logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Azali Assoumani : «les Comoriens ont démontré leur attachement à la démocratie»

Azali Assoumani : «les Comoriens ont démontré leur attachement à la démocratie»

Politique | -   A.S. Kemba

image article une
Le candidat de l’Alliance de la Mouvance présidentielle (Amp) a longuement évoqué les fragilités du pays depuis son accession à l’indépendance et la voie à emprunter pour parvenir à un progrès qui profitera à tous. Dans cette interview, Azali Assoumani nous présente un résumé de son bilan depuis 2016. Il rappelle le devoir de consolider les grands fondements de l’Etat et la nécessité de mettre à profit le partenariat bi et multilatéral pour aller de l’avant et rattraper le retard accumulé par le pays en matière de développement socio-économique. Il a réitéré sa volonté et son ambition de léguer un pays sûr et stable, attaché aux valeurs de la démocratie, réconcilié avec lui-même et respectueux des valeurs républicaines.

 

Si vous êtes réélu cette fois, ce sera la quatrième fois que les Comoriens vous auront choisi. Quel cadeau leur feriez-vous en retour ?

Ce que je peux offrir de mieux au peuple comorien, et ce n’est pas un cadeau mais un devoir, c’est de lui garantir la paix et la sécurité, sans lesquelles aucun développement n’est possible. Aujourd’hui, de par le monde, la paix est devenue une denrée rare, particulièrement en Afrique, où les foyers de tensions et les crises socio-politiques ne cessent, chaque jour, de se multiplier. Des pays que l’on croyait assez prémunis contre toute forme d’instabilité ont basculé, du jour au lendemain, dans la guerre. Notre pays a vécu des moments très difficiles et une expérience traumatisante, avec Bob Denard, entre 1975 et 1995 et de 1997 à 2001 période où les Comores ont, en effet, traversé une situation de crise aigüe, à la fois politique et institutionnelle, qui a sapé les fondements de l’Etat et a failli emporter la République.Certes, depuis presque vingt-cinq ans, nous avons retrouvé une certaine stabilité, néanmoins nous devons redoubler de vigilance et nous dire justement que la paix n’est jamais définitivement acquise. La situation demeure fragile. La résurgence, ces derniers temps, de relents nauséabonds dans le discours politique exigent de notre part une vigilance à toute épreuve.

Si on devait résumer en cinq actes votre bilan à la tête de notre pays depuis 2016, quelles seraient-elles ?

Comme je le dis souvent, on ne construit pas un pays en l’espace de quelques années. Mais, nous pensons avoir commencé à jeter les bases d’un développement durable, harmonieux et inclusif des Comores. Nous pouvons dire avec modestie que les secteurs-clés, qui constituent le socle du progrès social et économique d’un pays, sont en plein décollage. Sur un plan général, il y a d’abord la régularité des salaires et les investissements sur fonds propresAu niveau des infrastructures, nous avons réhabilité et construit plus de 400 km de routes nationales sur l’ensemble des îles. En matière d’énergie, vous aurez remarqué que le pays est en pleine transition énergétique, avec le développement des énergies renouvelables en Grande-Comore, Anjouan et Mohéli. Nous avons le devoir de léguer aux générations futures une planète plus sûre.


Au niveau de la diplomatie, nous pouvons aujourd’hui être fiers du rayonnement international des Comores, depuis que nous assurons la présidence en exercice de l’Union Africaine. Je peux aussi parler du renforcement de notre coopération avec de nombreux pays frères et amis, comme la France, la Chine, le Sénégal, le Maroc, la Tanzanie, le Kenya, et Maurice ou encore les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et le Koweït, entre autres, avec lesquels nous avons mis en place des commissions mixtes paritaires ou signé des accords de coopération. En matière de santé, nous pouvons citer le complexe hospitalier d’El-Maarouf, dont l’inauguration interviendra au premier trimestre de 2024, la mise en place d’un centre d’imagerie médicale ultra-moderne ainsi que la réhabilitation et l’équipement de 12 centres de santé de district et de 36 postes de santé. Dans le domaine du tourisme, qui est un secteur pourvoyeur d’emplois, il y a eu la réhabilitation de l’hôtel Itsandra et la construction en cours du Galawa. Dans le domaine de l’Education, nous pouvons parler de la construction et la réhabilitation des écoles primaires et secondaires et l’ouverture d’une école doctorale à l’Université des Comores. Voilà un tableau succinct de notre bilan.

Avez-vous des regrets ou, pour être beaucoup plus précis, des échecs que vous reconnaissez dans votre bilan ?

Ce serait vous mentir que d’affirmer le contraire. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le développement d’un pays est un processus lent. Nous aurions souhaité, bien sûr, que certains de nos projets-phares aient pu voir le jour et soient déjà opérationnels, comme la construction du port de Bwangoma à Mohéli, ou le port d’Ouropveni, pour sécuriser le trafic maritime intense entre la Grande Comore et Mohéli. Nous espérons qu’avant 2025, ces infrastructures portuaires, qui revêtent un intérêt capital, notamment en matière de développement des échanges inter-îles et de l’amélioration de la circulation des personnes et des biens, seront une réalité.

