Depuis le 1er janvier 2019, le pays se retrouve sans un budget adopté par les parlementaires. Une situation «quasi inédite» qui fait réagir les députés mais également les juristes avec des positions divergentes. En effet, certains d’entre eux estiment que le chef de l’État peut procéder par ordonnance pour engager des dépenses ou effectuer des opérations de récolte de recettes.
Revenant sur les dispositions de l’article 56 de la constitution nouvellement révisée, lequel évoque une habilitation de l’Assemblée pour que le président puisse légiférer par ordonnance «sur des matières relevant de la compétence de celle-ci», Yhoulam Athoumani trouve que les articles 56 et 88 ne visent pas forcement la même forme d’ordonnance. «De mon point de vue, ces deux articles ne dégagent pas le même sens, en ce sens que l’ordonnance, mentionnée dans l’article 88, ne nécessite pas l’habilitation de l’Assemblée de l’Union en vue de sa mise en œuvre. Autrement dit, le gouvernement, s’il le souhaite, dispose, ipso jure, de la liberté de légiférer par ordonnance sans même recourir à l’habilitation de l’Assemblée. D’ailleurs, on voit mal de demander à l’Assemblée d’habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnance une loi qu’elle n’a pas, elle-même, adopté dans le délai. C’est ainsi que l’article 88 ne subordonne pas ce recours à l’ordonnance au respect d’une demande d’habilitation», avance-t-il avant de conclure qu’«en sommes, le gouvernement peut, sur le fondement de l’article 88, légiférer par ordonnance le projet de loi de finances. On peut donc considérer que l’article 88 prévoit une ordonnance spéciale différente de celle qu’on retrouve dans l’article 56 de la constitution».
Yhoulam Athoumani
Pour un autre juriste de la place, en l’occurrence Mohamed Kamardine, en l’état actuel des choses, «le gouvernement doit recourir à une session extraordinaire pour faire adopter le budget ou pour faire voter une loi d’habilitation puisque le délai constitutionnel de 60 jours pour examiner et adopter le budget est dépassé». Le juriste ajoute qu’«à priori, il n’existe actuellement aucune possibilité juridique pour l’État de percevoir des recettes ou engager des dépenses. Sans l’adoption du budget ni la loi d’habilitation, il ne reste que l’ordonnance sauf que celle-ci ne peut se détacher du type d’ordonnance prévue par l’article 56». Notre interlocuteur rappelle que la session budgétaire a été ouverte le 5 octobre, que le projet de loi de Finances est déposé le 29 du même mois et que le délai constitutionnel de 60 jours a pris fin le 5 décembre.
«La loi de Finances est l’une des rares loi que le constituant spécifie plusieurs fois dans la Constitution qu’il doit être adopté par l’Assemblée. Même après les 60 jours, les parlementaires disposaient du temps pour examiner la loi de Finances en ce sens que la session n’était pas close. Aujourd’hui, procéder par ordonnance serait contraire à l’esprit et à la lettre des dispositions de l’article 56 de la Constitution qui encadre expressément le régime des ordonnances. Aucune autre forme d’ordonnance ne peut être a priori prise sans habilitation parlementaire», devait-il détailler. Et Mohamed Kamardine d’affirmer qu’en ce qui concerne l’article 88 de la Constitution, «il prévoit d’une part, le nombre de voix que doit recueillir le vote du budget, et d’autre part, indique le cas échéant, la solution à adopter si le parlement ne s’est pas prononcé pour ou contre ledit projet de budget dans les deux mois qui suivent l’ouverture des travaux de la session dite budgétaire qui s’ouvre le premier vendredi d’octobre».
Pour Yhoulam Athoumani, le pays ne risque rien et que le chef de l’État peut procéder par ordonnance. «En réalité, à défaut de l’adoption du projet de loi des Finances par l’Assemblée, et contrairement à ce qu’on a pu entendre, ce cas ne risque pas de déstabiliser le pays. Ce disant, mon approche se fonde sur la Constitution de 2001, révisée. En effet, à la lecture de l’article 88 de la Constitution, il est précisé, dans son deuxième alinéa, que «si elle [l’Assemblée de l’Union] ne s’est pas prononcée dans un délai de soixante jours après l’ouverture de la deuxième session ordinaire, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance», affirme le juriste qui rappelle par ailleurs que le 30 octobre 2018, l’Assemblée de l’Union a accusé réception du projet de loi de Finances transmis par le secrétariat général du gouvernement.