Faut-il supprimer le département de Langues étrangères appliquées (Lea) à l’Université des Comores? La question peut paraitre, de premier abord, incongrue, mais certains acteurs du système éducatif ne se privent plus de dire tout haut ce qu’ils pensent de cette filière, qui ne serait, à les en croire, pas «en phase avec les réalités nationales et n’apporte rien au pays».
Selon l’ancien secrétaire général au ministère de l’Education nationale et un des cadres ayant participé, en 2003, à la création de l’université, Saïd Omar Said Hassane, «s’il y a un département à supprimer, c’est bien celui de Lea dont les lauréats ne maitrisent ni l’anglais, ni l’arabe ni l’administration. Il est devenu un fourre-tout»
De nombreux anciens étudiants issus de cette filière estiment, en effet, qu’une restructuration du département est nécessaire, même s’ils ne sont pas tout à fait d’accord avec l’idée de sa fermeture. Pour Moinadjoumoi Papa de la promotion de 2010, aujourd’hui journaliste à la télévision nationale, «le département est certes important, mais il est vrai que certains étudiants obtiennent leurs diplômes sans pour autant maitriser aucune des langues enseignées».
Une affaire de système
La faute, selon elle, reviendrait, cependant, aux conditions d’apprentissage «pas toujours réunies». Et de citer l’absence d’un laboratoire de langues à la hauteur des attentes.
Pour certains, cependant, les étudiants arriveraient en Lea avec de nombreuses lacunes accumulées depuis le collège. Ahmed Soudjay Simba, enseignant de Thème et version arabe à l’Udc, explique : «Ils arrivent dans ce département sans savoir, le plus souvent, ce qui les attend. Il y a un problème d’orientation. Il n’y a donc pas de cohérence. Comment peut-on s’inscrire en Lea quand on a fui l’arabe au collège et l’anglais, voire les deux au lycée?», s’interroge-t-il.
Le président de l’Université, Saïd Bourhani Abdallah, abonde dans le même sens. «Le système éducatif, d’une manière générale, ne se porte pas bien. On a tendance à croire, à tort, que l’on fait des études pour trouver un emploi, or ce n’est pas cela.
Si l’on part de cette base, on obtient, certes, un diplôme, mais peut-être sans avoir suffisamment maitrisé ce qu’on était sensé apprendre», dit-il. Il pointe du doit, surtout, une «complaisance certaine» à l’examen du baccalauréat. Conséquence : «l’étudiant entre à l’université sans avoir le bagage nécessaire pour réussir son cursus».
Le chef du département Lea, Mohamed Abdou Moindjié, estime que les relevés de notes du bac les induisent, la plupart du temps, en erreur. «Nous accueillons des étudiants qui obtiennent des notes de 15/20, voire plus, en arabe ou en anglais, mais une fois à l’Udc, nous constatons qu’ils n’ont pas du tout le niveau».
Salim Ismael, diplômé en Lea, est actuellement le coordinateur du centre American Corner et président de l’association Yes we can, qui promeut la langue anglaise aux Comores. Pour lui, «ce n’est pas pour rien si les étudiants écrivent leurs mémoires de fin d’études en français avant de les traduire en anglais, avec l’aide d’une personne tierce, le plus souvent un enseignant».
Une ex-étudiante de la filière renchérit : «Aucun étudiant ne maitrise les deux langues (anglais et arabe), il faudrait peut-être les scinder en deux. Moi, si j’avais l’opportunité de fuir l’arabe, je l’aurais fait. Malheureusement j’ai dû faire avec pendant trois ans». Une proposition que rejette d’emblée Mohamed Abdou Moindjié. «Nous ne sommes pas là pour former des enseignants, mais des traducteurs et des interprètes», dit-il.
Doyen de la Faculté des lettres et des sciences humaines, Ali Abdoulhamid soutient, pour sa part, «qu’il n’y a pas que le département de Lea qui n’est pas adapté.»
A l’en croire, l’offre de formation à l’Udc n’est pas adaptée aux besoins du pays. Alors, faut-il supprimer le département de Lea ? Les avis divergent comme vous avez pu le noter. Pendant ce temps, les jeunes diplômés de la filière trainent leurs lacunes. Tels des boulets.