logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Anissi Chamsidine :  «Il vaut mieux être un bon second qu’un mauvais premier»

Anissi Chamsidine :  «Il vaut mieux être un bon second qu’un mauvais premier»

Politique | -   Sardou Moussa

image article une
De nouveau investi gouverneur de l’île de Ndzuani depuis déjà 15 mois, Anissi Chamsidine passe en revue, dans cet entretien, ce deuxième mandat qui ne ressemble jusqu’ici en rien au premier, tant le système politico-institutionnel du pays a beaucoup évolué depuis.

 

Vous avez récemment dit attendre que la loi clarifie vos compétences. Quels arrêtés ou décrets et qui visent quoi exactement attendez-vous?

Pour rappel, dans la constitution précédente, chaque île était dotée d’une loi statutaire qui déterminait plus ou moins les missions et les compétences des gouvernorats. La mise en application de cette loi a eu l’avantage d’épargner Ndzuani des désordres institutionnels et d’atténuer les conflits de compétences entre l’Union et les Iles Autonomes. Ayant vécu l’expérience, j’évite de faire revenir Ndzuani dans cette situation conflictuelle qui ne rapporte rien de bénéfique aux citoyens. C’est la raison pour laquelle, il est préférable d’attendre que la loi clarifie les compétences des îles, d’autant plus que l’islam nous enseigne qu’Allah est avec ceux qui patientent et qui endurent.

Vous aviez dit, à l’occasion de l’anniversaire de votre réélection au mois de mai dernier, que votre bilan est confondu avec celui du gouvernement central. Votre homologue de Mwali, Mohamed Saïd Fazul, a aussi dit la même chose. Finalement à quoi servent les exécutifs des îles aujourd’hui ?


Dans la politique globale actuelle du développement des Comores, l’Etat est le principal bailleur des îles. Les exécutifs insulaires, aujourd’hui, servent à accompagner son action, en attendant la définition de leurs missions. Pour le cas de Ndzuani, cela ne signifie pas que le gouvernorat n’a rien fait depuis un an comme on pourrait le penser. Par exemple, dans le cadre de la lutte contre le chômage, nous avons monté un certain nombre de projets d’insertion professionnelle des jeunes qui bénéficieront des fonds du projet national Facilité Emploi du gouvernement. Nous avons fait le suivi de la convention de partenariat entre Tourisme sans frontières et le gouvernorat, sans apport financier ni autres moyens de l’Etat. Grâce à cette convention, Ndzuani dispose désormais d’un Schéma de développement touristique restitué le 14 septembre 2019 au gouvernorat en présence du président de la République.

Ce document est le premier en Union des Comores. Par la même occasion, nous avons soumis au chef de l’Etat ce Schéma de développement touristique et le projet hydroélectrique de Ndzuani afin de trouver des financements. Nous avons également relancé le projet pilote d’électrification en énergie solaire du Centre de santé (Cs) de Mremani par la signature d’une convention de partenariat entre Electricien sans frontières (Esf) et le gouvernorat. Dans le contexte actuel de la pandémie de Covid-19, le gouvernorat a créé un fonds de solidarité qui soutient un projet pilote en faveur des établissements scolaires du district sanitaire de Pomoni.

Nous sommes conscients que le gouvernement central ne peut pas, à lui seul, tout faire tenant compte des spécificités de chaque île. En plus, le fait que le territoire où il exerce son pouvoir soit séparé par la mer constitue un véritable défi. Ce qui fait que Ndzuani tout comme Mwali ne sont point administrables par pilotage à distance. Les exécutifs insulaires ont donc leurs raisons d’être, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose sans la volonté et l’assistance du gouvernement central.

