges dans tous les domaines, de renforcer le sentiment d’appartenance à un même peuple et de consolider ainsi les liens d’amitié. Nous avons tout à y gagner. Car une langue est capable de devenir cette langue centrale, c’est le kiSwahili.
Et la genèse de cette dernière apporte un soutien de poids à notre plaidoirie. Il est rapporté qu’«à la haute époque impériale, de l’interaction entre le peuple Pokomo et les peuple Mijikenda au Kenya actuel, sont apparues une langue et une culture communes qui se sont répandues en Tanzanie et aux Comores». Aussi Cheikh Anta Diop l’avait déjà décrit dans son œuvre Antériorité des civilisations nègres que «c’est une langue de l’Afrique de l’Est, le Swahili, qui a le plus de chance de devenir demain pour l’Afrique noire unifiée, une langue de gouvernement et de culture. Sa grammaire, c’est-à-dire sa morphologie et sa syntaxe, ne doivent absolument rien à l’arabe ni autre langue étrangère. Elles sont strictement indigènes et relèvent des formes et structures de la famille bantoue (…) »
Un réchauffement des échanges
Toutefois, le kiSwahili comme le shiKomori compte aujourd’hui beaucoup de mots d’origine ouest-asiatique apportés par les Arabes et les Perses. Et le seul problème majeur du kiSwahili reste cette influence très importante de l’arabe sur son vocabulaire. D’après les linguistes, un tiers - certains avancent même 40% - des mots de cette langue, sont d’origine ouest-asiatique.Il reviendrait ainsi aux linguistes africains de se pencher sur ce lourd mais nécessaire travail de réafricaniser au maximum son vocabulaire. Pour ce faire, les chercheurs africains devront baser leurs études sur la richesse linguistique des dialectes du continent.
L’intensification des échanges, que nous vivons ces derniers temps, entre l’archipel et la côte Est du continent, que ce soit au Kenya, en Tanzanie ou en Ouganda, pour des soins médicaux, des études, les affaires, visites familiales ou tourisme, semblerait bien marquer un début de cette approche. Il ne resterait, à mon humble opinion, qu’à franchir ce pas de l’intercompréhension sans aucune difficulté par l’harmonisation de la locution des peuples. Au mieux, ériger le kiSwahili en langue officielle au même titre que le français du colonisateur et l’arabe, langue de pratique de la religion.