L’Assemblée de l’Union vient d’élire son bureau. Le député Ibrahim Ali Mzimba, l’un des deux élus se réclamant de l’opposition, a contesté le recours à l’ancien règlement intérieur. Selon lui, un nouveau texte aurait dû être adopté préalablement. Cette critique vous paraît-elle fondée ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : «Vêtu de ses habits d’opposant, Maître Mzimba s’est employé à enchérir la polémique avant même de prendre connaissance des textes. Aucun texte n’a prévu l’adoption d’un nouveau règlement intérieur. Les trois dernières législatures (2009/2015, 2015/2020 et 2020/2025) ont fonctionné sous l’empire du règlement intérieur du 14 octobre 2012, lequel n’a jamais fait l’objet d’aucune modification. Car sa modification s’avère très contraignante en ce qu’il requiert un quart des députés pour la proposition de résolution et une majorité des deux tiers pour l’adoption.»
Me Maliza Saïd Soilihi : «Oui, la critique du député Me Mzimba est juridiquement fondée. En effet, l’article 74 de la Constitution prévoit que «l’Assemblée de l’Union adopte à la majorité des 2/3 son règlement intérieur». Le règlement aurait dû être adopté en début de législature. Le recours à l’ancien règlement, sans même une modification provisoire ou un vote de reconduction, constitue une entorse à la régularité parlementaire. Cela reflète une précipitation injustifiée dans les procédures, probablement pour contrôler dès le départ les rouages du pouvoir législatif, au détriment du pluralisme politique déjà fragilisé par l’absence de véritables partis d’opposition.»
Autre grief soulevé : le doyen d’âge, chargé de présider la séance inaugurale, s’est ensuite porté candidat à un poste au sein du bureau. Il aurait toutefois été remplacé avant cette candidature. La procédure vous paraît-elle conforme aux usages parlementaires ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : «L’article 3 du règlement intérieur est clair sur ce point, en ce qu’il prévoit que dans le cas où le doyen d’âge se porte candidat, il est remplacé par le suivant. En l’espèce, le doyen d’âge a cédé la présidence lorsqu’il s’est porté candidat au poste de questeur. Ce qui est en parfaite conformité avec l’article 3 précité.»
Me Maliza Saïd Soilihi : «Traditionnellement, le doyen d’âge assure une fonction neutre et provisoire, le temps que le bureau soit mis en place. Le fait qu’il soit remplacé avant la fin de la séance inaugurale, pour se porter ensuite candidat, soulève un problème d’éthique et de forme. Cette manœuvre donne l’impression d’un usage stratégique et partisan de ce rôle transitoire, contraire à l’esprit d’un fonctionnement démocratique apaisé. Même si aucune règle explicite ne l’interdit dans la loi organique, cela heurte les usages parlementaires, qui reposent sur la neutralité du doyen d’âge.»
L’Assemblée a été investie le 4 avril, alors que certains députés étaient toujours membres du gouvernement, sans avoir démissionné. Cette configuration est-elle conforme aux règles en vigueur et à l’éthique institutionnelle ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : « Il est vrai que les articles 62 de la Constitution et 15 de la loi organique sur l’élection des députés posent la règle d’incompatibilité entre les fonctions ministérielle et de député. Mais, cette incompatibilité prévaut une fois que l’élu est investi député. C’est à ce moment que l’intéressé choisit entre les deux fonctions dans un délai d’option raisonnable. En principe, l’incompatibilité se résout par le remplacement de l’intéressé dans son mandat parlementaire sans être susceptible d’affecter l’exercice de ses fonctions gouvernementales. C’est ce qui s’est produit après que les ministres ont notifié leur empêchement provisoire au président de l’assemblée pour cause d’exercice d’une fonction nominative.»
Me Maliza Saïd Soilihi : «Non, ce n’est pas conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la loi. L’article 62 de la Constitution dispose clairement que les fonctions de député sont incompatibles avec celles de membre du gouvernement. Il aurait donc fallu que les ministres concernés démissionnent avant l’installation officielle de l’Assemblée. Le maintien de cette double fonction, même temporaire, constitue une violation de la Constitution, qui ne saurait être relativisée. Cela crée aussi un conflit d’intérêts flagrant, puisque ces ministres pouvaient théoriquement participer à la formation du bureau tout en détenant encore des pouvoirs exécutifs.»
Dans les jours qui ont suivi, un ministre fraîchement élu député a participé à une cérémonie en tant que membre du gouvernement. D’autres auraient assisté à une réunion interministérielle ou exercé dans leurs ministères. Cette situation vous semble-t-elle normale? Quels en sont les risques juridiques ou politiques ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : «Il ne se pose aucun problème juridique, les ministres investis députés disposent toujours d’un certain délai pour choisir entre les deux fonctions et en l’espèce, ils ont choisi à l’unanimité de continuer à exercer leurs fonctions nominatives.»
