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Compétences (à nouveau) querellées

Compétences (à nouveau) querellées

Politique | -   Contributeur

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L’on avait cru les conflits de compétence réservés aux temps immémoriaux des débuts de l’Union des Comores. La nomination rocambolesque d’un directeur régional des travaux publics a réveillé les vieux démons. Ceux-là mêmes que l’on pensait avoir exorcisés par la révision constitutionnelle de 2009. Qui est compétent pour faire quoi ? Au-delà de cette question, ce qui s’est passé à Ndzuani interroge sur la crise généralisée de l’effectivité de la constitution. Il eut suffi que celle-ci soit lue et respectée, et ce triste spectacle eut pu être probablement évité. Mais assurément, c’est l’absence d’égard envers la constitution qui a mené à de telles extrémités.

 


Absence d’égard envers l’article 12 : le pouvoir de nomination usurpé
Le nouveau directeur régional a été désigné par un arrêté du vice-président. Il s’agit bien évidemment d’une incurie du vice-président. La constitution prévoit clairement que c’est le président de l’Union, chef de l’État, chef du gouvernement et partant de là, chef de l’administration, qui nomme aux emplois civils et militaires. C’est ce qu’on qualifie communément d’un pouvoir propre du président. Il est le seul à l’exercer, sauf cas de délégation, et sans qu’un contreseing ne soit exigé.

De toutes les façons, tous les pouvoirs reconnus au Président de l’Union par la Constitution sont des pouvoirs propres. Aussi vrai que nul ne peut imaginer le vice-président faire grâce, dissoudre le parlement ou recourir aux pouvoirs exceptionnels, on ne saurait concevoir qu’il puisse nommer aux emplois civils. Il s’agit d’une violation manifeste d’une disposition constitutionnelle qui à elle seule disqualifie l’arrêté du vice-président.

Absence d’égard envers l’article 9 : la compétence des îles débordée
S’il est une modification dont il faut louer l’opportunité, c’est celle qui a porté sur le régime des compétences. Il faut dire que la rédaction originelle de l’article 9 était une véritable usine à gaz. Cela était essentiellement dû au fait qu’il existait en plus des compétences réservées aux deux niveaux : fédéral et insulaire, des domaines qui étaient partagés. Cet espace commun de prérogatives s’est révélé être un terreau fertile de conflits incessants. La révision a entrepris de simplifier le système.

Désormais, il n’y a plus de compétences partagées. Aux îles ont été confiés des domaines précis et limitativement énumérés. À l’Union a été octroyée la compétence générale.

Elle est compétente dans tous les domaines possibles et imaginables dès lors qu’il ne s’agit pas de ceux réservés aux îles. De la sorte, comme il n’y a plus de communauté de prérogatives, les risques de conflits sont considérablement atténués. Désormais, les autorités de l’Union n’auront qu’à éviter d’exercer une quelconque volonté dans les 13 domaines attribués aux îles.

Au regard de ces derniers, la nomination effectuée par le vice-président suscite quelques suspicions. Parmi les domaines cités par l’article 9 et dont l’exclusivité revient aux îles autonomes, l’on retrouve, entre autres, “la voirie ; l’aménagement des routes secondaires et l’aménagement du territoire de l’île”. C’est-à-dire toutes activités qui semble-t-il sont assurées par “les travaux publics”. Ainsi, la direction de la société devrait normalement relever du pouvoir de désignation du gouverneur. L’arrêté du vice-président empiéterait, donc, sur une compétence insulaire.

Absence d’égard envers l’article 36 : La Cour, arbitre des conflits de compétence, neutralisée :
Les conflits de compétences dans une fédération demeurent dans la potentialité des choses. À ce point potentiel qu’un titre entier y est consacré dans la constitution. À ce point probable qu’il est prévu un juge spécialement institué pour trancher, les conflits qui viendraient à naître entre l’État fédéral et ses entités fédérées à savoir le juge constitutionnel. Hélas ! celui-ci est inopérant en l’état.

Sinon, les autorités insulaires auraient pu saisir la Cour constitutionnelle à propos de l’arrêté du vice-président pour inconstitutionnalité. Une fois la décision de la Cour rendue, les parties s’y seraient conformées. La Cour en plus d’être un juge constitutionnel, est un juge de paix. On a beau s’écharper au sujet d’un problème juridique, mais dès l’instant où la Cour se sera prononcée, elle fait plus qu’apporter une solution juridique.

Elle contribue à dénouer la situation. L’on ne mesure pas assez le service rendu par le juge constitutionnel à la paix sociale. D’ailleurs, à défaut d’un arbitre pour dire le droit, les alternatives n’auront été, en l’espèce, que l’invective et la violence. Mais à ce jeu-là, c’est le régime central qui l’emportera. Il dispose de la contrainte “ légitime” des forces de l’ordre, profite du privilège “réglementaire “ de l’administration et, à terme, pourra s’approprier l’”opportunité” des poursuites d’un parquet acquis à sa cause.
Si seulement la Constitution avait été respectée. Point de compétence querellée.

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement
à l’Université de Toulon

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