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Au nom du droit : De l’élu au “reconduit” …

Au nom du droit : De l’élu au “reconduit” …

Politique | -   Contributeur

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Kelsen n’était pas comorien, c’est sûr. Son nom est-il, seulement, parvenu jusqu’à nos côtes ? Sa pyramide s’est-elle déjà au moins poser dans nos cabinets ministériels ? A priori non ! Voilà que par un arrêté ministériel, l’on renomme un maire, ainsi que ses adjoints, alors même que son élection a été invalidée par la Cour constitutionnelle.

 

Parfois, l’on frôle le ridicule. Si ce n’était la République qui en souffrait, on en rirait presque. Un ministre qui reconduit un maire. Pourtant, notre droit dit que c’est le suffrage universel, fût-il indirect, qui le désigne.Autant dire qu’ici, guère de difficulté. Nul besoin d’en appeler à une science juridique infuse. Le bon sens, seul, suffit. C’est arrêté est inconstitutionnel.

 


Lire aussi : Reconduction du maire de Mbwankuwu : L’arrêté de Mohamed Daoudou est-il légal ?


 


Il est inconstitutionnel pour, au moins, deux raisons

D’abord, parce que l’arrêté est en contradiction manifeste avec l’autorité absolue de la chose jugée reconnue aux arrêts de la Cour. L’article 40 de la Constitution dispose clairement que les décisions du juge constitutionnel “s’imposent à toute autorité ainsi qu’aux juridictions sur tout le territoire de l’Union”.

À partir de là, et dès lors que la cour s’est prononcée en invalidant et en ordonnant une autre élection, il n’est plus possible de faire autrement. Le ministre, en usant de son pouvoir réglementaire pour désigner le maire déchu, est allé à contre-courant de la solution prescrite par la Cour. Se plaçant ainsi dans l’irrespect d’une exigence constitutionnelle.


Dans la mesure où, la Constitution fonde la totalité de l’ordre juridique, cet arrêté ministériel entaché clairement d’inconstitutionnalité ne saurait produire quelconques effets. Sinon, ce serait ouvrir une brèche grave qui verrait les arrêts de la Cour devenir réformables par simple arrêté ou décret.

Le pouvoir réglementaire, donc le pouvoir exécutif, se posant, ainsi, comme une voie de cassation. La constitution elle-même, rappelle bien, pourtant, que :”les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours”.  


Ensuite, l’arrêté est inconstitutionnel en ce qu’il a abouti en réalité à s’octroyer un privilège qui n’appartient qu’au peuple : celui de désigner nos représentants. Le souverain, c’est le peuple. Lorsqu’il n’exerce pas directement sa souveraineté, il le fait par le biais de ses représentants élus (et non, nommé). C’est pour cela que la Cour, quand bien même, elle peut annuler une élection, jamais elle ne saurait arrêter elle-même un autre représentant.

C’est ainsi qu’elle ordonne toujours un autre scrutin. Afin de redonner la parole au peuple souverain. L’arrêté ministériel en nommant un maire, s’est,  à vrai dire, comporté comme le corps électoral du peuple. Or, la constitution est limpide à ce propos :”aucun groupement ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice”. Pas même, donc, un ministre de la République.


Par conséquent, encore une fois, il semblerait qu’aux Comores, en plus du Droit, le bon sens n’ait plus droit de cité. La prétendue nécessité de service est un vœu pieux. D’abord ce n’est pas une loi ou une disposition de la Constitution, aussi n’a-t-il pas sa place dans les visas d’un arrêté. Comme, les “vu l’urgence” de jadis n’en avaient guère. On se répète, sans doute, mais on ne peut viser, dans les “vu”, que des actes juridiques (décret, loi, constitution…).

Ensuite, aussi légitime soit-elle, c’est justement en organisant l’élection ordonnée par la Cour constitutionnelle que l’on observe cette nécessité du fonctionnement des services communaux. Sinon, c’est la porte ouverte à l’arbitraire. Il suffira plus tard de déclarer la nécessité de ceci et de cela, pour qu’aussitôt une décision, pourtant illégale ou inconstitutionnelle, soit prise sur ce fondement.

Le conseil municipal est élu. Ces membres ne sont pas nommés. C’est la loi. Cet arrêté en tant qu’acte réglementaire se place au niveau inférieur de la hiérarchie des normes. Aussi, doit-il respect, à la loi électorale, la loi sur décentralisation et à la constitution. Est-ce le cas ici ? Il est permis d’en douter.


La constitution a-t-elle toujours cours dans notre pays ? Pas si sûr. Vu les coups de canifs qui lui sont portés régulièrement, l’on pourrait conclure à sa suspension.


Il faut que nos dirigeants comprennent que la Constitution n’est pas un ennemi. Jamais elle n’a prôné un jeu plus qu’un autre. Un style de joueurs, plus qu’un autre. La constitution se borne juste à édicter les règles du jeu.Tant que celles-ci sont observées, libres à chacun de jouer comme il souhaite.

C’est la norme suprême du pays. Alors, que les dirigeants veillent à respecter la hiérarchie des normes. C’est de l’intérêt même d’un pouvoir que de se voir borner. Ainsi, sait-il qu’il sera toujours dans les limites du raisonnable. C’est rassurant, et pour lui, et pour nous.

Mohamed Rafsandjani
Constitutionnaliste, Doctorant en droit public, Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

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