Une trentaine de personnes, personnalités de la société civile et du monde politique, ont pris part, le 23 mars dernier, à la table ronde sollicitée par le Collectif de la 3ème voie (C3V) pour échanger sur la question de l’île de Mayotte, marquée ces derniers temps par une escalade de violence dont les principales victimes sont les originaires des autres îles des Comores. Le C3V, collectif “né à la suite des frustrations et déceptions générées par l’organisation des assises nationales”, craint une “guerre civile” à Mayotte avec les “répercussions dramatiques” que celle-ci peut avoir sur les autres îles. D’où la “nécessité d’un dialogue politique qui conduise au règlement définitif de la question de Mayotte et au respect de l’intégrité territoriale des Comores”.
Instrumentalisation de la sémantique
Les intervenants ont commencé par présenter un état des lieux de la problématique de l’île de Mayotte. Une problématique qui repose, selon eux, sur une “interprétation controversée du principe de libre détermination des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui s’est traduite par l’annexion de l’île de Mayotte par la France depuis bientôt
43 ans”. Ils reviendront sur les différents statuts de l’île jusqu’à sa consécration en tant que 101ème département français en mars 2011, s’attardant notamment sur l’instauration du visa Balladur depuis 1995, qui a eu pour conséquence la “requalification en “clandestins” des autres comoriens présents en Mayotte sans visa”.
Autres conséquences, plus significatives, les dizaines de milliers de morts en mer et les 20.000 “reconduites aux frontières enregistrées” chaque année, avec leurs lots de “mineurs isolés qui développent la délinquance urbaine et l’insécurité, faute de prise en charge adéquate”. Les intervenants ont en outre dénoncé l’”instrumentalisation de la sémantique et le détournement de l’histoire pour justifier l’occupation illégale de Mayotte par la France”, par la propagation de formules telles que “Mayotte restée sous administration française” au lieu de “Mayotte territoire occupé par la France”. La propagation de même, pour faire accepter le fait accompli, de l’idée d’un “désir historique des Mahorais de se démarquer des autres îles de l’archipel, alors que le territoire des Comores a toujours été considéré sans la moindre ambiguïté comme composé de quatre îles”.
Aux responsables politiques comoriens, les intervenants reprochent de n’avoir “jamais exprimé clairement leurs revendications sur Mayotte” depuis la mort d’Ahmed Abdallah Abderemane en 1989, et d’avoir exclu les Mahorais des gouvernements successifs.
Élaborer une stratégie nationale
Ce qui a contribué à creuser le fossé entre les communautés et a entrainé de part et d’autres une “démobilisation”, notamment des jeunes. À défaut d’une politique favorisant le rapprochement, “le projet de balkanisation de l’archipel se déroule progressivement”.
Les intervenants reprochent également aux responsables politiques comoriens de n’avoir “jamais été en mesure, depuis près de 43 ans d’indépendance, d’offrir de réelles perspectives à (leur) peuple, favorisant ainsi le repli sur soi des Mahorais et le mythe d’un eldorado mahorais pour les autres Comoriens”. Cette absence d’une stratégie nationale, poursuivent-ils, a entrainé une “grande improvisation dans l’approche de la question de Mayotte”, auquel il faut ajouter un certain laisser-aller qui s’exprime dans le fait que la question de Mayotte n’a pas été débattue en Assemblée générale depuis 1994, faute de proposition concrète.
La société civile n’est pas en reste, jugée “incapable de s’accaparer la question”. Il y a urgence, pour les intervenants, d’élaborer une “stratégie nationale” pour le retour de Mayotte. Ils recommandent ainsi un règlement de cette question par la demande d’un dialogue politique avec la France, un dialogue inter-comorien, une politique de développement, un plaidoyer auprès des pays amis et institutions régionales et internationales, la considération de la question de Mayotte comme un sujet de débat public, l’implication de la diaspora et des bi-nationaux, le développement d’une campagne de sensibilisation, l’implication des organisations de la société civile et des médias, le dénonciation de la situation de crise humanitaire, l’élévation de la question de Mayotte au degré de “revendication” ainsi que la favorisation des activités allant dans le sens du rapprochement des communautés.
La question est “complexe”, reconnaissent-ils. D’où “l’importance pour chaque acteur de s’approprier ces recommandations initiales mais aussi d’approfondir la réflexion et de poursuivre le plaidoyer pour la sauvegarde de l’unité nationale”. Le C3V a présenté les fruits de cette réflexion menée par la société civile aux autorités, et s’engage à soutenir toute initiative allant dans le sens du règlement de cette question.