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Constitution : Réviser ou corriger sans défaire Contribution au débat

Constitution : Réviser ou corriger sans défaire Contribution au débat

Politique | -   Contributeur

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Notre constitution quoiqu’on en dise fonctionne. Il faut préserver les bases : l’État fédéral, le régime présidentiel et la justice constitutionnelle. Il faut s’en servir de fondations non pas pour un grand soir constitutionnel où l’on détruirait tout, mais pour corriger et faire mieux. Néanmoins gardez toujours à l’esprit que la révision des institutions doit aller de pair avec celle de la pratique des hommes. Peut-être même que cette dernière est-elle la priorité.

 

“Les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil”, écrivait Royer-Collard. Une constitution doit pouvoir se réviser. Même si l’œuvre du constituant est faite pour durer, la société qui évolue, les imperfections qui se font jour et l’expérience de la pratique qui enseigne sont autant de raisons qui peuvent justifier souvent des ajustements à la marge ou parfois des réformes en profondeur. Le défi étant toujours de progresser sans dénaturer.

La constitution de l’Union des Comores a connu deux révisions constitutionnelles : en 2009 et 2014. Aujourd’hui, à la faveur des Assises nationales qui se profilent, il apparaît qu’une partie des acteurs politiques nourrissent les ambitions d’une troisième révision constitutionnelle. Redoutée par les uns, espérée par les autres, l’éventualité d’une réforme des institutions nous donne l’occasion de dessiner les contours souhaitables d’une évolution potentielle de la loi fondamentale.

Nous ferons une remarque préliminaire. Nous nous affranchissons des doléances de ceux qui demanderaient une constitution conforme aux spécificités comoriennes. D’abord parce que scientifiquement cela n’aurait aucun sens. Ne disposant pas d’un code des spécificités comoriennes vers lequel nous référer, nos propos manqueraient de rigueur. Ensuite parce que les modèles qui sont à la base d’une constitution sont à peu près universel.

 

 

 

C’est la métaphore de l’autobus chère à Guy Carcassonne : il vous faut un moteur, un accélérateur, un frein, un volant, qu’il s’agisse d’un autobus français, japonais ou comorien. Sans ceux-là, même avec le meilleur conducteur du monde, il sera impossible d’atteindre la destination fixée. Nous pourrons, par la suite, rajouter des options particulières proches de nos spécificités pour en faire un autobus comorien de sorte que si une révision doit avoir lieu, elle doit, au préalable, améliorer l’ossature du véhicule.


Le moteur

Le moteur représente la source du pouvoir. Il est celui qui permet à l’édifice de se maintenir et de fonder sa légitimité. Il s’agit évidemment du peuple. Or, notre constitution actuelle comporte une incurie. Alors même qu’elle dispose que la souveraineté appartient au peuple qui peut l’exercer par ses représentants, mais surtout, par référendum, celui-ci n’existe pas.

Si l’on excepte le référendum pour réviser la constitution, le peuple ne peut jamais s’exprimer directement sur des questions quotidiennes de société, d’économie ou en matière judiciaire et institutionnelle. Il s’agirait donc de prévoir un référendum de droit commun qui permettrait au peuple, soit sur sa propre initiative soit sur la demande du chef de l’État, d’exprimer directement sa volonté sur les sujets d’intérêt général.


L’accélérateur

Il s’agit ici de l’institution chargée d’impulser la politique nationale donc, du chef de l’État. Son mode de désignation pose le problème de la tournante. A ce propos il faut distinguer la fin et les moyens. La fin serait de la supprimer purement et simplement. La tournante est une institution d’exception. Elle a été imaginée pour régler la crise séparatiste. Comme tout dispositif curatif, l’overdose produit les effets inverses à ceux escomptés. La tournante devait nous prémunir du séparatisme, à trop durer, elle distille le même poison qu’elle était pourtant censée combattre. Cela exclut aussi toute tentative de la corriger ou de l’adapter. Il faut l’abroger.


Seulement, ici la forme revêt une importance capitale. Dans la mesure où un “cycle de tournante” est engagé, la suppression ne saurait avoir lieu maintenant. Il faut que les autres îles en bénéficient pour une équité salvatrice de notre paix sociale. Étant entendu qu’une fois la boucle refermée, le sort de la tournante doit se régler par un référendum de révision.

