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Au nom du Droit : Mayotte ou la République dérogée

Au nom du Droit : Mayotte ou la République dérogée

Politique | -   Contributeur

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"Le statut personnel des mahorais n’est pas régi pas le Code civil français, mais le droit local coutumier. Il s’agit d’un droit local qui comble de l’ironie a été légiféré par une assemblée “comorienne”. En effet, les sources de ce droit proviennent de la délibération de la Chambre des députés des Comores n° 6412 bis du 3 juin 1964"

 

Là, à 70 kilomètres de nos côtes, notre île sœur serait un bout de France. Mieux encore depuis 2014, elle serait même devenue un bout d’Europe. Pourtant, ni les lois de la République française ni les directives de l’Union européenne n’y ont complètement cours. Mayotte est placée sous un régime juridique dérogatoire dans presque tous les domaines. 

Résultat, au regard des autres départements, les droits et libertés sont au rabais, surtout pour ceux considérés comme étrangers. Quant au statut personnel civil des mahorais, il ressemble à s’y méprendre à celui quelquefois en vigueur dans la législation du reste de l’archipel. Un bout de France avec un bout de “Droit” français. 

Cette législation à la carte qui couvre Mayotte obéit à une disposition constitutionnelle. L’article 73 de la Constitution française prévoit que “dans les départements et régions d’outre-mer, les lois (…) peuvent faire l’objet d’adaptations tendant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités”. Ces adaptations sont pensées pour être exceptionnelles. Mais, à l’égard de Mayotte, cet article joue à plein régime de sorte que les lois et règlements y sont quasi systématiquement adaptés. La dérogation s’instaure comme le principe. Cela est particulièrement criant pour les personnes considérées comme étrangères et en situation irrégulière sur l’île.


Toutes les garanties sont revues à la baisse dans l’île. D’abord, le recours contre les décisions prises par l’administration notamment de rétention ou d’expulsion n’est pas suspensif contrairement à ce qui se passe dans le reste de la France.

C’est-à-dire, qu’en principe lorsque vous saisissez un juge dans ces cas-là, les décisions ne peuvent pas être exécutées avant l’intervention d’un juge. 

À Mayotte, aussitôt la décision prise par l’administration qu’elle est mise en exécution, car le recours n’est pas suspensif. Le risque au regard des droits est manifeste. L’administration est bonne fille de la République, mais elle n’est pas infaillible.

Le temps que le juge le constate, le concerné est, ou retenu ou déjà reconduit à la frontière. Pour cette raison, beaucoup renoncent de toute façon à saisir un juge.

L’absence de l’intervention d’un juge laisse les reconduites à la frontière à la discrétion voire à l’arbitraire des préfectures.

De plus, la règle du jour franc qui octroie aux personnes un délai avant l’éloignement n’est pas appliquée à Mayotte. Les expulsions sont exécutées avec une célérité exceptionnelle. Ce qui ne laisse pas le temps de se prévaloir d’aucun droit, ni d’aucun vice de procédure.

À Mayotte, les centres de rétentions ne sont pas régis par le droit commun français. Elles sont placées sous un régime dérogatoire entraînant des conditions de vie difficiles et une assistance très ponctuelle pour l’accès au droit. D’ailleurs, sur le reste du territoire, la loi oblige, au-delà de 48 heures passées en centre de rétention, l’intervention d’un juge des libertés pour vérifier si la rétention est justifiée.

À Mayotte ce délai est ramené à 5 jours. Ce qui laisse le temps à l’administration de retenir et expulser sans le regard d’un juge. Quant à l’accès au séjour, l’on patauge pratiquement dans le droit parallèle.

La délivrance des titres est soumise à des conditions restrictives inexistantes dans le reste de la France, voire parfois ignorées des autres territoires d’outre-mer.

À titre d’exemple tous les titres de séjour délivrées en outre-mer sont valables partout sur le territoire français. Mais ceux délivrés à Mayotte ne sont valables que dans la seule île. Autrement dit, avec un titre de séjour obtenu à Mayotte vous êtes considérés comme en séjour irrégulier ailleurs en France. 

Ce qui aboutit à une situation ahurissante dans laquelle avec ce titre de séjour, vous pouvez faire l’objet en métropole d’une obligation de quitter le territoire français avec une expulsion vers… Mayotte. Faut-il peut-être y voir un aveu que l’île n’est pas la France, mais un pays étranger.

Au-delà du droit des étrangers, le statut personnel des mahorais n’est pas régi pas le Code civil français, mais le droit local coutumier. Il s’agit d’un droit local qui comble de l’ironie a été légiféré par une assemblée “comorienne”. En effet, les sources de ce droit proviennent de la délibération de la Chambre des députés des Comores n° 6412 bis du 3 juin 1964.

Aussi, dans ce bout voulu de France, à 70 kilomètres de nos côtes : le mariage peut-être polygame, le divorce se faire par décision unilatérale de l’homme, la succession fondée sur la préférence masculine, et l’état-civil ne porte pas de nom de famille.

Puis, lorsque des contentieux naîtront, ils ne seront pas tranchés par la justice républicaine ordinaire, mais par le juge cadial. Alors, il est vrai que les mahorais sont libres de renoncer à ce statut, voire parfois de le perdre automatiquement. Il n’en reste pas moins que, comme le constate un rapport du Sénat français, c’est ce droit qui s’applique dans un département français : le droit coutumier inspiré du Minhadj Al Talibin fondé sur les préceptes d’Al Nawawi de rite chaféite empreint de coutumes africaines et malgaches. Tout un programme…

 

Mohamed Rafsandjani

Doctorant contractuel en droit public,

Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon

 

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