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Constitution de 2018 I Quelles compétences pour les îles ?

Constitution de 2018 I Quelles compétences pour les îles ?

Politique | -   Ali Abdou

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L’autonomie et les compétences des îles s’invitent dans le débat politique, après plusieurs sorties médiatiques dont celle du gouverneur de l’île de Ndzuani qui, pour rappel, se plaignait d’être dépouillé de ses compétences. Nous avons interrogé des juristes pour vous livrer leurs avis par rapport aux compétences dévouées aux îles par la nouvelle constitution de 2018. Celle-ci a-t-elle accordé des compétences aux îles ? Si oui, quelles sont ces compétences et dans quels secteurs les îles peuvent-elles intervenir ? Ces compétences sont-elles déjà effectives ou elles seront définies par des lois spécifiques ? Les arrêtés des gouverneurs des îles portant nomination des délégués, membres des gouvernorats sont-ils légaux ? Telles sont les questions que nous avons posé à ces juristes qui divergent dans leurs opinions.

 

Me Omar Zaid, avocat au barreau de Moroni,

La nouvelle Constitution révisée en 2018 accorde de nombreuses compétences aux îles autonomes. L’article 102 cite de manière exhaustive huit domaines de compétences “EXCLUSIVES” des îles autonomes : le plan de développement économique et social de l’île, l’aménagement du territoire de l’île, l’acquisition de biens pour les besoins de l’île et la promotion du tourisme, de l’environnement et du patrimoine historique de l’île. Il y a également la pêche artisanale, l’agriculture et l’élevage, “à l’exclusion des stratégies et recherches”, la voirie, les foires et marchés.

Ces compétences n’ont pas besoin d’être définies par des lois spécifiques. Les îles autonomes agissent dans ces matières sans l’intervention de l’Union. Par contre, l’article 103 cite cinq autres domaines de compétences partagées entre les îles autonomes et l’Union et sur lesquelles les îles n’interviennent qu’en concertation avec l’Union. Par rapport aux arrêtés portant nomination des délégués des îles, l’article 101 alinéa 2 prévoit un cabinet de sept membres, notamment un directeur de cabinet et un secrétaire général chargé de missions précises.

Cet article ne donne aucune précision sur l’appellation des autres membres. Contrairement à l’article 7-2 de la Constitution révisée en 2009 qui avait prévu l’exercice de la fonction exécutive par un gouverneur assisté de commissaires.

 


Mohamed Rafsandjani, doctorant en droit constitutionnel

D’abord, il faut rappeler qu’on n’est plus dans un État fédéral. Donc, les îles autonomes n’existent plus. Il y a l’autonomie qui est mentionnée, mais elle n’est pas réelle puisque la constitution de 2018 dit que la République est unitaire. On est donc passé d’un État fédéral à un État unitaire. Effectivement, dans la constitution de 2018, il y a des compétences qui sont accordées aux îles, elles sont citées aux articles 102 et 103. Il y a deux types de compétences : exclusives et celles prises en concertation avec l’Union. Les compétences exclusives sont celles dont les îles peuvent exercer seules.

Le problème c’est que si on regarde cette liste qui est fixée par l’article 102, on se rend compte que ce sont des compétences très limitées, comparées aux compétences qu’elles avaient dans la constitution de 2001. D’ailleurs, ce sont des compétences qui ressemblent beaucoup plus à celles des communes : les foires, les marchés, la propreté, la salubrité, des compétences vraiment très limitées. Ainsi, si on compare avec la loi sur la décentralisation, qui met en place les communes, on pourrait même dire que les communes ont plus de compétences que les îles. Deuxième type de compétences, celles en concertation. Mais ces compétences en concertation avec l’Union, les îles ne peuvent les exercer que si les autorités centrales ne s’y opposent pas. En somme, ce ne sont pas des compétences propres en réalité.

La conclusion est que les îles ont des compétences exclusives limitées et presque au même niveau que celles des communes et des compétences en concertation qu’elles ne peuvent pas exercer seules sans l’accord de l’Union. Ces compétences-là, il n’y a aucune loi qui les a prévues puisque la constitution de 2018 ne renvoie ni à des lois ordinaires ni à des lois organiques. On applique directement les articles de la constitution. Mais pas besoin de prendre des lois spécifiques.

Quant à la nomination de délégués, c’est une pratique qui est anticonstitutionnelle par rapport à la constitution de 2018 étant donné que les gouverneurs n’ont pas le droit d’en avoir au même titre qu’ils n’ont pas le droit d’avoir des ministres ou des commissaires. Ils ne doivent gouverner qu’avec des cabinets. Et ces derniers sont limités à un nombre de sept personnes.