Vous aviez pourtant déclaré être devenu un « simple gardien du palais de Dar-nadjah »…
J’ai l’espoir que les choses évolueront dans le sens positif dès que les missions du gouvernorat seront clarifiées par la loi. Pour lever le défi du développement, la centralisation des pouvoirs n’est pas la solution, raison pour laquelle le président vient d’annoncer un processus de décentralisation du pouvoir lors de son adresse à la Nation en juin dernier. Ensuite, être «gardien» n’est pas une honte. C’est au contraire, une tâche difficile, celle de veiller sur un lieu ou des gens. Un gardien est donc celui qui est préposé à la garde de ce lieu et de ces gens, à les protéger contre un mal extérieur ou intérieur. J’ai voulu ce poste pour veiller à ce que Ndzuani ne replonge plus dans les mauvaises habitudes d’affrontement physique avec l’autorité centrale. Aucune île n’a les moyens de gagner un tel pari. L’expérience nous en dit long. Enfin, il vaut mieux «être un bon second qu’un mauvais premier».

Vous paraissez souvent perplexe, entre votre soutien au président Azali et vos critiques parfois acerbes vis-à-vis de certains actes posés par son gouvernement. Vous dénonciez par exemple les injustices qui touchent de nombreux fonctionnaires, ou encore la compression de vos pouvoirs. Concrètement, qu’est-ce que vous appréciez à la gouvernance d’Azali, et qu’est-ce que vous aimeriez voir changer ?


Entre le président Azali et moi, il y a une franche collaboration avec comme point commun la paix, la stabilité et le développement. Il est aussi mon principal interlocuteur bien qu’il ait délégué certains pouvoirs aux membres de son gouvernement. Quant aux critiques, elles sont constructives même en ménage. Je ne peux donc pas rester indifférent aux injustices dont certains parmi nous sont responsables. Je dénoncerai ces abus pour des raisons humanitaires et par devoir religieux. Parlant du changement, mon souhait est de voir notre nation prospérer dans un Etat édifié sur la base du droit, de l’équité et de l’égalité des chances, où la justice, la santé, l’éducation et l’emploi seront pour tous.

Depuis 2016, le pays a connu plusieurs tentatives d’atteinte à l’intégrité physique du chef de l’Etat et de l’ancien vice-président, actuel président de l’Assemblée nationale, Moustadroine Abdou, une insurrection armée à Mutsamudu et une mutinerie au camp de Kandani qui se sont toutes les deux soldées par des morts ; des arrestations incessantes de personnes présumées impliquées dans des attentats ou des troubles à l’ordre public, l’incendie de votre véhicule dans la cour de votre domicile et tout cela dans une ambiance de contestation du pouvoir en place par l’opposition, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Bref, un condensé de choses auxquelles les Comoriens ne s’étaient pas habitués, ou du moins ne vivaient plus ces dernières années. D’après vous, comment en sommes-nous arrivés là ?
Les facteurs expliquant les tentatives d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou à la déstabilisation du pays sont liés à des motivations ou des ambitions politiques. Il y a d’abord eu le divorce de la coalition gouvernementale entre Juwa et Crc qui a exacerbé les tensions. En tant que journaliste, vous avez aussi remarqué que depuis 2016, la plupart des discours tenus par des élites politiques incitent à la violence, à la place du dialogue.

De tels discours se sont traduits par les actes inqualifiables que vous avez énumérés, mais aussi comme le lynchage d’un homme dont le corps a été mutilé et trainé dans la rue de Mutsamudu en juillet 2016. Ces discours que je qualifie de manipulateurs trouvent écho chez les jeunes non avertis ou au chômage, les personnes en situation de précarité, les victimes des injustices et des politiques claniques qui, désespérés, sont aptes à constituer un danger pour eux et pour le pays entier. Il convient donc à nous les politiques de leur réserver une attention particulière et d’œuvrer pour une justice équitable. Le lancement récent du Projet facilité emploi par le chef de l’Etat en est une bonne alternative.

Sur un tout autre volet, une rumeur persistante circule à propos d’une fusion possible des partis de l’Alliance de la mouvance présidentielle pour former un seul parti. Si tel était le cas, comment se positionnerait Soma, votre parti ?
En qualité de président d’honneur, je n’ai pas la réponse à cette question pour le moment, car le parti Soma est régi par un statut. Mais si l’éventualité d’une fusion des partis se présente, les membres du bureau se réuniront pour des concertations avant de communiquer leur décision. Ce jour-là, vous aurez la réponse.