Me Maliza Saïd Soilihi : « Absolument pas. Le fait que des députés élus continuent à exercer des fonctions ministérielles après leur élection est non seulement anticonstitutionnel, mais aussi politiquement toxique. Cela jette un doute sur la séparation des pouvoirs et nuit à la crédibilité de l’institution parlementaire. Les risques juridiques sont multiples : nullité des actes pris par des ministres en situation d’incompatibilité, possibilité de recours contentieux… Sur le plan institutionnel, cela fragilise davantage la confiance du peuple dans ses institutions.»
Ces «ministres-députés» ont ensuite adressé leurs lettres de démission à l’assemblée. Peuvent-ils, s’ils le souhaitent, retrouver leurs fonctions ministérielles ? Que prévoit la loi à ce sujet ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : « Le vocable «ministres-députés» n’est pas approprié. Il s’agit de nouveaux élus qui exercent des fonctions publiques gouvernementales ou autres. Pour ne pas se retrouver dans un cas d’incompatibilité, ils ont renoncé temporairement à la fonction de député pour continuer l’exercice de la fonction ministérielle. Aucun texte ne l’interdit. Et au terme des fonctions nominatives, les intéressés peuvent, par simple courrier adressé au président de l’assemblée de l’Union, réintégrer leurs sièges de députés.»
Me Maliza Saïd Soilihi : «Oui, sur le plan strictement juridique, rien dans la Constitution n’interdit à un député de redevenir ministre après avoir démissionné de son siège à l’Assemblée. C’est une question de timing : la Constitution impose une incompatibilité d’exercice, mais pas d’incompatibilité de nomination successive. Cela dit, sur le plan éthique et républicain, cette rotation permanente entre les postes, sans transparence ni justification est malsaine. Elle alimente le sentiment d’un pouvoir confisqué par un cercle fermé, au détriment du renouvellement démocratique.»
D’un point de vue républicain, n’aurait-il pas été plus lisible politiquement que le chef de l’État anticipe cette situation en procédant à un remaniement ministériel avant l’installation de la nouvelle assemblée ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : « Le remaniement d’un gouvernement relève du pouvoir discrétionnaire du président de la République et je n’ai pas à me prononcer sur quand cela devait intervenir. Seulement, l’élu qui est membre de gouvernement ou qui occupe une fonction publique nominative peut, une fois qu’il est investi député, choisir entre les deux fonctions dans un certain délai, sous peine de se retrouver dans une situation de cumul de deux fonctions incompatibles.»
Me Maliza Saïd Soilihi : « Évidemment. Le chef de l’État, garant du bon fonctionnement des institutions (article 54 de la Constitution), aurait dû anticiper cette situation en procédant à un remaniement avant l’installation de la nouvelle Assemblée. Cela aurait permis d’éviter cette situation ubuesque de ministres-députés, et renforcé la clarté et la lisibilité politique de l’action publique. Le choix de retarder ce remaniement traduit un manque de préparation, voire une volonté de brouiller les lignes institutionnelles pour maintenir le contrôle.»
En attendant l’annonce d’un nouveau gouvernement, les secrétaires généraux des ministères assureraient les affaires courantes. Que recouvre concrètement cette notion ? Cette gestion intérimaire peut-elle entraîner des blocages si elle venait à durer ?
Me Abdoul Elwahab Msa Bacar : « Ce serait étonnant que des secrétaires généraux traitent des affaires courantes alors que le chef de l’Etat n’a pas mis fin aux fonctions des membres du gouvernement et ces derniers n’ont pas démissionné de leurs fonctions ministérielles. En général, on parle d’affaires courantes dans le cas où une autorité désinvestie de ses fonctions continue à les expédier en attendant la nomination de son successeur. Ce qui n’est pas le cas actuellement.»
Me Maliza Saïd Soilihi : «La notion d’»affaires courantes» signifie que les secrétaires généraux assurent la continuité administrative, sans prendre de décisions politiques majeures. Ils ne peuvent engager l’État dans de nouvelles orientations, signer de conventions internationales ou initier des projets de lois. Si cette gestion intérimaire se prolonge, cela peut bloquer des dossiers essentiels, ralentir l’administration et créer une paralysie institutionnelle, notamment dans les domaines sociaux, budgétaires ou diplomatiques.
Le pays a besoin de stabilité politique, pas de vacance prolongée du pouvoir exécutif. Enfin, je me permets de soulever un point crucial que tout le monde a délibérément décidé d’occulter : l’Assemblée est incomplète. L’absence scandaleuse des députés de la diaspora, pourtant prévus par l’article 66 de la Constitution, leur non-élection, sans explication officielle, constitue une violation flagrante de la loi fondamentale. Ce silence est d’autant plus grave qu’il prive une partie essentielle de la population comorienne, les Comoriens établis hors des Comores, de leur représentation démocratique. C’est une mutilation de la légitimité parlementaire».