Malgré certaines réalisations, la contestation reste toujours vive, même si une partie de l’opinion croit en vos projets. Comment expliquez-vous cela ?

Ce n’est malheureusement pas une spécificité comorienne. L’Afrique a tellement accumulé de retards (dans presque tous les secteurs) que le peuple, quel que soit le pays, est devenu impatient, veut tout et tout de suite. Ce n’est pas mauvais en soi, puisque cette impatience constitue une pression positive ; elle oblige les gouvernants à promouvoir la culture des résultats. Toutefois, je ne me lasserai jamais de dire que le développement d’un pays est un long processus. Comme disait un proverbe français, « Paris ne s’est pas fait en un jour. »

La question de Mayotte est reléguée au second plan, elle est même tombée aux oubliettes. Vous avez opté pour le dialogue avec la France, mais pour aboutir à quoi ? Un dialogue avec la France jusqu’à quand ?

Le règlement de la question de Mayotte passerait soit par la force, soit par le dialogue. Avons-nous les moyens d’utiliser la force et de nous engager dansune confrontation avec l’une des grandes puissances du monde qui, de surcroît, accueille plus d’un tiers de la population comorienne ? La réponse est non. Alors, la seule option qui reste, c’est le dialogue.Avant d’obtenir cette rétrocession de Mayotte, un jour ou l’autre, nous estimons que le rapprochement avec nos frères et sœurs de Mayotte est une étape nécessaire. Nous constituons, en effet, un seul peuple, parlons la même langue, partageons la même religion et la même culture, avec des liens de parenté très forts. Le choix de la France d’administrer Mayotte en dépit des règles du droit international et des résolutions de l’ONU, ne devrait pas constituer un motif suffisant pour remettre en cause notre unité. Après tout, le nombre de ressortissants de Ngazidja ou d’Anjouan titulaires de la nationalité française sont plus nombreux que toute la population de Mayotte réunie. Pour autant, ils ne sont pas nos ennemis. La politique des résolutions n’a rien donné et nous allons toujours privilégier le dialogue avec la France qui est nécessaire et que nous continuerons aussi longtemps qu’il le faudra.Les négociations sur un contentieux aussi épineux peuvent prendre beaucoup de temps, nous devons être persévérants et ne jamais lâcher sur le principe de la comorianité de l’île de Mayotte. Néanmoins, nous devons tout faire pour convaincre nos compatriotes mahorais et notre partenaire la France, que nos retrouvailles répondent aux intérêts de toutes les parties et constitueraient une fierté pour tous.

Certains vous prêtent, à tort ou à raison, l’intention de vous éterniser au pouvoir, voire de passer le relais à un de vos fils. Allez-vous vous battre pour que la tournante soit maintenue au profit d’Anjouan en 2029 ?

Je voudrais reprendre à mon compte une formule célèbre de l’ex-président français Valérie Giscard d’Estaing, lorsqu’il était accusé à tort dans une affaire de trafic de diamants : « Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison ». Pour le reste, vous n’allez tout de même pas demander à celui qui a mis en place la présidence tournante entre les îles s’il est contre ce système ou pas. J’ai reçu un tombereau de critiques pour avoir inventé ce système de la part de ceux qui, aujourd’hui, prétendent en être les défenseurs. Alors oui, la présidence tournante ira en 2029 à l’île d’Anjouan.

Il n’y a pas de raison que cela n’en soit pas ainsi. Souvenez-vous, qu’en 2006, j’ai quitté le pouvoir et je l’ai transmis à mon successeur, dans le cadre d’une alternance politique pacifique exemplaire. Par rapport à la question sur mon fils, rassurez-vous car nous ne sommes pas dans une monarchie. Les Comoriens ont démontré leur attachement à la démocratie et leur maturité dans le choix de leurs dirigeants, dans le cadre légitime de la République et de la Constitution

 Portrait
Azali Assoumani, un militaire au destin politique exceptionnel

 

L’histoire retiendra de lui comme étant le premier comorien et le premier dirigeant de l’espace indianocéanique à diriger l’Union africaine. Ce qui paraissait improbable voire impossible, il y a quelques années est devenu réel, le 18 février 2023, date à laquelle le chef de l’Etat comorien Azali Assoumani accède à la présidence tournante de l’UA.
L’ancien chef d’état-major de l’Armée nationale de développement (And) dont rien ne lui est prédestiné à une carrière politique importante, parvient avec succès à se hisser à la tête de l’organisation continentale en déjouant tous les pronostics. Grâce à une diplomatie discrète mais très efficace, laquelle le locataire du palais de Beit-Salam fera parler avec habilité son carnet d’adresses.