En ce qui concerne son élection, il faudrait ramener le nombre de candidats retenus après la primaire à deux et désigner comme président de l’Union, non pas celui qui aura obtenu le plus grand nombre des voix, mais celui qui aura recueilli la majorité absolue des suffrages. Cela nous évitera la situation actuelle d’un président minoritaire. En ce qui concerne ses pouvoirs, il faut clarifier le régime. Il n’est pas souhaitable de continuer dans la dérive présidentialiste. Mais il n’est pas non plus prescrit de bifurquer vers un régime parlementaire. Un conflit incessant de compétence émaillerait l’exécutif parce devenu bicéphale.

 

 

 

La transhumance politique, le foisonnement et l’instabilité des partis excluraient d’avance toute possibilité de majorité parlementaire durable. Le régime serait impraticable. La clarification doit, à notre sens, se faire dans le sens d’un retour au régime présidentiel de 2001. Ce qui impliquera la suppression du droit aux ordonnances, à la dissolution et au recours aux pouvoirs exceptionnels.

Enfin, l’idée de supprimer le poste des gouverneurs pour les remplacer par les vice-présidents est à méditer avec prudence. D’abord parce qu’il faudrait dans ce cas en finir avec le principe de l’autonomie des îles. Sans compter qu’il y aurait des risques de doublon qui paralyserait le pays. Imaginez la vacance d’un président. On se retrouverait avec un vice-président à la fois régent d’une île, ministre et président par intérim de l’Union. Ensuite, parce que de toute façon, on ne pourrait pas le faire par le biais d’une révision. Il faudrait un changement de constitution, car il s’agit de déconstruire la forme fédérale de l’État pour aller vers un État unitaire voire “unitariste”.


Le frein et le volant

Il s’agit ici du parlement comme contre-pouvoir et de la Justice comme boussole de l’État de droit
L’on dit qu’il faut augmenter les pouvoirs du parlement pour en faire un contre-pouvoir. Ce n’est pas totalement vrai, l’assemblée de l’Union a tous les pouvoirs possibles et imaginables. Ce ne sont pas des compétences qui manquent, mais des députés courageux pour les exercer. Cependant, l’on pourrait reconnaître à l’assemblée le droit de valider certaines nominations présidentielles afin de limiter l’arbitraire dans des postes importants.

Il faut également émanciper le pouvoir judiciaire. L’on ne peut plus continuer à faire du président le garant de l’indépendance de la justice. C’est faire du loup le garant de la bergerie. Il ne faut pas non plus qu’il prenne part au Conseil supérieur de la magistrature. Il faudrait consacrer la justice administrative afin d’élever le recours pour excès de pouvoir au rang constitutionnel. La plus grande menace ce n’est plus la loi, c’est essentiellement l’administration. Il suffit de voir la multiplication des décrets, arrêtés, circulaires, communiqués, tous plus liberticides les uns que les autres.

Une attention particulière doit être portée à la cour constitutionnelle. A notre sens, l’élection des juges est une idée à proscrire. C’est le meilleur moyen de faire revenir par la fenêtre la politisation de la Cour que l’on a voulu faire sortir par la porte. Devenant des élus du suffrage universel, ils seraient tentés de laisser libre cours à leur arbitraire. Devant leur désignation à l’élection, ils passeraient leur temps à faire campagne et les décisions s’en verraient orienter politiquement.

Nous proposons que les nominations soient validées par l’assemblée de l’Union après audition en commission spéciale par un vote obligatoire à la majorité absolue. Ce qui a le double avantage de s’assurer un minimum de la compétence et la probité des juges et surtout de ne pas faire du juge le choix d’une seule autorité de nomination au risque que le juge s’en estime redevable.

Il faudrait par ailleurs augmenter la durée du mandat de manière à le déconnecter du calendrier politique et le rendre non renouvelable. Comme la neutralisation actuelle de la Cour ne doit jamais se reproduire, il faudrait enfin prévoir un renouvellement séquentiel des juges et non intégral. Ainsi, l’on s’assure que les mandats ne se terminent pas au même moment. Il restera d’autres juges avec un mandat en cours pour assurer la continuité de la justice constitutionnelle.

Pour finir, une révision constitutionnelle doit être réfléchie. Notre constitution quoiqu’on en dise fonctionne. Il faut préserver les bases : l’État fédéral, le régime présidentiel et la justice constitutionnelle. Il faut s’en servir de fondations non pas pour un grand soir constitutionnel où l’on détruirait tout, mais pour corriger et faire mieux.
Néanmoins gardez toujours à l’esprit que la révision des institutions doit aller de pair avec celle de la pratique des hommes. Peut-être même que cette dernière est-elle la priorité.


Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon, en France



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