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Au nom du droit : La citoyenneté économique. Au-delà du financier…

Au nom du droit : La citoyenneté économique. Au-delà du financier…

Politique | -   Contributeur

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De quelque manière que l’on aborde la citoyenneté économique, l’on se focalise presque toujours sur la formidable manne financière qu’elle aurait suscitée. D’une importance capitale, cet aspect de la problématique conduit à s’interroger sur les malversations, détournements et enrichissement indu qui en auraient découlé. Il est clair que ceux-ci doivent être révélés et sanctionnés. Mais, cette perspective ne saurait ni ne devrait épuiser le sujet. Le programme de la citoyenneté économique pose aussi des difficultés juridiques sur le plan des principes notamment constitutionnels. Et si, selon notre droit, “la nationalité comorienne s’acquiert, se conserve et se perd conformément à la loi”, il postule également que celle-ci ne s’adopte que dans le respect de la Constitution. À ce titre, la citoyenneté économique, certes légale, flirte de trop près avec l’inconstitutionnalité.

 

D’abord, l’on ne peut que déplorer la facilité par laquelle l’on obtient cette citoyenneté économique.

D’aucuns se rassurent que nous ne sommes pas les seuls à pratiquer un tel programme. Outre que ce n’est pas une raison pour mimer, il faut toujours préciser que pour la plupart, leur système de citoyenneté économique est progressif.

Il faut satisfaire aux conditions “économiques”, mais il faut également se soumettre à un délai plus ou moins long, pouvant aller jusqu’à dix ans. Il faut résider dans le pays et s’impliquer dans le tissu économique et social.

Contrairement à nous, l’octroi de la nationalité n’est pas uniquement le résultat du paiement d’un prix. Il vient ponctuer un parcours quasiment d’intégration. Du moins, dans les textes.

Ensuite, la citoyenneté économique pose un problème autrement plus grave. Elle est en contradiction avec le préambule de la Constitution. Cette dernière proclame “l’égalité de tous en droit et en devoir sans distinction (…) d’origine”.

Or, la loi prévoit que “la personne ayant acquis la qualité de citoyen économique (…) ne peut servir : dans l’Armée nationale, dans les instances judiciaires des Comores. Il ne peut être électeur”. Nous voici donc avec des citoyens distingués justement selon leurs origines.

Des comoriens de seconde zone qui ne peuvent travailler dans la fonction publique, ni servir dans l’Armée, encore moins s’engager dans le corps des magistrats ni une quelconque instance judiciaire. Des comoriens qui n’ont ni le droit de voter ni d’être éligibles.

Autant de restrictions, normalement, réservées aux non-nationaux. Formidable paradoxe, tout de même, que le citoyen économique comorien qui est considéré,in fine, tel un étranger dans un pays où il est, pourtant, censé en être ressortissant. Il est à parier que si le juge constitutionnel avait pu exercer son office sur cette loi qu’elle eût été censurée. Ou bien, eût-elle été peut-être validée mais avec des réserves.

 

Enfin, la citoyenneté est un élément extranéité. Par nature, elle étire le lien d’appartenance nationale dans l’espace. Incontrôlé et opaque, le régime de citoyenneté économique aboutit à faire de la nationalité uniquement le rattachement administratif à un pays.

L’on se retrouve avec des méfaits commis ici ou là, par des personnes quelconques, mais dont on considérera venant des Comores parce qu’un passeport les y rattache. La possibilité d’engager la responsabilité internationale de l’État en plus d’entacher sa réputation existe.

Par conséquent, il faut saluer la belle leçon de droit et de démocratie que cette enquête parlementaire délivre. Seulement, la commission d’enquête parlementaire devrait aller au-delà de l’aspect financier du dossier. Interroger les acteurs politiques est incontournable.

Mais l’on devrait élargir le panel. Auditionner des juristes, des magistrats, des diplomates… Il faut cerner les enjeux juridiques et sécuritaires du programme pour en tirer des leçons afin d’améliorer le dispositif, voire l’abroger complètement.

 

Mohamed Rafsandjani, Constitutionnaliste, Doctorant en droit public

Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

 

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