Pour augmenter ce chiffre, il faut impérativement l’autorisation de l’Union. Donc pour les délégués, sur les fonctions publiques insulaires et sur les compétences, les gouverneurs n’ont même plus leur autonomie budgétaire qu’ils avaient à l’époque. Au final, c’est l’Union qui fixe le budget des îles puisqu’elles n’ont même pas leur autonomie pour fixer ledit budget.

 

Yhoulam Athoumani, docteur en droit public

La récente révision de la Constitution a fait des gouverneurs des autorités dotées de compétences propres et de compétences exercées en concertation en matière de gestion des îles. D’abord, des compétences appartenant exclusivement aux gouverneurs et qui, en vertu de la Constitution de 2001 révisée, concernent notamment le plan de développement économique et social de l’île, l’aménagement du territoire de l’île et de l’acquisition de biens pour les besoins de l’île.

A cela s’ajoute également la pêche artisanale, l’agriculture et l’élevage, entre autres. Ensuite, il y a des matières dans lesquelles les gouverneurs doivent agir en concertation avec l’Union. Dès lors, l’on ne parle pas des compétences exclusives ou propres mais plutôt des compétences exercées en concertation avec l’Union. Selon l’article 103 de la Constitution de 2001 révisée, les îles ont, en concertation avec l’Union, un droit de gestion sur la gestion des établissements d’enseignement et des personnels, préscolaires, primaires et secondaires ; la formation professionnelle locale de base, notamment. On voit donc très bien que la Constitution de 2001 révisée en 2018 confère aux gouverneurs des compétences pour assurer la bonne gestion de leurs îles.


En principe, l’exercice de ces compétences exclusives et celles exercées en concertation avec l’Union ne nécessite aucune intervention du législateur. Elles s’exercent indépendamment du législateur car, ce sont des compétences constitutionnelles et qui s’imposent donc aux autorités législatives et exécutives de l’Union. De plus, aucune loi spéciale n’est nécessaire pour leurs déterminations et leurs définitions.


Si c’est le terme “délégués” qui vous choque, cela pourrait se comprendre, dans la mesure où la Constitution ne parle que du cabinet. En effet, l’alinéa 2 de l’article 101 précise que les gouverneurs sont “assistés dans l’exercice de leurs fonctions d’un cabinet composé de sept membres dont un directeur de cabinet et un secrétaire général chargé de coordonner l’ensemble des services publics insulaires”. Mais par-delà le terme “délégués”, ces arrêtés des gouverneurs ne souffrent d’aucune ambigüité. Ils ne sont frappés d’aucune illégalité. D’abord, parce que selon leurs objets, les arrêtés précisent que ces délégués sont les membres des gouvernorats.

En assistant les gouverneurs, ces délégués, membres des gouvernorats, vont l’accompagner en vue de la bonne gestion de l’île. Ce qui pourrait poser un problème réside dans les missions confiées aux délégataires, membres des gouvernorats. Car, ces missions ne doivent en aucun cas être non conformes avec les compétences conférées par la Constitution.


En sommes, les arrêtés des gouverneurs des îles doivent être en conformité et en compatibilité avec la Constitution. Leurs compétences étant limitées, leurs mesures doivent être prises en tenant compte de leurs pouvoirs.

 

Abdou Elwahab Msa Bacar, enseignant chercheur à l’Université des Comores et avocat au barreau de Moroni

 

Effectivement, la révision constitutionnelle attribue deux catégories de compétences aux entités insulaires: des compétences exclusives et des compétences exercées par les îles en concertation avec l’union. En effet, l’article 102 de la constitution prévoit que des matières comme l’aménagement du territoire de l’île, la pêche artisanale, l’agriculture notamment relèvent de la compétence exclusive des îles. Par contre, l’administration des communes, la gestion des établissements d’enseignement et des personnels préscolaires, entre autres, restent des compétences exercées par les îles, mais en concertation avec le pouvoir de l’Union.


Le fait que l’article 101 de la constitution dit que le gouverneur gouverne par des arrêtés prouve que les îles jouissent d’une véritable sphère de compétences. Pour votre gouverne, les attributions des gouverneurs sont issues, non pas de la révision de 2018 mais celle opérée en 2009 sous le règne de l’ex-président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Il est vrai que l’article 101 alinéas 2 de la constitution prévoit, pour le gouverneur un cabinet de sept membres dont un directeur de cabinet et un secrétaire général. Ainsi les 5 membres restants peuvent prendre toute appellation du moment que la constitution elle n’a pas décliné une propre appellation.

On peut les appeler conseillers, délégués ou autre appellation selon des convenances en entendant une loi devant réglementer le casLes compétences dévolues aux gouverneurs des îles sont clairement fixées par la constitution. Il n’empêche qu’une des lois sur la décentralisation et la déconcentration des services centraux de l’État peut mieux aider dans la répartition et l’exercice effectif de ces compétences.


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