Juridiquement, cela ne veut rien dire. Une démocratie ne peut pas être représentative. Dès lors que la volonté du peuple s’exprime par des intermédiaires, c’est que la démocratie a laissé place à la représentation. Pour corriger l’antinomie d’un régime qui se veut démocratique, mais dans lequel pourtant seuls des représentants, décident, le droit public intègre dans les constitutions des instruments de démocratie directe.
Il s’agit de moyens permettant au peuple de décider par lui-même sans l’interface de ses représentants. Le plus usité de ces moyens demeure le référendum. Il est acquis que c’est un bel exercice de démocratie qui traduit de manière concrète le principe d’un gouvernement du peuple par le peuple. Seulement, s’il est vrai qu’il permet de donner corps au mythe démocratique, au fond, le référendum ne réussit que cela : entretenir en biaisant une chimère.
À la sortie, le référendum impose un choix binaire, alors que la volonté générale ressort mieux dans la délibération. Il impose la réponse à une question donnée alors même que celle-ci se réduit toujours à approuver ou non celui qui la pose.
Le référendum, choix binaire contre délibération
Le droit n’est pas une science exacte. Les méthodes sont multiples, les interprétations diverses et les solutions potentielles nombreuses. Le référendum occulte cette difficulté en simplifiant l’opération. La norme est proposée, il suffira au peuple de l’acquiescer ou la rejeter en l’état. Il se pourrait que la norme soumise à la consultation soit bonne dans l’ensemble, mais que des imperfections soient à déplorer. On ne saura pas la corriger. Il se pourrait qu’elle soit nécessaire, mais que des insuffisances soient à regretter. On ne saura pas la compléter.
Le référendum nous impose de répondre par oui ou par non. Il ne connaît pas la nuance encore moins l’amendement. La volonté du peuple s’exprimant ainsi que de manière contrainte dans le “à prendre ou à laisser”.
Or, il n’y a rien de tel que la délibération. La représentation à ceci de qualitative, que contraire à la démocratie directe du référendum, l’on discute avant d’arrêter. Et c’est la vertu d’une assemblée. Face à la norme proposée, il est toujours demandé de l’adopter ou la rejeter. Cependant, il est possible de répondre par “oui, mais” ou “non, mais”. On débat, amende, supprime, ajoute, discute, s’oppose et s’accorde. Le texte qui en sortira aura plus de chance de se rapprocher de la volonté générale. Le référendum peut aboutir à demander au peuple de ratifier la volonté d’un autre que lui. Mais c’est peut-être un risque à prendre tant il est loisible de permettre au peuple d’avaliser les changements importants du droit à l’instar d’une révision constitutionnelle.
Le référendum, de la question posée à celui qui la pose
Le référendum est un instrument de démocratie directe, c’est l’affirmation de la candeur d’un principe. En réalité, sauf les cas où il est d’initiative populaire comme en Suisse, le référendum n’est autre qu’un instrument gouvernemental de plus. Souvent c’est le président qui l’initie pour soumettre à la consultation la norme qu’il a choisie. Il en établit les termes de la question, puis surtout au final reste seul à décider des suites politiques à donner. Dans ces conditions, lorsque le peuple est convoqué pour participer à un scrutin référendaire, il a souvent tendance à lier la question et l’auteur de la question.
De cette manière, la réponse positive qui sera donnée ne traduit que l’approbation qu’il a pour la personne. La réponse négative traduisant le rejet. L’objet de la consultation est relégué ainsi à un plan secondaire. Presque comme un prétexte utilisé par le Président pour se confronter au suffrage universel. C’est une déviance vicieuse qui traduit le “oui” en un plébiscite ou un “non” en une répudiation. Le processus démocratique est ainsi tronqué. Peut-être que la norme proposée est opportune, mais sera écartée par l’impopularité de celui qui la soumet. Elle peut être aussi mauvaise, mais validée par la popularité du président qui la porte.
Le référendum c’est bien. Malgré tout l’on n’a pas encore trouvé mieux pour conserver une nature démocratique à nos régimes représentatifs. Mais n’oublions jamais, les imperfections qu’il porte intrinsèquement et agissons en conséquence. Surtout que la volonté n’est pas celle du peuple, mais uniquement celle du corps électoral, de la simple majorité du corps électoral.
Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université
de Toulon