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Assises : L’Omerta sur la corruption

Assises : L’Omerta sur la corruption

Politique | -   Ahmed Ali Amir

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Malgré la présence de l’institution de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) et d’une Section des comptes (Sdc) au sein de la Cour suprême, l’évaluation de l’efficacité du système de vérification externe n’est pas reluisante. Confrontées à des contraintes juridiques, institutionnelles, logistiques et financières, ces structures remplissent leurs attributions de vérification externe et de certification des comptes publics, mais leur dépendance budgétaire vis-à-vis de l’Etat limite leurs marges de manœuvres. Au final, les recommandations formulées ou les décisions prises restent lettre morte. Jusqu’à ce jour, les ordonnateurs ou comptables mis en cause dans leur gestion n’ont pas répondu de leurs actes devant la justice, malgré la délivrance, par la Section des comptes, de certificats de non-conformité des comptes, rappelle un rapport de la Banque mondiale.

 

Le président de la République l’a annoncé publiquement dans le grand meeting de Mitsamihuli, le dimanche 26 novembre dernier. “A charge aux assises nationales, d’enquêter et de déterminer si oui ou non j’ai dans mes comptes en banque 40 millions d’euros, comme le prétendent mes adversaires”.
L’ancien ministre des Finances et ancien président de l’Assemblée nationale, Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, renchérit sur un autre registre et défie la classe politique sur les accusations portées contre lui et relayées par une certaine presse l’accusant d’être le bénéficiaire de l’affaire dite Inter-trade. Ma question est de savoir pourquoi ces sujets pertinents sont passés sous la trappe et ne figuraient pas dans les thématiques des experts.

Ce pays ne se développe pas non parce qu’il manque d’argent ou parce que les investisseurs ne s’y intéressent pas. Il ne se développe pas parce que la corruption a atteint un niveau tel que les décideurs n’hésitent plus à créer et d’appliquer des lois qui servent à protéger leur statut, leur pouvoir personnel au lieu de promouvoir la transparence et le bien-être de la population.

Il reste plombé parce que la corruption touche toutes les sphères du pouvoir et à tous les niveaux des négociations au point de dissuader tout investisseur. Cette conclusion de l’agence de notation Standard and Poor’s explique les conséquences du phénomène : les investisseurs courent le risque de perdre la totalité de leurs investissements dans un délai n’excédant pas cinq ans dans les pays minés par la corruption.

Tous nos partenaires vous diront que la principale raison qui fait fuir les investisseurs c’est le niveau de corruption inégalée du pays. Ceux qui se hasardent à s’y installer, c’est parce qu’ils ont aperçu les faiblesses du système leur permettant, eux aussi, de s’en mettre pleins les poches et de déguerpir quand il n’y aura plus rien à pomper.

Les assises pour faire le bilan ? Comment peut-on, royalement, ne pas poser des questions sur les exercices budgétaires des dix dernières années alors que les expertises comptables ont décelé des lourds manquements aux règles du circuit de la dépense publique. Comment passer sous silence la gestion des appuis budgétaires conséquents de l’Arabie saoudite, par exemple ?

Comment, surtout, se taire sur la loi controversée de la Citoyenneté économique et ne pas s’inquiéter sur l’application de procédures non prévues par la loi ? Pourquoi aucune action concrète n’est menée et aucune explication n’est donnée sur les 373 milliards tirés de la vente de la nationalité comorienne dont plus de deux tiers auraient transité dans des comptes privés, et moins du tiers de cette somme est effectivement passé par le circuit bancaire et servi à financer les projets d’infrastructures et combler les déficits budgétaires.

Comment se taire et passer sous silence sur la vente parallèle de passeports comoriens par les représentations diplomatiques à l’étranger et par la société Lica International basée à Dubaï, quand cet argent n’a servi qu’à enrichir une caste connue de privilégiés. On avait tendance à pointer du doigt la douane et le fisc comme le berceau de la corruption alors que  des fonctionnaires en  col blanc et les dignitaires des régimes se sont aussi, autant, sinon plus engraissés, laissant la population vivre dans la misère la plus criante.


“Pourquoi se perdre sur des milliers de sujets alors que notre mal réside dans la gestion”

L’un des indices sinon le premier de la bonne gouvernance et le respect, de bout en bout, de la procédure d’appel d’offres, qui permet de faire le choix de l’entreprise la plus à même de réaliser une prestation de travaux, fournitures ou services. Les choix des prestataires se font, partout, de gré à gré, à la discrétion du commanditaire, faisant ainsi le lit de la corruption.

Malgré la présence de l’institution de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) et d’une Section des comptes (Sdc) au sein de la Cour suprême, l’évaluation de l’efficacité du système de vérification externe n’est pas reluisante.

Confrontées à des contraintes juridiques, institutionnelles, logistiques et financières, ces structures remplissent leurs attributions de vérification externe et de certification des comptes publics, mais leur dépendance budgétaire vis-à-vis de l’Etat limite leurs marges de manœuvres.

Au final, les recommandations formulées ou les décisions prises restent lettre morte. Jusqu’à ce jour, les ordonnateurs ou comptables mis en cause dans leur gestion n’ont pas répondu de leurs actes devant la justice, malgré la délivrance, par la Section des comptes, de certificats de non-conformité des comptes, rappelle un rapport de la Banque mondiale.

Alors les assises. Pourquoi se perdre sur des milliers de sujets alors que notre mal réside dans la gestion. L’une des principales leçons de l’indice de perception de la corruption, c’est que l’inégalité sociale et la corruption se nourrissent mutuellement,

 

conduisant à une désillusion populaire vis-à-vis du monde politique et fournissant un terreau fertile à la montée des politiciens populistes.



Alors, l’effort collectif serait de briser cette règle du silence qui prévaut dans la sphère politique et qui ne sert en définitif qu’à protéger le mal pour mieux se servir. Je m’attendais, comme beaucoup ,à une évaluation du niveau de la corruption mais aussi à une expertise sur les fonds détournés et à une action ciblée pour la restitution des biens mal-acquis. Ça serait le premier des remèdes, le plus convaincant et le plus dissuasif.

Cet objectif nous aurait permis tout au moins d’élaborer un code de conduite qui définirait les comportements à bannir qui sont propices à provoquer des faits de corruption, ou de trafic d’influence.

Car nous avons les moyens de mettre en place, si nous le souhaitons, un dispositif d’alerte qui proviendrait d’employés formés à cet exercice. Apres la dissolution de la commission anticorruption, l’Etat doit le plus rapidement se doter d’outils performants qui permettent, à tous les niveaux, de déceler, prévenir et sanctionner la corruption.

La presse bénéficie parfois de lanceurs d’alerte, mais certains se sont tus, en raison des représailles. Or il est de notre intérêt à tous, de connaitre et surveiller au quotidien les représentants d’intérêts, au sein des administrations et des établissements publics industriels et commerciaux qui ont des positions susceptibles d’influer sur la décision publique.

“Ce sont ces gens-là, messieurs”, qui ont empêché ces débats pertinents aux assises, parce que la plupart sont comptables du désordre dans lequel se débat le pays.


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