Lors des campagnes des assises nationales des 42 ans d’indépendance, le chef de l’Etat avait l’habitude de dire que ces assises devaient accoucher d’institutions et de règles nouvelles non modifiables par ses successeurs. La constitution de juillet 2018, née des assises et en vigueur actuellement, est-elle vraiment conçue de manière à durer ? (rappelons que, statistiquement, notre pays change de constitution tous les cinq ans).


Penser que la constitution est conçue de manière à durer ou non, je ne suis pas dans cette logique. Pour clarifier ma position et répondre à votre question, je reviens sur mes propos du 3 août 2017 lors d’une conférence de presse à Moroni. Ce jour-là, j’avais affirmé que si les changements fréquents de la constitution étaient la solution pour faire avancer un pays, les Comores seraient parmi les plus développées au monde. Je suis convaincu que le développement d’un pays repose plutôt sur trois principes : un projet de société réaliste, de bonnes initiatives et l’amour de la patrie.

Qu’est devenu le lycée scientifique d’excellence, un des projets que vous aviez initiés lors de votre premier mandat ?
Lors de notre premier mandat gubernatorial, nous avions lancé en 2013 une politique de promotion de l’éducation sous l’appellation « politique de l’excellence et du mérite ». C’est dans ce sens que le lycée scientifique d’excellence a été créé et avait formé trois promotions de bacheliers.

Après mon départ en 2016, il y a eu des changements de vision et de vocation dont je ne veux pas commenter. Mais à mon retour à la tête de l’Exécutif de Ndzuani en mai 2019, le lycée scientifique d’excellence avait déjà fermé ses portes dans une période où le ministère de l’Éducation s’est arrogé tous les pouvoirs de gérer les établissements primaires et secondaires de Ndzuani jusqu’à ce jour. J’ignore les raisons ayant poussé le ministère à ne pas poursuivre les activités du lycée d’excellence qui auraient pris une envergure nationale. Ce projet de l’école d’excellence n’était pas un projet personnel ou familial ; c’était un projet pour Ndzuani, pour l’Union des Comores.

 

Il se pose un problème de gestion des ordures à Mutsamudu, or dans la nouvelle constitution, la voirie revient à l’exécutif de l’île. Qu’est devenue l’étude menée sous votre premier mandat par cette ONG française, Gevalor, et que pensez-vous faire à ce sujet ?
Durant mon premier mandat, le projet de la gestion des ordures intercommunales de Ouani à Mutsamudu a été travaillé dans le cadre de la coopération décentralisée. L’association française Gevalor avait accepté d’accompagner le gouvernorat à condition de trouver un site d’une superficie d’au moins deux hectares. A cette époque, j’avais chargé une équipe de la direction régionale de l’Environnement de faire ce travail et elle m’avait remis son rapport d’expertise. Malheureusement, le projet n’a pas pu aboutir à cause des contraintes communautaires.


Maintenant que je suis gouverneur, j’ai reçu l’Afam (Association femmes actives de Mutsamudu) qui m’a annoncé sa volonté d’aménager le terrain du plateau de Dindrihari pour la gestion des déchets malgré les risques de contaminations environnementales. A la suite de nos échanges, j’ai transmis leurs doléances au chef de l’Etat par courrier officiel. Comme je l’ai dit précédemment, le gouvernorat ne peut pas faire grand-chose sans l’appui du gouvernement central. En effet, jusqu’alors, les gouverneurs investis depuis mai 2019, ne sont pas encore installés et les compétences, mêmes exclusives des îles ne leurs sont pas encore attribuées, y compris la voirie. Enfin, on ne peut pas parler de compétences sans budget et les îles en sont malheureusement dépourvues jusqu’alors.

 

 

Commentaires