Il parvient à convaincre nos voisins kenyans à renoncer à leur candidature, ouvrant la voie à son accession à la présidence de l’organisation basée à Addis-Abeba. Désormais, le natif de l’archipel des Comores est le porte-voix des 53 Etats africains qui résonnera, notamment au milieu de la guerre russo-ukrainienne, quand l’organisation continentale présentera aux belligérants son offre de médiation. Le président Azali Assoumani conduira également avec succès, les dernières négociations qui parviendront à faire adhérer l’Union africaine au sein du G20.


Le militaire semble aimer se lancer des défis. Arrivé au pouvoir après l’interposition de l’armée en 1999, officiellement pour « éviter la guerre civile, en pleine crise séparatiste », le colonel de la jeune armée, laissera tomber son uniforme militaire, pour se présenter à l’élection présidentielle de 2002. Il remporte le scrutin après le boycott de ses principaux challengers, Said Ali Kemal et Mahamoud Mradabi. Artisan des accords de Fomboni qui ont accordé une autonomie large aux îles, l’architecte du Nouvel Ensemble Comorien (Nec) quitte le pouvoir en 2006 à la fin de son mandat. Marquant ainsi la première alternance pacifique pour un archipel gangréné par les coups d’état répétitifs.Azali Assoumani devenu simple citoyen, se retire provisoirement de la vie politique, et en profite pour s’adonner à sa passion : l’agriculture. Contre toute attente, l’ancien colonel revient au pouvoir le 26 mai 2016, au terme d’une élection marquée par un troisième tour, avec la ferme volonté d’en finir avec « les superstructures et de réduire ainsi le train de vie de l’Etat.»

Assises nationales et dialogue inter-Comoriens

En février 2018, le président Azali Assoumani tiendra des « Assises nationales » pour dresser le bilan de 42 ans d’indépendance. Les conclusions aboutissent, six mois après, à un référendum à l’issue duquel 92,74% des électeurs se prononcent en faveur de la nouvelle loi fondamentale. Le 26 mars 2019, à l’issue d’une élection anticipée, le chef de l’Etat sera réélu dès le premier tour avec 60,77% des suffrages, face à une douzaine de candidats.


Réformiste, rigoureux dans le travail et persévérant, d’après son entourage, le locataire du palais de Beit-Salam dotera le pays d’un plan de développement à l’horizon 2030, le Pce (Plan Comores Emergent) considéré comme le plus grand plan de développement d’envergure nationale après le Plan intérimaire (Pula Mwedeleyo) du feu président Ali Soilihi de 1978. «Conscient du retard accumulé par mon pays depuis près de 45 ans, j’ai voulu formuler une nouvelle espérance pour la nation comorienne. Cette espérance, je la formule autour de l’émergence comme moteur des aspirations de notre peuple. Le plan Comores Emergent décline cette ambition de manière à orienter l’action de tous, Etat, secteur privé (…) partenaires au développement », avait-il déclaré à la veille de la Conférence des partenaires pour le développement des Comores, tenue à Paris du 2 au 3 décembre 2019 dont le pays obtiendra un engagement de quelque 3,9 millions d’euros d’investissements. Appelé souvent « le Père de la réconciliation nationale », Azali Assoumani, comme le dit son entourage, en plus des autres chantiers dans divers secteurs qu’il a laissés, est assimilé à deux grandes œuvres connues de tous : l’Université des Comores et le téléphone portable lancés en 2003. Le futur Centre hospitalier universitaire El-Maarouf et l’hôtel Galawa sont considérés respectivement comme « ses troisième et quatrième grandes œuvres ».
Né le 31 décembre 1959 à Mitsoudje ya Hambu, il intègrera l’Académie militaire royale de Meknès au Maroc, après avoir obtenu son baccalauréat en 1977. A la fin des études militaires en 1981, il sera sanctionné d’un Brevet de parachutiste.

Naissance à Mitsudje

De retour aux Comores, il connaitra une ascension fulgurante au sein des forces armées comoriennes (Fac). De chef de section au centre d’instruction de Vwadju de 1981 à 1983, il sera 15 ans après promu chef d’état-major de l’And.Epoux d’Ambari Darouech, économiste de la place, le couple donnera naissance à quatre enfants, Nour El Fath Azali, Loukman Azali, Dr Yasser Azali et Ilham Azali, respectivement conseiller privé du président de la République, commandant du groupement de la gendarmerie de Ngazidja, chef de service hépato gastronomique à l’hôpital El Maarouf, ingénieure mécanique à l’Asecna.


Dans cette nouvelle quête à un troisième mandat consécutif, l’opposition l’accuse de verrouiller les institutions et de n’avoir pas pris congé pendant la campagne électorale. Son entourage le défend en avançant le respect strict des textes. Confiant, le président candidat reconduit à la tête de la direction de sa campagne, l’influent ministre de l’agriculture Houmed Msaidie, le stratège qui a organisé sa réélection dès le premier tour en 2019, au tour du slogan «Gwandzima», littéralement, l’ultime coup.

 

Commentaires